Intervention de Philip Cordery

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, la libre circulation des personnes dans l’Union européenne est un principe consacré par les traités. À l’origine, la directive de 1996 relative au détachement des travailleurs avait pour objectif de limiter le dumping social et de protéger, dans toute l’Union européenne, les droits et les conditions de travail des travailleurs détachés. Le principe même de cette directive était louable. Assurer des droits aux travailleurs en mobilité concourait à la construction de l’Europe sociale.

Or les résultats sont catastrophiques : cette directive a été détournée et a donné lieu à des fraudes massives. En France, en 2011, près de 145 000 salariés étaient officiellement détachés, et l’on estime qu’au moins autant l’étaient sans être déclarés. Des secteurs entiers de notre économie se sont écroulés ou sont aujourd’hui menacés à cause du détournement de cette directive. Je pense en particulier au BTP, aux transports et au secteur agroalimentaire – nous avons vu les dégâts récemment causés aux abattoirs bretons !

Les fraudes se font au détriment des entreprises implantées en France, dont les offres ne peuvent plus être concurrentielles puisqu’elles payent leurs salariés au prix normal. Les États souffrent aussi de cette directive, puisque les cotisations sociales ne leur sont pas payées. Les travailleurs censés être protégés sont exploités. Certains travailleurs français ont même été obligés de se rendre en Pologne ou dans d’autres pays pour être ensuite détachés en France, ce qui permet à leurs employeurs de ne pas avoir à respecter les conditions de travail et les règles applicables en matière salariale en France.

Le président de la Commission européenne, M. Barroso, avait pourtant suscité beaucoup d’espoir en annonçant en 2009, devant le Parlement européen, la clarification de l’exercice des droits sociaux des travailleurs détachés. La Commission européenne a fait croire qu’elle prenait le problème à bras-le-corps. Or, au lieu d’une nouvelle directive ou d’un règlement communautaire, la Commission s’est contentée de proposer une directive d’exécution, légitimant ainsi le moins-disant social. Une fois de plus, M. Barroso a failli, largement soutenu en cela par le gouvernement français précédent. Aujourd’hui, le Gouvernement agit. Monsieur le ministre, je tiens d’ailleurs à saluer le plan de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif que vous avez présenté mercredi dernier en conseil des ministres. Grâce à ce plan, les contrôles de l’inspection du travail seront intensifiés, et les abus mieux repérés. La prévention de la fraude sera améliorée, de manière concertée avec les partenaires sociaux et les administrations. Enfin, les donneurs d’ordre seront responsabilisés et les organisations professionnelles et syndicales pourront se constituer partie civile pour défendre les travailleurs détachés.

Je suis convaincu que la politique offensive qui sera menée sur ces trois fronts aura des répercussions nationales positives. Cependant, nous devons agir au niveau européen. À mon avis, dans la négociation de cette nouvelle directive, la France doit garder la plus extrême fermeté sur trois points en particulier.

Tout d’abord, les États membres doivent rester libres de choisir les démarches administratives à imposer pour contrôler les entreprises qui détachent les travailleurs. Ce n’est pas un texte européen qui doit fixer les exigences maximales. Le rapport adopté par la commission des affaires européennes propose ainsi la création d’une agence européenne de contrôle.

Ensuite, les donneurs d’ordres de l’ensemble des secteurs concernés par le détachement des travailleurs doivent être responsables de manière conjointe et solidaire. Les entreprises qui sous-traitent ou font appel à des agences de placement et d’intérim doivent être responsables des conditions d’embauche des travailleurs qui accomplissent des tâches pour elles.

Enfin, une parfaite coordination administrative doit être mise en place pour faciliter les échanges d’informations.

Pour ma part, je souhaiterais formuler quatre propositions supplémentaires pour mieux protéger les travailleurs détachés. Tout d’abord, la révision de la directive relative aux marchés publics devrait limiter l’appel aux sous-traitants en cascade pour que la responsabilité ne soit pas diluée. Ensuite, la directive devrait imposer l’application intégrale des conventions collectives des pays d’accueil, et pas seulement des législations nationales. Par ailleurs, elle devrait assurer le respect des droits syndicaux. Enfin, il conviendrait de limiter très strictement dans le temps la durée de détachement des travailleurs.

Monsieur le ministre, je ne doute pas que la France soit prête à rester ferme sur ces différents points, et qu’elle fera obstacle à une directive a minima. Le Parlement sera votre allié dans cette négociation, à l’heure où l’Allemagne vient d’accomplir un pas important vers l’Europe sociale en s’engageant, sous l’impulsion du SPD, à instaurer un salaire minimum. Un succès de la France dans la négociation d’une nouvelle directive sur le détachement des travailleurs marquera une nouvelle étape dans la réorientation de l’Europe voulue par le Président de la République.

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