Intervention de Christophe Cavard

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Cavard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, le détachement des travailleurs dans les pays de l’Union européenne et les conditions dans lequel il s’effectue est un enjeu majeur pour la préservation des droits des salariés et pour l’emploi. C’est un sujet consensuel dans cette assemblée, où la proposition de résolution en discussion a été adoptée à l’unanimité par les commissions saisies.

La prochaine étape sera la réunion des ministres européens du travail, le 9 décembre prochain. Dans cette perspective, les écologistes saluent le plan de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif de travailleurs européens en France que vous avez vous-même présenté le 27 novembre dernier, monsieur le ministre. Ce plan est une avancée pour responsabiliser les entreprises donneuses d’ordre en cas de contournement des règles de détachement par un de leurs sous-traitants.

Le travailleur détaché est celui qui travaille dans un autre État membre que celui où il exerce habituellement son activité et où est basé son employeur. Cela concerne près de 1,5 million de personnes en Europe. En France, 45 000 déclarations ont été effectuées en 2011, portant sur 145 000 salariés, soit une augmentation de 17 % par rapport à l’année précédente ! C’est donc un phénomène en pleine croissance et pour cause : il joue sur l’absence d’harmonisation du droit du travail et de la protection sociale en Europe et consiste à abaisser le coût du travail pour des entreprises qui utilisent bien souvent la sous-traitance pour réaliser leurs activités.

Le rapport d’information sur la proposition de résolution européenne formulée par les parlementaires français, concernant la directive sur le détachement de travailleurs, a bien souligné les imprécisions et les manques de rigueur de la directive d’application proposée. En effet, elle est, d’une part, insuffisante et n’encadre pas assez les conditions de détachement et elle laisse, d’autre part, la porte ouverte à de nombreuses fraudes qui amplifient la pratique du « dumping social ». Ces pratiques bien connues s’exercent dans un contexte propice à leur développement : une économie mondialisée sans institutions démocratiques régulatrices et une Europe en crise.

En septembre, l’Office statistique de l’Union européenne annonçait que le chômage atteignait 12 % de la population active en Europe, soit près de vingt millions de personnes dans les dix-sept pays. C’est près d’un million de plus que l’année dernière. Les causes, nous les connaissons : une économie ultralibérale basée sur la libre concurrence, une croissance européenne quasi nulle en 2013, des filières économiques du passé portées à bout de bras par les pouvoirs publics, des institutions européennes mal outillées et trop peu démocratiques.

Ce sont autant d’éléments qui s’ajoutent à la financiarisation mondiale de l’économie qui ne se préoccupe des frontières que pour les utiliser à son avantage, et ce justement, par exemple, lorsque ces fameuses frontières, favorisent la pratique du dumping social pour toujours plus de profit non redistribué – ou redistribué, plutôt, à une poignée d’actionnaires ! –, au détriment souvent des travailleurs et des sans-emploi ! La crise sociale qui gronde, le danger des replis sur soi représentent plus qu’un enjeu économique. Car avec tout cela, c’est la jeune génération que nous sacrifions.

En juillet dernier à Berlin, comme le 12 novembre à Paris, les sommets pour l’emploi des jeunes en Europe s’enchaînent pour lutter contre le chômage massif et redonner des perspectives aux quelque 7,5 millions d’Européens entre quinze et vingt-quatre ans sans emploi ou sans formation. La France a inscrit la priorité à la jeunesse dans le pacte de croissance européen ; et c’est de tous les jeunes européens dont nous nous préoccupons ainsi.

Au final, c’est l’échec de l’Europe libérale qui a prédominé jusqu’à présent. Il faut donc changer de logiciel, lancer enfin une transition de notre modèle économique et entrer dans l’ère de l’Europe sociale. Le principe de dérégulation totale du marché du travail – le travail comme un marché, les travailleurs comme des marchandises – est remis en question même par les plus réticents.

En Allemagne, on annonce la création d’un revenu minimum généralisé et José Manuel Barroso lui-même disait récemment que « les abus du détachement de travailleurs nourrissaient certains populismes ». En 2005, déjà, le résultat du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen avait montré les craintes des Français envers une Europe qui ne les protégerait pas assez du libéralisme et de « la concurrence libre et non faussée ». Certains, non inspirés par l’illusion d’un nationalisme protecteur, avaient voté non, mais, nous le savons tous, beaucoup d’autres, à travers leur refus du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, disaient surtout qu’ils souhaitaient une Europe démocratique et sociale.

Ceux-là sont favorables à la construction européenne, mais ils nous demandent, à nous la gauche, de nous battre pour que l’Europe respecte les individus avant les marchés financiers qui ne sont même plus les mirages d’une économie du plein-emploi. Notre chantier, c’est donc celui-là avant tout. Même si nous ne sommes pas toujours compris, même si certains font de l’Europe le bouc émissaire à des fins populistes et électoralistes, nous sommes convaincus – et nous voulons convaincre – que c’est grâce à une Europe de la coopération et à une Europe fédérale que nous trouverons le moyen de vivre mieux. Si nous nous y engageons véritablement, avec nos valeurs et nos solutions, nous pourrons y parvenir.

