Intervention de Xavier Beulin

Réunion du 27 novembre 2013 à 9h30
Commission des affaires économiques

Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, FNSEA :

Merci d'avoir choisi cette configuration pour ces auditions. Nous ne sommes évidemment pas opposés au débat, y compris au sein de la profession agricole. Cette audition va me permettre de vous faire part de nos attentes et des améliorations que nous souhaitons voir apporter au projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

J'ai proposé au Premier ministre la tenue d'États généraux de l'agriculture au début de l'année 2014. La situation actuelle est en effet paradoxale à plusieurs titres.

D'abord, si la demande alimentaire mondiale croît de 2 % à 3 % par an depuis plusieurs années, nous assistons dans le même temps à un recul de nos productions de 1 à 1,5 point. Cette problématique renvoie à l'objectif de compétitivité, mais aussi à l'expression claire d'une volonté politique.

Ensuite, si la France était numéro deux sur la scène internationale pour sa filière agricole il y a une dizaine d'années, elle est aujourd'hui en cinquième position, après l'Allemagne, les Pays Bas, le Brésil et les États-Unis. Nous assistons à une forme de décroissance, en particulier dans les filières très exposées, comme l'élevage, ou plus spécialisées, telles que les fruits et légumes et la viticulture.

Par ailleurs, aux problèmes structurels et transversaux auxquels nous sommes confrontés, s'ajoutent des problématiques plus singulières. En effet, un certain nombre de contraintes administratives pèsent sur la prise de décision dans les projets d'investissement agricole et constituent autant de freins à l'évolution de l'agriculture. À cet égard, la conviction exprimée par le ministre de l'agriculture dans ce projet de loi, à savoir la recherche de la double performance économique et environnementale, ne peut pas rester un slogan. C'est pourquoi nous avons proposé au Premier ministre une trentaine de mesures de simplification administrative visant à alléger les procédures, à réduire les délais, etc. Pour ne prendre qu'un exemple, sachez qu'un projet de méthanisation représente deux ans et demi à trois ans d'instruction, contre huit à dix mois maximum de l'autre côté du Rhin.

Enfin, le principe de précaution est inscrit dans la Constitution. En revanche, beaucoup d'élus, notamment de collectivité locale, pensent comme nous que ce principe est parfois utilisé avec un certain zèle. C'est la raison pour laquelle nous avons à coeur de voir adosser à ce principe de précaution un principe d'innovation. En effet, nous avons besoin plus que jamais – et c'est un des points faibles de ce texte – de recherche, d'innovation, de développement pour tendre vers cette double ambition de performance économique et environnementale. Ce n'est pas le retour à une certaine agriculture, peut-être plus autarcique, qui permettra de régler les problèmes. C'est en s'appuyant sur l'investissement, la recherche et l'innovation que nous pourrons apporter de vraies solutions pour répondre à ce double défi exprimé dans le projet de loi.

De ce point de vue, nous souhaitons que l'orientation vers l'économie agricole circulaire soit inscrite comme un marqueur fort dans ce projet de loi. Avec des valorisations animales et énergétiques et des déchets devenus des matières premières nouvelles orientées vers la fertilisation ou recyclées dans des filières, y compris dans la chimie, cette notion d'économie agricole circulaire, en s'appuyant sur une dimension territoriale très prégnante, est sans doute l'une des voies grâce à laquelle nous pouvons répondre à ce double défi. À cet égard, il est nécessaire de reconnaître – et le projet de loi n'y insiste pas suffisamment à nos yeux – la capacité de la sphère agricole à répondre à des enjeux beaucoup plus généraux pour notre société, en termes de création de valeur ajoutée, de création d'emplois, de territorialisation des activités, etc. Au-delà de l'écotaxe, révélatrice d'une situation difficile, les entreprises du secteur de la production, en particulier en milieu rural, ne peuvent plus supporter ces taxations diverses et variées qui affaiblissent leur compétitivité.

Depuis trente ou quarante ans, nous avons fait peser sur la consommation l'essentiel de notre croissance interne. Aujourd'hui, nous pensons qu'il faut sans doute réallouer un certain nombre de moyens vers la production, génératrice d'emplois et de valeur ajoutée dans le secteur tertiaire. Nous sommes bien évidemment favorables au made in France, à la réindustrialisation,

J'en viens au contenu du projet de loi.

