Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes :

À l’origine, le droit européen semblait répondre positivement à la question de savoir s’il est possible, sans harmonisation sociale, d’assurer la liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne. Cette directive, adoptée en 1996 suite à l’élargissement de la Communauté européenne à l’Espagne et au Portugal, garantissait un socle de droits aux travailleurs détachés, permettant aux uns et aux autres de mieux circuler dans l’Union européenne. Cela valait aussi, évidemment, pour les travailleurs français.

Mais, ce système présentait dès le départ une malfaçon. Il a en effet été décidé, à l’époque, que les cotisations sociales continueraient à être versées dans le pays d’origine, et donc selon les taux en vigueur dans le pays d’origine. Pour prendre un exemple concret, cela signifie qu’une entreprise espagnole peut fournir la même prestation qu’une entreprise française pour un coût 30 % inférieur, et ainsi remporter – ce n’est pas à vous que je l’apprendrai, madame la présidente de la commission des affaires sociales ! – le marché du tramway de Toulouse.

Cet exemple n’illustre qu’une partie du problème : il s’agit là d’un dumping social « légal » organisé par la directive. Un dumping social illégal de grande ampleur existe aussi, consistant à faire travailler frauduleusement de nouveaux damnés de la Terre. Ces procédés se généralisent. La rénovation du Carré de Jaude, à Clermont-Ferrand – ville dont une partie est située dans ma circonscription – a ainsi été assurée par des ouvriers guinéens, portugais et polonais, logés dans des bungalows pour 80 euros, travaillant jusqu’à 55 heures par semaine, sans respect de la convention collective, au tarif horaire de 2,86 euros. La société-mère ignorait – bien sûr ! – les conditions de travail réservées par son sous-traitant à ses salariés.

Ce dumping social illégal profite de la complexité juridique du dispositif et de la faiblesse des organismes de contrôle, tant nationaux qu’européen. Il s’organise en filières d’esclavage moderne – il n’y a pas d’autre mot pour décrire ce phénomène. Il pénalise aussi notre système de protection sociale, car il ne donne pas lieu au paiement des cotisations sociales afférentes. Il est néfaste, enfin, pour l’emploi. Comme vous le savez, certains secteurs sont particulièrement touchés, comme le bâtiment, les travaux publics, le transport, l’agroalimentaire et la restauration. Ce phénomène commence à essaimer dans d’autres secteurs : les PME et les artisans s’en inquiètent beaucoup, ce qui se comprend !

Le rapport de nos collègues Chantal Guittet, Gilles Savary et Michel Piron, réalisé au nom de la commission des affaires européennes et adopté par elle à l’unanimité, ainsi que la proposition de résolution européenne qui en est l’aboutissement, ont largement explicité ce phénomène. Comme nos collègues rapporteurs l’ont exposé, notre commission a formulé vingt et une recommandations. Nous savons que toutes ne feront pas l’unanimité. Mais l’enjeu aujourd’hui, monsieur le ministre, mes chers collègues, est que la directive soit révisée dans de bonnes conditions. Nous devons être à cet égard très attentifs aux points les plus décisifs de cette directive, à savoir les articles 9 et 12.

Concernant l’article 9, il est indispensable que la liste des mesures de contrôle que peut imposer l’État membre d’accueil aux entreprises étrangères détachant des travailleurs sur son territoire soit ouverte. Par ailleurs, l’article 12 doit prévoir une responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre. Plus encore, cette responsabilité doit être contrôlée de manière ambitieuse au niveau national. Nous devons rester vigilants quant aux fausses filiales, aux faux sous-traitants et aux faux travailleurs indépendants. D’ailleurs, la question de la responsabilité des sociétés-mères se pose à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Europe. Nous sommes quelques-uns, parmi les membres de cette assemblée, à travailler sur ce sujet.

Pour conclure, je profite de ma présence à cette tribune pour insister à nouveau sur la question de fond que posent les dérives de cette directive. Comment organiser la circulation des travailleurs en Europe de manière équitable ? Comment favoriser la dignité de tous – car c’est bien de dignité humaine qu’il est question dans cette affaire ?

Soyez assuré, monsieur le ministre, que notre assemblée vous soutient dans votre volonté de lutter contre les détachements abusifs. Nous savons que vous défendrez avec ardeur cette question lors de la réunion du Conseil de l’Union européenne en formation « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » le 9 décembre prochain, c’est-à-dire dans une semaine.

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