Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Séance en hémicycle du 29 novembre 2013 à 9h30
Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel — Présentation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement :

Au coeur de ce débat se déroulent les travaux du Parlement : il s’agit donc aussi d’un moment de démocratie, que je salue.

Pourquoi, donc, payer le corps d’une femme ? Parce que cela a toujours été comme cela, disent certains : les femmes s’achètent. Ce serait une loi cachée du monde : il existerait sur notre planète une loi de gravité qui ramènerait systématiquement les femmes en-dessous des hommes. Quelle chose curieuse ! Quelle paresse intellectuelle que de s’arrêter là ! Je n’ose croire que vous, qui faites les lois et suivez leurs effets jour après jour, mois après mois, puissiez être atteints par cette idée.

« La doctrine de fatalité qu’on nous oppose, disait Jaurès, je crois pouvoir dire qu’elle est contraire à ce que l’humanité, depuis deux mille ans, a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. […] De quel droit une société qui, par égoïsme, par inertie, par complaisance pour les jouissances faciles de quelques-uns, n’a tari aucune des sources du crime qu’il dépendait d’elle de tarir, ni l’alcoolisme, ni le vagabondage, ni le chômage, ni la prostitution, de quel droit cette société vient-elle frapper ensuite, en la personne de quelques individus misérables, le crime même dont elle n’a pas surveillé les origines ? » Ce n’est pas la fatalité qui fait les lois, mais vous, les parlementaires. C’est à vous, mesdames et messieurs les députés, qu’il revient d’éviter que la liberté opprime et de veiller à affranchir le faible.

C’est vous qui avez décidé, à l’époque du Général de Gaulle, de la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. Vous avez d’abord ratifié la convention de 1949 sur l’exploitation de la prostitution. Faut-il en rappeler les termes ici ? Aux termes de cette convention, « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ». Vous avez ensuite, toujours dans ce même Parlement, renouvelé cet engagement abolitionniste avec la résolution que vous avez votée à l’unanimité en décembre 2011. Ce sont toujours les députés qui, en 1946, ont adopté la loi Marthe Richard et fermé les maisons closes. C’est votre Parlement qui a réformé le code pénal pour en faire sortir la notion de débauche et renforcer encore la lutte contre le proxénétisme. Mesdames et messieurs les députés, le mot « fatalité » n’a pas droit de cité dans votre hémicycle.

Pourquoi admettre, donc, que l’on paie le corps d’une femme ? Combien de fois ai-je entendu parler des « besoins irrépressibles des hommes » ? Cette expression est terrible, insupportable, scandaleuse.

Elle revient comme l’ultime justification de la demande de certains d’une perpétuation du droit de cuissage, il ne s’agit de rien d’autre. Comment y répondre autrement qu’avec des mots simples ? Je les utiliserai ici. Nous ne sommes pas des bêtes. Nous valons mieux que l’état de nature. Nous devons faire confiance à l’humanité qui est en tout homme et en toute femme. C’est la noblesse même de votre fonction, mesdames et messieurs les députés, que de faire ce pari.

Les besoins irrépressibles, donc. Cela me rappelle le rapport d’Alexandre Parent-Duchâtelet, l’un des médecins qui fut parmi les tout premiers à soutenir des positions réglementaristes et qui assimilait les personnes prostituées à un réseau d’égout ou à une vidange organique. L’un d’entre vous récemment les a aussi comparées au sel, au sucre ou au gras. À l’orée de nos travaux sur ce texte, je voudrais vous exhorter au débat le plus digne, le plus respectueux.

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