Nous sommes d'accord sur les objectifs globaux. Nous aurions simplement apprécié que soient rappelées la contribution de l'agriculture à la politique de l'emploi et sa participation positive à la balance commerciale. Je rappelle que la sphère agricole et agroalimentaire représente 12,5 milliards d'excédent net à l'exportation, alors que la France a enregistré un déficit de 80 milliards d'euros en 2012. À titre de comparaison, quand on exporte 100, les importations représentent 85 en aéronautique, mais 15 en agriculture, essentiellement des produits énergétiques.

Sur la gouvernance des filières – article 2 –, la FNSEA tient à rappeler son attachement à la cohérence de la politique agricole conduite en France. En effet, une approche trop régionalisée risquerait de faire perdre cette cohérence nationale. Au regard des moyens du deuxième pilier de la PAC, ajoutés à ceux de la BPI, des fonds professionnels et des financements classiques, il nous semble indispensable de retrouver une cohérence en matière d'investissements stratégiques dans les grandes filières agricoles. Si un certain nombre d'enveloppes doivent être territorialisées à l'avenir, nous souhaiterions au préalable une lecture nationale stratégique dans chacune des filières ; je pense particulièrement aux filières porcs et volailles, en grande difficulté. En définitive, nous craignons qu'une ventilation des financements sans cohérence nationale fasse perdre à ces derniers leur effet levier.

Sur l'article 3, relatif aux groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), la FNSEA se montre prudente. En premier lieu, l'autorisation de faire du commerce, en particulier de céréales, serait accordée aux membres au sein du groupement. Or cela signifierait selon nous une destruction de la filière. Souvenez-vous que l'Office du blé a été créé en 1936 pour répondre à une désorganisation du marché. Attention donc à ne pas créer les conditions d'une déstructuration des marchés. En second lieu, les GIEE seraient ouverts aux non-agricoles. Je vous le dis clairement : nous n'avons pas envie de voir entrer dans ces groupements des gens qui n'ont rien à voir avec l'agriculture et qui viendront nous dire comment nous devons travailler, à quelle époque nous devons semer, etc.

L'article 4 introduit le bail environnemental, sur lequel nous sommes réticents car il nous semblait que le bon équilibre avait été trouvé dans la loi de 2006. Autant nous sommes favorables à l'introduction de clauses sur des zonages spécifiques qui font l'objet de dispositifs, de type Natura 2000, autant nous pensons que certaines clauses environnementales pourraient mettre l'exploitant titulaire du bail en difficulté, ce qui pourrait être source de contentieux, voire de résiliation.

L'article 5 concerne les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) et le statut de l'exploitant agricole. Nous sommes favorables à l'évolution du dispositif afin d'améliorer la transparence des GAEC et permettre la reconnaissance des associés de ces groupements. Cependant, l'affiliation à l'AMEXA n'est pas, à nos yeux, une condition suffisante pour la reconnaissance du statut d'exploitant agricole. Nos propositions d'amendements à ce sujet concerneront la maîtrise du capital social, la gestion autonome et non subordonnée de l'exploitation, un niveau d'expérience professionnelle ou de diplôme, un volume d'activité professionnelle minimum et – revendication portée par la FNSEA depuis fort longtemps – un registre de l'agriculture. À l'heure actuelle, un registre existe pour les formes sociétaires, mais pas pour les agriculteurs à titre individuel ; nous pensons que le moment est venu de créer un registre de l'agriculture permettant d'identifier les exploitants agricoles. Cela implique un certain nombre de conditions en matière d'ayants droit ou de bénéficiaires de tel ou tel dispositif. Dans le cadre de la nouvelle PAC, chaque État membre devra en effet définir ce qu'est un ayant droit.

Concernant l'article 6, nous sommes favorables à l'amélioration de la gouvernance des coopératives agricoles. Le Haut Conseil de la coopération agricole, créé en 2006, travaille à l'amélioration de cette gouvernance, définit les principes et élabore les normes de la révision. Je tiens ici à souligner la difficulté dans laquelle se trouvent aujourd'hui nos coopératives au regard de l'application du crédit d'impôt compétitivité (CICE). Non seulement la question n'est pas réglée, mais nous craignons d'être déboutés par Bruxelles. Ce sujet fera certainement l'objet d'une forte mobilisation dans le cadre du congrès de la coopération qui se tiendra les 17 et 18 décembre.

Par ailleurs, nous sommes favorables au renforcement du rôle du médiateur, qui devient médiateur des relations commerciales agricoles à l'article 7. Depuis quelques années en effet, notamment dans le cadre des relations avec les grandes enseignes, nous avons fait appel à un médiateur, récemment dans le dossier laitier. Néanmoins, la médiation doit être encadrée dans le temps pour apporter des réponses satisfaisantes.

