Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Michel Sapin, ministre :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, il me revient de conclure, en vous remerciant d’abord pour l’organisation de ce débat. Il vient à point quant au sujet et à la date, à huit jours précisément d’un conseil des ministres du travail à Bruxelles, qui sera déterminant, compte tenu de l’enjeu et du sujet.

Je voudrais aussi remercier votre commission pour le travail effectué ; beaucoup d’éléments nous serviront pour aller plus loin, à la fois en termes de réflexion, mais aussi de propositions et de décisions, car il conviendra évidemment de prendre un certain nombre de décisions.

Enfin, je remercie l’ensemble des orateurs qui sont intervenus et qui, pour la plupart, dans un esprit constructif, ont souhaité montrer leur détermination et leur soutien à l’action du Gouvernement, et je les en remercie, d’où que vienne ce soutien.

Depuis dix ans, l’Europe sociale est en panne d’idées et d’initiatives, rongée par le doute, mise en péril par le dumping social et fiscal. Nous devons regarder avec lucidité et courage ce qui nous arrive. Si nous ne le faisons pas, nous n’arriverons pas à redresser le cap et à redonner à l’Europe ce qui fait le ciment des valeurs auxquelles nous sommes attachés.

L’intégration par le marché est devenue profondément insuffisante. Elle n’assure plus le ciment entre nos économies, mais organise la seule concurrence ; elle ne rapproche plus les peuples ; elle risque, au contraire, de les éloigner les uns des autres. Il faut tâcher d’inverser cette logique.

À cet égard, le combat que nous menons sur la directive d’application en matière de détachement est exemplaire. Nous ne voulons pas laisser la concurrence déloyale s’installer, tirer les salaires vers le bas, précariser les systèmes sociaux des pays avancés et retarder le développement de ceux qui le sont moins. Telle est ma position, et c’est la position de la France. Voilà l’enjeu qui est au centre de la bataille du détachement.

Que l’on s’entende bien, en évitant toute démagogie : le détachement de travailleurs européens est légitime et pertinent : les travailleurs d’Europe doivent pouvoir circuler. Beaucoup de Français sont dans cette situation ; ils apportent leur expertise reconnue et en tirent souvent de bons revenus et de vraies expériences professionnelles ; 140 000 travailleurs français sont ainsi détachés et envoyés dans les autres pays d’Europe, et 170 000 travailleurs européens viennent en France, selon les chiffres de 2012 – qui sont certainement inférieurs à la réalité, mais j’y reviendrai.

Près de la moitié de ceux qui viennent en France travaillent dans le secteur du bâtiment. Le détachement est donc un phénomène complexe, qui n’est pas limité aux travailleurs peu qualifiés. De nombreux ingénieurs font partie des travailleurs venant travailler dans notre pays. De nombreux ingénieurs français vont également travailler dans d’autres pays. C’est une très bonne chose, car la France doit être à la fois une terre d’accueil et une terre d’initiative qui porte à l’extérieur ses compétences et son savoir-faire.

Dans ce contexte, la directive de 1996, qui a fixé les règles du détachement, a été à l’origine une directive de progrès – plusieurs d’entre vous l’ont souligné. Elle a permis d’encadrer les règles, d’assurer que l’ouvrier polonais travaillant en France ne serait pas payé au salaire polonais, mais bien au salaire français. De ce point de vue, je le répète, car plusieurs d’entre vous l’ont souligné, c’était une directive anti-dumping social. Elle a permis d’enserrer le détachement dans des règles, pour qu’il ne se développe pas de façon anarchique, au détriment des salariés.

Mais aujourd’hui, le développement du détachement s’accompagne d’un véritable contournement de ces règles : non-déclaration, entreprises boîtes aux lettres, montages sophistiqués, non-paiement des salaires au niveau du salaire français. À titre d’exemple, selon une estimation de mes services, monsieur Wauquiez, si tous les travailleurs détachés étaient régulièrement déclarés, nous serions plus proches de 350 000 que des 170 000 déclarés.

Je veux prendre un exemple pour illustrer la sous-déclaration. Lors d’une vaste opération nationale de contrôle de mes services, le 25 juin dernier, sur quatre-vingt-sept entreprises pratiquant la prestation de service internationale – et contrôlées au même moment –, une sur deux n’avait pas fait de déclaration !

D’après les tendances de 2013, que je présenterai aux partenaires sociaux à la fin de la semaine – le 5 décembre – et que je vous livre donc en primeur, la hausse du nombre de détachements se poursuit. Cette année, elle est de l’ordre de 30 %. Le phénomène appelle de la France une réaction déterminée pour combattre les détachements qui ne se font pas dans des conditions respectueuses de notre modèle social.

Notre pays a patiemment construit son système social, sa protection des salariés. Ce système social est le fruit du travail et du sacrifice de beaucoup de salariés et de réformateurs. Personne ne peut nous demander d’y renoncer.

J’ajoute un principe : toutes les formes d’exploitation et toutes les concurrences déloyales qui créent une injustice doivent être combattues. Injustice, c’est bien le sujet : injustice pour les entreprises, grandes et petites, et pour les artisans, qui respectent les règles ; injustice pour les salariés français qui se voient écartés ; injustice aussi pour les salariés européens concernés, souvent surexploités dans des conditions honteuses.

Ceux qui essayent de « gagner sur la misère » doivent donc être combattus. Les entreprises commanditaires doivent être reconnues responsables, y compris pour leurs sous-traitants, et nous devons faire prévaloir en France, pour n’importe quel travailleur, le droit français, qui est un droit protecteur.

C’est ce que j’ai souligné en présentant le plan de lutte contre le travail illégal, en particulier contre les abus du détachement, le 27 novembre dernier. J’ai souhaité que ce plan porte sur trois niveaux.

Premier niveau : la mobilisation effective de nos forces pour lutter prioritairement contre les abus repérables qui, en tant que tels, peuvent être déférés devant la justice et condamnés.

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