Intervention de Jean-Paul Tuaiva

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Tuaiva :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le groupe UDI défend l’idée d’une Europe fédérale ; une Europe certes économique et budgétaire, mais aussi une Europe plus protectrice ; une Europe certes attachée aux libertés qui ont légitimé sa création, mais également une Europe soucieuse du bien-être de ses populations.

Cette Europe forte ne pourra pas uniquement se constituer par une diplomatie puissante, par une industrie florissante, ou encore par une agriculture performante. Une politique sociale, ambitieuse et pérenne, nous semble être une condition nécessaire à l’avènement de cette nouvelle Europe, cette Europe différente, que tant de citoyens appellent de leurs voeux.

Or, cette Europe sociale est encore en berne. L’harmonisation sociale et fiscale en Europe, le développement économique des régions centrales, méridionales et orientales du continent ainsi que la production d’une législation sociale équitable et juste nous semblent être des conditions sine qua non du rétablissement de la confiance des Européens en leurs dirigeants.

Est-il besoin de rappeler que notre Union dispose d’une force de travail de 250 millions d’âmes, d’une population de plus de 500 millions d’habitants et d’une vitalité encore remarquable ? Mais, avec un taux de chômage de 11 %, une augmentation de la pauvreté et un creusement des inégalités, le besoin d’une nouvelle politique se fait plus que jamais sentir.

L’Europe est accusée de tous les maux car elle n’arrive pas à se faire comprendre, sans doute parce qu’elle est mal expliquée. La différence de standards de vie contribue également à cette peur de l’autre, comme l’avait montré la campagne contre « le plombier polonais ». À celui-ci s’est aujourd’hui substituée une autre figure : celle du travailleur détaché.

Je ne reviendrai pas sur les détails de la directive d’application actuellement en négociation, sur laquelle mon collègue Michel Piron et ses deux autres collègues ont rendu un excellent rapport. Il semble néanmoins que, loin des discours alarmistes qui tendent à remettre en cause le principe de libre circulation, tous nos efforts doivent porter sur la lutte contre les fraudes et les stratégies systématisées d’optimisation sociale.

Je souhaiterais m’étendre plus avant sur l’instrumentalisation plus que douteuse qui est faite des problématiques relatives au détachement.

Nous n’accepterons pas, dix ans après le débat sur la directive « services », que la figure du travailleur détaché fasse l’objet de stigmatisations indues, illégitimes et injustifiées. Notre collègue Gilles Savary parlait récemment de « nouvel épouvantail europhobe », et les députés du groupe UDI ne peuvent que reprendre cette expression pour dénoncer le climat délétère qui entoure parfois ce type de débat. La directive « détachement » est-elle responsable du travail illégal ? La réponse est non.

La recherche effrénée d’optimisation sociale n’a pas attendu cette directive pour prospérer. Sans le corpus de règles que celle-ci contient, l’application aveugle du principe de la libre circulation aurait sans doute causé des phénomènes de travail temporaire frauduleux autrement plus désastreux que ceux auxquels nous avons assisté ces dernières années.

Reconnaissons-le : la directive, à défaut d’être une législation suffisante, n’en constitue indéniablement pas moins un garde-fou précieux.

J’entends ceux qui souhaitent céder aux sirènes de « la faute à Bruxelles », accusant de fait la Commission européenne de ne pas avoir proposé plus tôt de nouvelles révisions de la directive. Ceux-là mêmes qui affirment que les États détiennent les clés du pouvoir européen, ne manquent pas, une nouvelle fois, de rejeter sur les institutions européennes une responsabilité qu’elles n’ont pas.

Un constat est cependant clair : la directive de 1996 n’est bel et bien plus adaptée au contexte actuel. Cette situation est due à deux phénomènes qui se nourrissent mutuellement : d’une part, l’entrée dans l’Union européenne de treize nouveaux États dont les niveaux de vie sont significativement inférieurs à ceux de l’Europe occidentale ; d’autre part, la lenteur des politiques de développement et des politiques sociales que l’Europe souhaitait implémenter dès les années 2000.

L’objectif initial était de faire de l’Europe le continent le plus compétitif au monde à l’horizon 2010. Or, la compétitivité d’une zone ne saurait se faire sans une certaine homogénéité sociale. Nous savons désormais ce qu’est devenue la stratégie de Lisbonne.

Pendant ce temps, de nombreuses entreprises profitent des vides juridiques de la législation européenne, des entreprises du Sud et de l’Est de l’Europe procèdent à une concurrence déloyale, celle-là même que les traités européens visaient à prévenir.

Des agences d’intérim se spécialisent depuis quelques années dans l’introduction de main-d’oeuvre étrangère à des prix défiant toute concurrence, selon des conditions qui contournent toutes les règles européennes. Bien des acteurs sont touchés : artisans, entrepreneurs de la construction, entreprises du bâtiment, de transport, producteurs de fruits et de légumes, sociétés spécialisées dans le BTP… Les exemples sont nombreux.

Ce qui manque à la législation européenne sur le détachement, c’est également ce qui manque parfois à la construction européenne : un cap, une direction, et avant tout, une ambition.

D’ambition, la Commission en manque manifestement dans le projet de directive d’application sur laquelle porte le rapport dont nous discutons. Bruxelles a d’ores et déjà baissé les bras en proposant, non pas une refonte complète de la législation européenne applicable au détachement, mais une seule directive d’application.

Bien des points de cette nouvelle proposition sont en discussion : presque vingt ans après la directive sur le détachement des travailleurs, le droit européen ne contient toujours pas de définition claire et normative du travailleur détaché. La proposition ne donne malheureusement pas de pouvoirs élargis aux États pour contrôler le détachement et pour prévenir les fraudes les plus graves.

La bonne mesure que constitue l’institution d’une responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre n’est pas suffisamment large pour donner une entière satisfaction. Les inquiétudes que cette nouvelle directive véhicule doivent être portées au niveau européen, en particulier par la représentation nationale.

J’en viens ainsi aux conclusions du rapport d’information rendu par nos trois collègues. De ces conclusions, j’en tirerai un enseignement : bien des difficultés auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés ne sont pas directement liées à la législation en place et, au-delà d’une potentielle nouvelle directive, bien des pratiques pourraient être perfectionnées. L’entraide entre autorités nationales reste hautement perfectible.

Je ne prendrai qu’un exemple : quel que soit l’arsenal juridique en place la meilleure façon d’identifier et de sanctionner les entreprises dites « boîtes à lettres » réside dans la coordination et la coopération la plus étroite possible avec les autorités des pays concernés.

Je souhaiterais enfin souligner que si, lors des négociations qui s’annoncent à Bruxelles, la France parvient à rallier à sa position l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, voire la Pologne, elle ne peut pas ne pas prendre en considération l’importance de la minorité de blocage constituée par de nombreux pays d’Europe centrale appuyés par le Royaume-Uni.

Seul un compromis utile permettra de surmonter les difficultés causées par un recours illégitime au détachement. De ce point de vue, deux mouvements sont nécessaires. Le premier est bien la construction progressive d’une législation européenne « antidumping social », que nous souhaitons juste et compréhensible. Le second est une dynamique en faveur d’un développement économique du reste de l’Europe, car quel meilleur objectif que la prospérité du continent tout entier pour éviter une recherche effrénée de dumping social ?

En conclusion, ce qui est en cause dans ce débat, ce n’est pas le principe même de la mobilité qui concerne 300 000 travailleurs français. Qui se plaindrait de la mobilité quand elle concerne la formation des jeunes avec Erasmus ? Qui la contesterait quand elle permet à nos entreprises de détacher leurs cadres et leurs spécialistes ? Ce qu’il faut revoir, ce sont bien les modalités et non le principe même de la mobilité.

En définitive, le groupe UDI a l’intime conviction qu’au-delà des mesures techniques et de bon sens, les dérives du principe de libre circulation ne pourront être jugulées que par un mouvement sans précédent en faveur d’une Europe sociale plus protectrice, plus homogène et plus prospère.

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