Intervention de Jacques Bompard

Séance en hémicycle du 10 décembre 2013 à 21h45
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Bompard :

Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, le calendrier parlementaire offre parfois des paradoxes saisissants. Nous devons donc discuter dans la même soirée d’une refonte de la production législative et d’un texte sur l’affirmation des métropoles, qui mise complètement sur les comités théodules et les dispositifs technocratiques.

Le pays réel sera certainement ravi de découvrir la litanie des nomenklaturas que vous faites intervenir dans votre projet : Haut Conseil des territoires, mission de préfiguration, comité des finances locales, conseil de l’évaluation des normes ou encore les déjà fameux établissements publics de coopération intercommunale.

L’utilisation d’une véritable « novlangue » dans les articles de ce projet de loi souligne assez sa déconnexion avec les préoccupations bien concrètes du pays réel : départ des services publics et des commerces, morcellement des territoires, délocalisations. Comme à l’habitude, on nous parle d’« intermodalité » et de « mobilité durable », là où les Français voudraient simplement que nous nous attelions à favoriser l’emploi, la santé ou l’éducation.

« Le style est un accent », nous disait Joseph de Maistre dans les Soirées de Saint-Pétersbourg. Le vôtre a des airs de superficialité pour nos compatriotes. Aucune des dispositions ne prévoit l’intégration de représentants de la société civile dans les processus de décision et d’évaluation, ce qui signale déjà l’obscurantisme du texte.

Mieux, les germes de nouveaux gaspillages émaillent les travaux, comme le montre l’article L. 1231-7, qui annonce la perspective de nouveaux dérapages en prévoyant que des formations spéciales peuvent être créées au sein du Haut conseil des territoires.

La logique centraliste et jacobine demeure la matrice de ce texte, contraignant de facto la démocratie locale et le dynamisme des territoires. Ainsi, lorsqu’une collectivité territoriale voudra mettre en oeuvre une politique publique auparavant dirigée par l’État, elle devra passer par une noria de commissions et de vérifications qui n’auront d’autre conséquence que de rendre inapplicable l’affirmation d’identité et de projets locaux – sans oublier bien sûr le coût exorbitant de ces navettes incessantes.

Face à ces complexités, n’en doutons pas, ce sont encore les fonds européens qui seront privilégiés plutôt que l’esprit d’initiative du terroir.

La France des clochers ne vous intéresse pas. Vous consacrez la plus grande partie du texte aux projets de grandes métropoles, comme Paris, Lyon, ou Aix-Marseille, et ne proposez aucune solution concrète pour les campagnes, les régions périurbaines et les zones économiquement sinistrées.

Il ne fait pourtant aucun doute que le paysan ariégeois ou le viticulteur du Vaucluse connaissent des problèmes lourds que les services ministériels s’entêtent à ignorer. Vous préférez prévoir la parité parfaite dans la représentation de nouveaux conseils fantômes plutôt que d’aider le pays réel.

L’affaire Dexia aurait pourtant dû vous montrer qu’à force d’oublier certains de nos territoires, vous les jetez de facto dans le grand bain de la financiarisation et de la mondialisation dérégulée, qui n’ont pas manqué de ruiner certaines communes. Des villages de France mis à l’index du fait de manipulations de cours boursiers à Londres ou à New York : voilà où nous conduit l’absence d’État stratège qui investirait dans son patrimoine régional pour renforcer le tissu productif local.

Le texte ne prend pas la mesure des enjeux qu’il aborde. Sur la région Île-de-France et le projet du Grand Paris, aucune mesure de transparence ou de simplification des procédures administratives n’est envisagée. Les citoyens n’y sont toujours pas admis, puisqu’ils n’ont aucune occasion de présenter leurs doléances et leurs volontés dans l’élaboration de cette législation. Une nouvelle fois, la démocratie directe est délaissée au profit d’institutions propices au clientélisme.

Pourtant, l’exemple parisien illustre parfaitement les efforts de rationalisation qui devraient être entrepris par l’État et les collectivités.

Moderniser l’action publique territoriale sera impossible sans une première phase d’évaluation des échelons et des doublons administratifs coûteux ou anachroniques. Or, sur ces dossiers, rien n’est fait. La ville de Paris présente un maelström de statuts de la fonction publique, avec le lot de caisses de retraites et de droits sociaux différents que cela implique, et qui ne font qu’alourdir notre administration.

Moderniser l’action publique territoriale sera impossible tant que nous mettons en concurrence la nation et l’Europe dans leurs soutiens aux territoires. Moderniser l’action publique territoriale n’est qu’un fantasme tant que des règles strictes de transparence et de vérification des subventions versées au monde associatif ne sont pas établies.

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