Intervention de Olivier Falorni

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Falorni :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, concernant ce débat sur la question des travailleurs dits détachés, force est de constater que la directive européenne, qui fut initialement conçue comme un instrument de réponse au dumping salarial, ne remplit plus ses objectifs premiers. Elle a au contraire aggravé la situation.

La libre circulation des travailleurs est inscrite dans les traités, elle implique l’abolition de toutes les discriminations entre les travailleurs des États membres pour la rémunération, l’emploi et les autres conditions de travail. Malheureusement, le droit communautaire ne prévoit pas d’harmonisation des droits des travailleurs mobiles et n’envisage qu’une coordination des régimes juridiques internes. Il faut y remédier.

Alors que le contexte économique de l’Europe est caractérisé par la crise, un grand nombre de pays, notamment au Sud de l’Europe, sont touchés par un chômage de masse. La France n’est pas non plus épargnée et beaucoup d’entreprises ont recours à des travailleurs détachés, qui leur permettent de poursuivre leurs activités économiques à moindre coût.

En favorisant la prestation de services internationale sans avoir vu naître une réelle procédure de contrôle, la directive sur le détachement des travailleurs a permis à une fraude de se développer, de plus en plus de prestataires de services ayant pu employer des salariés low cost. Effarant, en effet, 150 000 à 300 000 salariés low cost seraient ainsi présents sur le territoire français, travaillant en particulier dans le BTP. Ce dernier concentrerait un peu plus de 40% de travailleurs détachés. Ces chiffres sont des estimations puisque les prestataires de services ne font pas forcément de déclaration préalable de détachement.

Les conditions actuelles de crise économique renforcent cette fraude en permettant à des prestataires économiques et à des entreprises de sous-payer leurs salariés pour un travail effectué en dehors de leurs frontières nationales. Comme il n’existe pas de salaire minimum pour certains pays, le dumping social est encore plus flagrant. Ainsi, des travailleurs détachés, engagés pour six mois au plus, peuvent toucher le salaire minimum français sans pour autant toucher les avantages sociaux qui devraient l’accompagner, puisque ces derniers restent fixés selon la législation de leur pays d’origine. C’est d’autant plus problématique que les charges sociales restent payées dans le pays d’origine, ce qui peut entraîner de très fortes différences de coût pour l’employeur.

Cette directive, imaginée afin de contrer le dumping social, a paradoxalement créé du dumping social : on retrouve des travailleurs détachés non déclarés souvent exploités, des prestations sociales impayées et des procédures de contrôle difficiles à appliquer, participant de fait à créer des situations de concurrence déloyale. Les syndicats ont annoncé avoir vu des feuilles de paie au taux horaire de 2,86 euros de l’heure avec plus de cinquante-cinq heures de travail par semaine. Et que dire des abattoirs de Gad, où les travailleurs roumains sont payés moins de 600 euros par mois ? Une telle situation ne peut pas durer.

Le travailleur low cost lui-même, véritable esclave moderne, est une autre victime de cette directive. Le très bon rapport de Mme Chantal Guittet, de M. Gilles Savary et de M. Michel Piron relève que ces travailleurs low cost, ignorant le plus souvent leurs droits, peuvent même être amenés à « dormir dans des hangars ou sur une simple paillasse, être nourris de boîtes de conserve pendant des semaines », des situations qui sont « loin d’être marginales » et qui se rapprochent parfois de dérives mafieuses.

Pour combler certaines des lacunes dénoncées, Bruxelles a donc soumis un nouveau projet de directive aux États membres en mars 2012. Ce nouveau projet est insuffisant, comme l’atteste d’ailleurs le mécontentement de plusieurs pays voisins à ce sujet.

Les pistes évoquées par les commissaires de notre Assemblée que sont la mise en place d’une carte européenne électronique du travailleur, une liste noire des sous-traitants et sociétés de services indélicats ou encore une agence européenne du travail mobile sont de très bonnes avancées à soutenir. La création d’une carte électronique du travailleur européen afin de contrôler plus facilement les salariés et les entreprises permettrait effectivement de réduire le dumping social puisque tout détachement serait enregistré et déclaré.

Nous avons également pris connaissance des grandes lignes du plan de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif présenté par M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le mercredi 27 novembre. Il faut effectivement, monsieur le ministre, renforcer les contrôles via l’inspection du travail et les autres services compétents de l’État, et prévenir la fraude avec le concours des partenaires sociaux.

Enfin, la mise en place d’un salaire minimum dans chaque État membre ne pourra que contribuer à la fin de ce dumping social.

En agissant plus fortement contre le dumping social, l’Union européenne pourrait également parer aux populismes nationaux qui gagnent du terrain, ces mêmes populismes qui traitent l’étranger ou le travailleur étranger en boucs émissaires responsables d’un chômage fort pour les nationaux. La France doit devenir auprès de Bruxelles le fer de lance du respect des droits des travailleurs étrangers et de la lutte contre les nationalismes et les xénophobies.

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