Pour stopper la logique du « moins-disant social », ces solutions existent. Il faut une harmonisation des normes sociales et fiscales en Europe sur le temps de travail, sur la protection sociale et sur le revenu minimum – je sais, monsieur le ministre, que vous vous y attelez. En l’absence de cette harmonisation, les salariés européens ne cesseront pas d’être mis en concurrence et le nivellement continuera de se faire par le bas.

Si la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne est un de ses principes fondateurs, elle doit se faire au bénéfice de tous. L’ambition de cette résolution européenne dont nous débattons est de mettre en place des outils pour lutter contre les phénomènes de contournement ou de fraude de la législation. Elle cherche à protéger les travailleurs, elle doit contribuer à restaurer un développement économique viable et vivable.

Ainsi, nous approuvons la proposition de création d’une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe, qui aurait pour missions : l’observation des infractions, le suivi des législations nationales, la formulation de propositions d’amélioration de la réglementation européenne. Cela permettra aux États membres d’avancer ensemble et au même rythme. Dans la même logique, la création d’une carte électronique sécurisée du travailleur européen pourrait permettre un contrôle plus aisé des entreprises et de leurs pratiques.

Sur ce point, je rappelle l’attachement des écologistes aux libertés fondamentales, à la liberté et au respect du droit individuel. Le contrôle qu’il faut opérer est un contrôle des employeurs, un contrôle des pratiques des entreprises donneurs d’ordre, celles qui font appel à des sous-traitants pour réduire les coûts de production. Comme dans d’autres domaines, la chaîne est complexe et les responsables souvent bien loin des lieux du délit ! Ce n’est donc pas le travailleur qui est la cible. Au contraire, les contrôles sont là pour garantir ses droits.

Nous saluons à cet effet le point 18, qui renforce la spécialisation des inspecteurs du travail ainsi que le point 17 appelant à une coordination de l’ensemble des acteurs concernés afin de déjouer les pratiques frauduleuses. Ce sont des points essentiels pour lutter contre la délinquance financière. Autre dispositif visant à responsabiliser les acteurs économiques : la fameuse liste noire est un outil majeur pour agir directement sur les entreprises et les prestataires indélicats. Les entreprises répertoriées seront sanctionnées et ne pourront plus accéder aux marchés publics ou fournir des prestations pendant quelque temps.

De plus, la création d’une déclaration de sous-traitance obligeant les entreprises donneuses d’ordre à déclarer le recours à une entreprise sous-traitante serait une excellente mesure. Enfin, dernier point, et non des moindres, nous saluons l’objectif de parvenir à la définition d’un salaire minimum de référence en Europe. Nous souhaitons le voir mis en place rapidement et vous demandons, monsieur le ministre, d’en souligner autant que de besoin la nécessité auprès de ses homologues européens.

En effet, cette proposition de résolution montre, dans l’unanimité qui nous unit ici, que la France est prête à jouer un rôle moteur pour la construction d’une Europe sociale. Cette unanimité donne mandat et légitimité pleine et entière à notre ministre du travail pour porter notre détermination à améliorer les conditions de vie des Français et de tous les citoyens. Oui, la France doit être moteur de cette nouvelle Europe ! Plus généralement, la France doit être précurseur dans la recherche de l’excellence sociale et environnementale.

Je ne vous étonnerai pas, monsieur le ministre, en vous rappelant que nous soutiendrons plus souvent les logiques de l’économie sociale et solidaire, laquelle est, dans notre contexte difficile, l’autre piste pour enclencher aussi le cercle vertueux. Avec plus de onze millions d’emplois dans l’Union européenne et une entreprise sur quatre créée dans ce secteur, l’économie sociale et solidaire est un véritable levier pour la sortie de crise en Europe. Ces entreprises contribuent significativement au modèle social européen et à la réalisation des objectifs de la stratégie Europe 2020, notamment en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, d’emploi et d’innovation.

Les députés français et européens écologistes poussent pour assurer à ces entreprises aux formes juridiques variées – mutuelles, coopératives, associations – l’accès à des financements suffisants et durables, notamment à travers les fonds structurels européens, comme le FEDER ou le FSE. Les enjeux sont importants : il y va de la poursuite de la construction et de la stabilité de l’Union européenne.

Ce projet communautaire doit être soutenu et porté par ses citoyens, lesquels ont besoin de signaux indiquant que les institutions et leurs représentants ont compris l’urgence de la situation et qu’ils sont décidés à faire de l’Europe un territoire du vivre mieux, un territoire qui ne place plus le travailleur polonais et le travailleur espagnol en concurrence, mais qui instaure plus d’égalité et un revenu minimal européen.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion