Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 21h30
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

On en reparla le 26 juillet 2007. L’Assemblée débattait alors, à l’initiative du ministre chargé des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, d’un projet de loi créant une délégation parlementaire au renseignement.

La commission des lois, saisie au fond, avait désigné Bernard Carayon comme rapporteur et la commission de la défense, qui s’était saisie pour avis, avait nommé Yves Fromion rapporteur pour avis. La volonté de faire un pas était évidente, mais sans aller jusqu’au contrôle. Comme l’écrivait alors le rapporteur de la commission des lois, « le terme de contrôle n’est volontairement pas utilisé dans le projet de loi, celui-ci ayant une connotation trop intrusive ». Le texte fut voté, mais sans que l’emprise naturelle de l’exécutif dans le domaine du renseignement ne soit réellement questionnée.

Vous nous proposez donc, monsieur le ministre, de faire un pas supplémentaire, un pas décisif, celui qui, selon les termes qui figuraient initialement dans l’article 5 du projet de loi déposé au Sénat, permettra à la délégation parlementaire au renseignement d’ « exercer le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique en ce domaine ».

Au nom de la commission des lois, qui a voté à l’unanimité les amendements que nous avions déposés – comme l’a dit cet après-midi Patrice Verchère –, je veux donc saluer avec force cette avancée qui est bien traduite par les mots que vous avez choisis, monsieur le ministre, dans votre texte.

Parce que le renseignement est tout à la fois une politique publique et une activité essentielle à la protection de notre démocratie, il était sain de rompre avec la culture du silence.

Trop longtemps dans notre pays, pour paraphraser une expression consacrée, la peur que l’on voie certains arbres était telle qu’il n’était même pas permis de décrire la forêt. Il était urgent que l’action de nos services soit contrôlée, tout simplement parce que le contrôle est la nécessaire contrepartie du secret qui caractérise l’activité des services et des moyens potentiellement attentatoires aux libertés publiques dont ils peuvent être amenés à user.

Cette fonction est même vitale, et d’elle, du contrôle, dépend la légitimité des services de renseignement aux yeux du public. C’est donc à ce titre qu’elle doit devenir, comme dans toutes les autres démocraties occidentales, un élément constitutif de la bonne gouvernance dans le domaine de la sécurité.

Encore faut-il que nous nous entendions sur le contenu même du terme de « contrôle ». Son champ est relativement varié. Si la plupart des pays se cantonnent à l’examen rétrospectif des activités des services, quelques-uns, comme le Congrès américain ou le Parlement norvégien, s’autorisent une forme de surveillance sur les opérations en cours.

Les formes de ce contrôle peuvent aussi être très diverses. Elles peuvent porter sur l’efficacité de ces organismes, y compris dans l’affectation des ressources, sur la conformité des activités de renseignement avec la loi, ou encore sur leur régularité déontologique.

Ce contrôle peut se traduire par la prise de directives exécutoires visant à remédier à des dysfonctionnements ou la formulation de recommandations destinées au Gouvernement et aux services afin qu’ils adoptent des mesures correctives.

Je note d’ailleurs que les diverses structures parlementaires existantes ne donnent pas la même définition au terme de « contrôle ». Ainsi, par exemple, les Canadiens en distinguent deux types : la « surveillance », qui relève de la supervision de la gestion d’un service, et l’« examen », qui vise à effectuer, a posteriori, une évaluation indépendante du fonctionnement d’une instance, en insistant sur les recommandations relatives aux mesures correctives.

Le contrôle que vous nous proposez, monsieur le ministre, et qui me paraît le plus judicieusement nourri des expériences étrangères, est celui que l’on pourrait appeler un « contrôle externe de responsabilité », c’est-à-dire le contrôle par le Parlement de l’usage des services de renseignement par le pouvoir exécutif. En effet, aux termes d’une décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001 – curieusement, le Conseil avait été saisi par les sénateurs, qui contestaient le principe de la création de la commission de vérification des fonds spéciaux –, le Parlement ne pouvait pas s’intéresser aux « opérations en cours » menées par les services. Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs oublié de définir ce qu’était une« opération en cours ».

Dans les limites de la Constitution et de la préservation de l’activité de ces services au profit de la nation, les parlementaires vont ainsi renouer avec leur mission fondamentale, qui a trop longtemps été ignorée dans ce domaine. Ils vont pouvoir se concentrer sur l’évaluation du Gouvernement et non sur le détail de l’horlogerie des services de renseignement, qui certes satisfait la curiosité, mais n’apporte rien à un député dans l’exercice de ses fonctions.

Les services spécialisés vont y gagner en légitimité, puisqu’ils vont dorénavant trouver une instance devant laquelle s’exprimer en cas de crise, loin du tumulte médiatique.

En un mot, les impératifs démocratiques rejoignent les conditions d’une plus grande efficacité de notre appareil de renseignement. Pour autant, même une fois ce texte voté, le travail ne sera pas terminé. Je ne suis d’ailleurs pas certain qu’il puisse l’être totalement un jour.

C’est ce que nous avons voulu démontrer dans le rapport que j’ai eu le plaisir de cosigner avec Patrice Verchère, travaillant sur le cadre juridique des services de renseignement. Il nous semble en effet indispensable que, au-delà de cette loi de programmation militaire, modifiée par les amendements adoptés par le Sénat et améliorés par la commission de la défense, le Parlement puisse être un jour saisi d’un texte ayant la double vocation de légitimer les services de renseignement pour en favoriser l’action.

Légitimer, d’abord, car, aussi bizarre que cela puisse paraître, les missions des services de renseignement de notre pays ne sont pas définies par la loi. Seuls des décrets précisent quelles sont leurs fonctions. Or, seule la loi peut prévoir les dérogations au droit commun, conformément à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou à l’article 34 de la Constitution.

Il conviendra ensuite de favoriser l’action de nos services. Dès lors que l’action qu’ils conduisent est une politique publique qui permet à l’État d’assurer la sécurité des citoyens et la protection de ses intérêts comme de ses valeurs, il convient de leur octroyer des ressources proportionnelles au but poursuivi, c’est-à-dire, en l’espèce, des moyens humains et matériels – qui sont évoqués dans la loi de programmation militaire –, des moyens juridiques – nous en manquons encore – et des moyens technologiques, dont la performance devra toujours être améliorée.

C’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements pour préciser ces points. Je ne doute pas qu’ils sauront recueillir, si ce n’est votre approbation immédiate, du moins votre engagement à les faire aboutir dans les années qui viennent.

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