Intervention de Catherine Lemorton

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission des affaires européennes, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le sujet, ô combien important, du détachement des travailleurs a fait l’objet d’un débat de la commission des affaires sociales le 26 juin dernier et notre rapporteur, M. Richard Ferrand, vient de faire un excellent point sur ce sujet.

Ce débat a bien mis en évidence que nous nous trouvions face à un texte dont les conséquences sociales méritent d’être particulièrement suivies. À quoi servirait-il, en effet, de chercher à protéger les salariés français, de mettre en place une réglementation exigeante, notamment pour nos marchés publics, si l’on pouvait, en recourant à une directive européenne sans respecter ni son esprit, ni même parfois sa lettre, s’affranchir de toutes ces garanties patiemment élaborées ? Les parlementaires sont interpellés localement sur les conséquences de cette directive, et les réponses à apporter ne sont pas toujours simples, notamment parce que la matière est complexe, mais aussi car il convient de bien distinguer ce qui relève de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs et de sa refonte de ce qui dépend de notre droit interne.

Ainsi le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, que notre Assemblée examinera ce soir en lecture définitive, apporte-t-il, par son article 65, un progrès en matière de lutte contre les entreprises sous-traitantes qui ne respectent pas leurs obligations légales, notamment celles qui emploient du personnel en situation irrégulière. Dans cette hypothèse, le code du travail édictait notamment que tout marché public devait prévoir une clause permettant d’appliquer des pénalités à un sous-traitant qui ne respecterait pas ses obligations. Le PLFSS pour 2014 supprime cette clause pénale qui, une fois la pénalité payée, pouvait laisser perdurer l’irrégularité. Si ce texte est voté définitivement ce soir, le contrat public concerné sera résilié de manière unilatérale si le sous-traitant fautif ne régularise pas sa situation.

La lutte contre certaines dérives liées à l’application de la directive de 1996 relève donc de notre droit interne, mais d’autres difficultés sont directement liées à la directive elle-même. J’en prendrai deux exemples concrets, tirés de l’exécution de marchés publics dans la communauté urbaine de Toulouse, dont je dépends pour mon activité, et qui a effectué d’ambitieux travaux sous la gouverne de M. Pierre Cohen, notamment dans le domaine des transports en commun.

Le premier exemple a trait à la question de la réalité de l’implantation de l’entreprise qui opère le détachement temporaire : comment s’assurer que cette entreprise n’est pas une coquille vide, une simple boîte aux lettres ? En fait, la directive n’impose à l’entreprise qui détache des salariés aucune condition d’activité substantielle dans le pays d’origine, cela a été dit par Mme Élisabeth Guigou. Cette absence de conditions conduit des sociétés à se spécialiser dans le détachement low cost, en s’installant dans un pays où les charges sociales sont très faibles sans y exercer aucune activité réelle. Il y a là une faille évidente de la directive qu’il convient de combler en exigeant des entreprises qu’elles déclarent leur activité, à charge pour chaque État membre de mettre en place un dispositif de contrôle de la réalité des activités déclarées – ce ne sera pas évident dans tous les pays, je dois bien en convenir. C’est pourquoi je me réjouis que l’article 3 du projet de directive permette des avancées sur ce point.

Le second exemple de difficulté tient à la durée du détachement – la ville où j’habite a été confrontée à ce problème dans ses marchés publics. Cette question est loin d’être anodine, car l’exigence de respect d’un socle minimal de droits sociaux – congés payés, salaire minimum, horaires de travail et de repos – ne s’applique qu’aux détachements de plus d’un mois. Cette réalité permet à certaines entreprises d’échapper à l’application de ces droits sociaux en multipliant les détachements de courte durée. À ce titre, la notion de « détachement pour une période limitée » utilisée par la directive est à mon sens trop floue, trop imprécise.

D’une part, cela rend la concurrence déloyale pour les entreprises françaises ou originaires de pays dans lesquels les droits sociaux sont une réalité. D’autre part, cela revient à autoriser des conditions de travail inacceptables dans un pays comme le nôtre et dans les pays ayant un niveau comparable de protection des salariés.

Tels sont les quelques éléments que je souhaitais soumettre à votre réflexion dans le cadre de ce débat.

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