Intervention de Élisabeth Guigou

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes évidemment tous d’accord, du moins dans la partie gauche de l’hémicycle – nous verrons bien ce qu’il en sera dans l’autre, encore que je ne doute pas, monsieur Lequiller, que vous nous rejoindrez sur ce point – sur le fait que le renforcement de la dimension sociale de l’Union européenne devient de plus en plus nécessaire. Nous en sommes conscients depuis très longtemps et nous savons que le Gouvernement en a fait une priorité. Parmi les initiatives indispensables, figure précisément la mise en place d’un cadre juridique enfin approprié au détachement des travailleurs salariés, qui permettrait de lutter contre le dumping social, dont les effets sont délétères pour le projet européen – je ne reviens pas sur ce qu’ont excellemment dit les orateurs précédents, en particulier Gilles Savary. Je me réjouis donc que nous puissions avoir un débat spécifique sur ce sujet.

Le rapport de Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron est éclairant sur les carences de la législation actuelle, les pratiques d’optimisation sociale et les enjeux de la proposition de la Commission européenne de révision de la directive du 16 décembre 1996. Une résolution européenne sur cette proposition a été adoptée par l’Assemblée nationale le 11 juillet dernier, sur le rapport de Richard Ferrand. C’est en parfaite cohérence avec son texte, qui appelait à faire preuve de fermeté, comme il vient de le faire à cette tribune, que la France s’est opposée le mois dernier, avec plusieurs de ses partenaires européens d’ailleurs – l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie et le Luxembourg –, à l’adoption d’un compromis qui aurait présenté, certes, des avancées, mais des avancées insuffisantes.

La France, je le rappelle, n’est pas opposée au principe du détachement – cela n’aurait d’ailleurs aucun sens alors que notre pays est fortement utilisateur de cette procédure. Les grandes libertés du traité ne sont pas négociables, comme l’a rappelé Viviane Reding à David Cameron il y a quelques jours. L’Europe, je veux aussi le rappeler, a suffisamment souffert des caricatures vexatoires sur les ouvriers des pays de l’Est du temps où il a fallu combattre l’affreuse directive Bolkestein. Heureusement, nous n’en sommes plus là, puisque c’est le principe de l’application des règles du pays d’accueil qui a été heureusement acté.

Il reste qu’il faut réformer cette directive, et la France ne formule pas de demandes excessives. Elle ne remet pas en cause, dans la directive, l’affiliation au régime de sécurité sociale du pays d’origine, ni ne fait un préalable de la mention d’un salaire minimum obligatoire, même si, évidemment, celui-ci est indispensable. Nous le savons cependant, ce n’est pas au travers de cette directive seulement que l’on réglera les différentiels de coût du travail au sein de l’Union ; d’autres mesures devront intervenir pour mettre un terme au dumping social et à une concurrence préjudiciable par les bas salaires – préjudiciable et inacceptable dans une véritable union. La décision de Mme Merkel de reprendre à son compte la proposition phare du SPD d’introduire un salaire minimum en Allemagne va dans le bon sens, pour la croissance européenne en général et pour certaines filières françaises en particulier, notamment les abattoirs en Bretagne.

En revanche, des améliorations substantielles sont possibles pour permettre de contrôler efficacement la bonne application de la lettre et de l’esprit d’une directive qui prévoit un noyau de règles impératives de protection minimale, dans la lignée du protocole social annexé au traité de Maastricht, et qui pose, je le rappelle, le principe du pays d’accueil.

Pour autant, nous avons identifié trois points de fuite dans cette directive, qui sont autant d’occasions de fraude : la qualification du détachement est imprécise ; le texte n’impose pas aux entreprises d’exercer une activité substantielle ou même effective au sein du pays d’origine ; enfin, il n’y a pas d’obligations en matière de contrôle, autres qu’une coopération administrative sous la forme de bureaux de liaison aux fins d’échange d’informations – autant d’insuffisances.

La directive n’est d’ailleurs pas toujours appliquée, avec des obligations déclaratives non respectées, des conditions effectives de travail inacceptables, des pratiques frauduleuses qui se sont développées avec des prestataires de services qui offrent des salariés à bas coût, en maquillant les conditions de détachement pour répondre formellement aux conditions de la directive. Et la complexité des montages, qui font intervenir des entreprises boîtes aux lettres ou coquilles vides, la cascade de sous-traitants, la fugacité de certains détachements privent en pratique les administrations des moyens de contrôle adéquats.

Pour ces raisons, trois articles de la proposition de la Commission constituent des points durs de la négociation : l’article 3, qui précise les critères qualifiant le détachement ; l’article 9, qui liste les mesures nationales de contrôle et les exigences administratives ; l’article 12, qui instaure une responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre, qu’il faudrait étoffer. Pour moi, la rédaction de l’article 9 est fondamentale. Il faut pouvoir garantir l’autonomie des États, leur pouvoir d’investigation et leur capacité à combattre la fraude au détachement, d’autant que la Cour de justice de l’Union européenne a une interprétation très restrictive de la compatibilité des mesures nationales avec les traités.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, comment envisagez-vous la poursuite des négociations car il faut améliorer, comme vous vous y employez, cette directive, sachant que l’objectif demeure bien sûr de parvenir à un accord ? D’autres États que la France mettent-ils en place des mesures complémentaires de renforcement de l’arsenal législatif ou de contrôle ? Il s’agit évidemment en la matière d’une responsabilité partagée : responsabilité européenne et responsabilité nationale – nous le savons, de grandes entreprises françaises se sont livrées à des fraudes absolument condamnables. Bref, comment voyez-vous la suite, pour éviter que cette question, très importante, ne cristallise à nouveau les oppositions à l’Union européenne et ne fasse monter le populisme et la démagogie ?

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