La représentativité syndicale dans les interprofessions est un vrai sujet. Nous sentons bien que la volonté du ministre est partagée par un grand nombre d'entre vous. Un arrêté de la Cour européenne a reconnu, au printemps dernier, le caractère privé des interprofessions et donc de leurs ressources. Notre agriculture est sans doute la plus diversifiée d'Europe, elle est familiale et donc à taille humaine, mais elle doit nous apporter, notamment dans les schémas de filière, une efficience économique, ce qui nécessite de regrouper des moyens aujourd'hui dispersés. À cet égard, l'interprofession reste à nos yeux un outil efficace et adapté à la situation de l'agriculture française. L'Organisation commune de marché impose de mesurer le poids pour chaque secteur à hauteur des deux tiers de la valeur économique dans chaque interprofession. Or si cette mesure est aisée pour la collecte et la transformation, elle est plus compliquée pour le secteur de la production. Pour mesurer cette représentation, le ministre a proposé de s'appuyer sur les élections aux chambres d'agriculture. Or selon les juristes ayant travaillé sur le sujet, cette représentation issue des chambres d'agriculture n'est pas représentative d'un secteur de production au regard du droit communautaire – elle est une représentation transversale, généraliste des agriculteurs. Il faut donc rediscuter de ce sujet.

S'agissant des dispositions sur la sécurité et la santé au travail, nous ne souhaitons pas qu'elles engendrent trop de complexité pour les exploitants. Il est fait référence, en particulier, au fait pour les exploitants de faire appel à des sociétés de prestations de services. Ce cadre nous semble assez contraignant.

Sur la qualité de l'alimentation, nous partageons la volonté du ministre de renforcer le lien entre production agricole, agroalimentaire et consommation, dans une double approche de coresponsabilité et de « culture alimentaire ». En effet, deux modèles s'opposent aujourd'hui sur la scène mondiale : celui consistant à conserver une diversité alimentaire s'appuyant sur les terroirs et les savoir-faire, que nous défendons et essayons de partager avec les Européens, mais aussi le marché méditerranéen et, pourquoi pas, une partie de l'Afrique ; et le modèle anglo-saxon qui entend la qualité au sens sanitaire du terme. La pratique anglo-saxonne consistant à tremper dans des bains chlorés des poulets afin de les rendre indemnes de toutes bactéries ne répond pas selon nous à une démarche qualité, laquelle doit être mesurée à chacun des maillons de la chaîne – du producteur au consommateur –, avec des cahiers des charges rigoureux et des pratiques respectueuses des consommateurs. Aussi sommes-nous favorables au renforcement de l'approche filière.

S'agissant du volet foncier, il nous semble nécessaire d'aller au-delà des commissions départementales de la consommation des espaces agricoles (CDEA) pour avoir un peu plus de prise sur les documents d'urbanisme que sont les SCOT et les PLU. Nous ne demandons pas à nous substituer aux élus et aux administrations, nous souhaitons que la question des espaces agricoles soit appréhendée sous l'angle de la consommation du foncier, mais aussi de la compensation agricole pour des consommations qui sortent de l'agriculture. En effet, l'amputation d'un hectare porteur de biodiversité implique en contrepartie une équivalence facteur 3 ou 5 dans l'agriculture ou la forêt. Il est donc important selon nous d'étudier les moyens permettant d'introduire une forme de compensation pour l'agriculture lorsque les surfaces sources de biodiversité sont amputées. C'est un sujet difficile sur lequel il faut apporter des réponses.

Sur l'installation, je laisse aux Jeunes agriculteurs (JA), que vous allez auditionner tout à l'heure, le soin de vous en parler.

Enfin, s'agissant de la fiscalité agricole, nous ferons des propositions sur le régime forfaitaire et le régime réel. Nous pensons introduire une réflexion sur le régime de la micro-entreprise, qui pourrait progressivement se substituer au forfait, devenu illisible aujourd'hui. Nous pensons également intéressant de donner la possibilité pour des agriculteurs au bénéfice réel d'opter pour un régime d'impôt sur les sociétés adapté à l'agriculture. Une telle mesure aurait l'avantage de distinguer le résultat de l'entreprise et les prélèvements opérés par l'agriculteur sur son entreprise pour ses propres besoins et qui seraient fiscalisés au titre de l'impôt sur le revenu.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion