Intervention de Nathalie Chabanne

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNathalie Chabanne :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les présidentes de commission, mes chers collègues, rappelons-nous ce qu’est l’Europe, rappelons-nous que les objectifs qui ont guidé la construction de l’Union européenne sont fondés d’abord sur les valeurs communes aux États membres : l’Union se fonde sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, d’État de droit ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités.

Dans le débat que nous avons amorcé cet après-midi, il me paraît donc fondamental de prendre en compte la dimension de dignité humaine. Mais y en a-t-il quand des ouvriers venus d’un pays tiers se font exploiter pendant plusieurs semaines, parfois des mois, parfois des années en France ? Est-ce qu’il y a de la dignité humaine quand des réseaux d’entreprises s’organisent pour mettre sous pression la main-d’oeuvre et lui faire accepter des salaires absolument indécents, au risque de limiter ses moyens de subsistance ? Ne pourrait-on pas appeler le fait que des intermédiaires se coalisent pour précariser – c’est un euphémisme – des travailleurs européens, clairement de l’esclavage moderne ?

Nous connaissons les systèmes frauduleux existants. Nous savons que certains font miroiter à des travailleurs des salaires mirobolants dès lors qu’ils acceptent de travailler en France par exemple, mais qu’une fois sur le territoire, ceux-là découvrent qu’ils sont travailleurs indépendants, mais de faux travailleurs indépendants et sous-rémunérés par leur employeur, à l’instar de ce qui s’est passé sur le chantier de Flamanville. Transportés, hébergés, surveillés, nous savons qu’ils sont à la merci des besoins du client final, comme l’Allemagne l’a découvert à ses dépens ces derniers temps avec le géant mondial de la vente de livres sur internet.

Ils sont nombreux chercheurs, associations, journalistes et représentants politiques à avoir montré les abus existants dans le cadre de la législation actuelle. Je n’ai jamais entendu personne remettre en cause les propos qui dénoncent cette situation : c’est donc qu’il doit y avoir un consensus pour reconnaître ces faits. Admirez le résultat : notre propre législation européenne ne suffit plus à protéger les travailleurs. Ne trouvez-vous pas qu’elle est mise à mal et dénigrée ? Sommes-nous d’accord sur le fait que ces fraudes, telles que sociétés boîte aux lettres, faux statuts d’indépendants, non-respect des droits des travailleurs, génèrent du dumping social ? Sommes-nous d’accord, oui ou non, avec le fait que ce sont les travailleurs européens qui sont les premiers à souffrir de cette situation et pour reconnaître que la dignité humaine est en jeu dans ce débat, que ce sont donc les valeurs mêmes de l’Union européenne qu’il s’agit de défendre ici ? Oui, nous sommes d’accord ! Le débat de ce soir montre que nous le sommes tous pour dénoncer cette situation.

Mais alors donnons-nous les moyens de lutter contre ceux qui profitent de ce système ! Les intermédiaires et les entreprises fictives, en plus de remettre en cause la dignité humaine sur notre propre territoire, fragilisent notre système social ! Tout le monde sort appauvrit d’une telle situation : État, salariés, ménages et régimes de Sécurité sociale.

Maintenant la question est de savoir comment faire pour trouver le point d’équilibre entre le respect de la mobilité des travailleurs et le respect des droits sociaux. À terme, il faudra nous poser la question de la convergence de nos systèmes sociaux. Nous devrons harmoniser les systèmes de protection sociale, harmoniser les salaires et les conditions de travail. À terme, il n’y a que cette réponse politique, structurelle et ambitieuse qui permettra de lutter contre les abus que nous évoquons.

Mais c’est dès à présent qu’il faut agir. Félicitons le Gouvernement d’être le premier à se saisir de cette question et de vouloir réorienter la politique européenne quand celle-ci connaît des effets pervers. La situation a empiré depuis trop longtemps sans que personne ne fasse rien, sans que personne ne se préoccupe ni des conditions des travailleurs détachés, ni du sentiment anti-européen que cela peut entraîner chez nos concitoyens. Soulignons donc le courage de notre gouvernement qui, le 9 décembre, aura trois objectifs à faire partager à nos partenaires européens : réglementation, contrôle, sanction. Il faudra renforcer la réglementation, par exemple responsabiliser le donneur d’ordre, augmenter la transparence de l’activité des entreprises, établir une liste noire des entreprises et des prestataires de services indélicats. Il faudra aussi renforcer le contrôle, que ce soit avec une entité européenne indépendante ou avec un renfort de l’inspection du travail déjà existante dans les pays membres ; il faudra en tout cas une meilleure coopération entre les pays européens pour lutter contre les filières que nous dénonçons ici. Enfin, il faudra sanctionner plus sévèrement car nous ne pouvons laisser certains transgresser les règles établies et porter atteinte aux droits et à la dignité de l’homme.

Voilà les trois points sur lesquels nous devrons convaincre nos partenaires européens.

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