Intervention de Monique Orphé

Réunion du 17 décembre 2013 à 16h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Orphé, rapporteure pour avis :

Prenant acte de la persistance d'inégalités flagrantes entre les femmes et les hommes, le Gouvernement a souhaité déposer un texte présentant une politique transversale et intégrée de résorption des inégalités, dont l'article 1er résume à lui seul les principales orientations. Les titres Ier et II du présent texte constituent la déclinaison d'une partie de ces mesures, qui intéressent plus particulièrement la Commission des affaires sociales et dont elle s'est saisie.

Préalablement à la présentation du texte, il me semble utile de rappeler quelques éléments de contexte.

Tout d'abord, la situation des femmes reste aujourd'hui marquée par des inégalités fortes et multiples. Les femmes sont plus présentes sur le marché du travail, mais en moindre proportion que les hommes : en 2011, le taux d'emploi de ceux-ci s'élevait à 76 %, alors que celui des femmes n'était que de 67 %. Celles-ci sont davantage exposées aux emplois atypiques : en 2012, 30,2 % des femmes travaillaient à temps partiel, contre 6,9 % des hommes. Les femmes sont moins bien rémunérées, puisque l'écart de salaire horaire atteignait 18 % en 2010. Elles se heurtent également à un « plafond de verre » : en 2009, seules 17,6 % d'entre elles exerçaient des fonctions de dirigeant salarié d'une entreprise. Elles assurent majoritairement les responsabilités parentales : les hommes n'effectuaient que 28 % des tâches domestiques en 2010. Par ailleurs, à l'arrivée d'un enfant, les femmes sont plus enclines à arrêter leur activité que les hommes : environ un père sur neuf a réduit ou interrompu son activité professionnelle, contre une mère sur deux.

Face aux nombreuses inégalités dont les femmes sont encore aujourd'hui victimes, le Gouvernement et les partenaires sociaux se sont fortement mobilisés : le Comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes s'est réuni, dès le 30 novembre 2012, pour arrêter une série de mesures destinées à élaborer « une troisième génération des droits des femmes », et la question de l'amélioration de la situation des femmes dans le monde du travail a constitué une préoccupation centrale des deux grandes conférences sociales de juillet 2012 et juin 2013, qui se sont penchées sur l'égalité professionnelle et salariale. Des avancées législatives rapides ont ainsi été adoptées, comme la protection contre le harcèlement sexuel et l'encadrement du temps partiel. La conclusion, le 19 juin 2013, de l'accord national interprofessionnel (ANI) relatif à la qualité de la vie au travail a, enfin, permis de concrétiser l'engagement des partenaires sociaux en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Dans la continuité de ces grands rendez-vous, le projet de loi promeut une approche intégrée, dont je me bornerai à souligner les deux principaux aspects.

En premier lieu, le texte renforce les outils permettant d'instaurer une réelle égalité professionnelle. Il propose, tout d'abord, de réformer le contenu des obligations de négocier des branches, afin d'en accroître la portée et l'ambition. L'article 2 C, introduit par le Sénat, renforce ainsi la négociation quinquennale sur les classifications, avec la réduction des écarts moyens de rémunération entre les femmes et les hommes, l'engagement d'actions spécifiques de rattrapage, et l'établissement de critères de classification non-discriminatoires. Cet article, qui constitue la déclinaison législative d'une disposition de l'ANI relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes du 1er mars 2004, mériterait cependant d'être complété par la notion de mixité des emplois.

L'article 6 bis précise le contenu de la négociation annuelle sur les salaires : les branches, aujourd'hui tenues de prendre en compte les objectifs d'égalité professionnelle dans leurs discussions, devront désormais prévoir aussi des mesures permettant d'atteindre ces buts.

Le projet de loi propose, ensuite, de clarifier les négociations annuelles d'entreprise en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, afin de les rendre plus effectives. L'article 2 E crée un dispositif unique et intégré de négociation sur l'égalité professionnelle et salariale, alors qu'il existe aujourd'hui deux négociations distinctes dont l'articulation n'apparaît pas satisfaisante. Il conviendrait d'intégrer dans cet article, qui transpose une disposition de l'ANI du 19 juin 2013, les questions de santé et de sécurité au travail.

Le projet de loi vise également à enrichir le contenu et à renforcer l'efficacité du rapport de situation comparée, qui sert de base aux négociations en entreprise. Il propose ainsi l'introduction, à l'article 6 quater, d'un suivi des taux de promotion par sexe, la prise en compte, à l'article 5 ter, des questions de sécurité et de santé au travail, l'analyse, à l'article 6 ter, des niveaux de rémunération en fonction des qualifications et de l'ancienneté, et l'obligation, à l'article 2 D, d'actualiser le rapport de situation comparée.

L'article 3 du projet de loi prévoit de créer une nouvelle sanction – l'interdiction de soumissionner aux marchés publics – à l'encontre des entreprises qui n'auraient pas encore mis en oeuvre leurs obligations en matière d'égalité professionnelle, en cas de non-respect de ces obligations. L'article 3 subordonnait initialement l'accès des entreprises à la commande publique au respect de trois conditions – deux relatives à l'absence de condamnations pour des faits de discrimination ou pour avoir méconnu les dispositions relatives à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et la dernière liée à l'absence de mise en oeuvre de l'obligation de négociation annuelle sur l'égalité professionnelle. Le Sénat a ajouté un quatrième cas d'exclusion de la commande publique, en subordonnant l'accès aux marchés publics au respect de l'obligation annuelle de négociation sur les salaires et le temps de travail, prévue par l'article L. 2242-8 du code du travail.

Le projet de loi vise, enfin, à améliorer l'information du Parlement sur les questions d'égalité professionnelle et de revenus entre les femmes et les hommes, en demandant au Gouvernement de lui remettre deux rapports : un sur l'égalité professionnelle dans les entreprises de moins de 50 salariés – prévu par l'article 6 sexies –, et un relatif à l'indemnisation des périodes de congé de maternité des femmes intermittentes – posé par l'article 5 sexies.

À côté de ces dispositions relatives à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, le projet tend, en second lieu, à réformer certains dispositifs juridiques afin de favoriser une parentalité égale et, partant, le retour des femmes à l'emploi.

En instaurant une période de partage du complément de libre choix d'activité entre les deux parents, l'article 2 vise à davantage de participation des pères dans l'exercice de leur responsabilité parentale, en les incitant à réduire ou interrompre leur activité professionnelle, et à améliorer le retour à l'emploi des femmes qui le souhaitent.

Le Sénat a apporté des modifications substantielles au dispositif initialement prévu. Je me bornerai ici à souligner deux principales évolutions que l'on pourrait corriger : intégrer dans la dénomination de la prestation la notion d'éducation et non pas d'accueil, et prendre en compte le problème de l'inclusion du temps du congé de maternité dans le décompte de la durée de la prestation pour les mères d'un seul enfant.

Le projet de loi cherche également à remédier à la précarité des familles monoparentales exposées au risque financier que constitue le défaut de paiement des pensions alimentaires.

Ce constat a conduit le Gouvernement à envisager une revalorisation progressive du montant de l'allocation de soutien familial (ASF) pour en porter le montant à 120 euros par mois en 2017, soit près de 40 euros supplémentaires par mois. Parallèlement, le Gouvernement met en oeuvre, à l'article 6, une expérimentation dont l'objet est d'assurer une garantie publique en cas d'impayés de pensions alimentaires. J'adhère au principe de l'expérimentation, compte tenu du caractère éminemment complexe du dispositif et de l'importance de l'amélioration des relations entre les organismes débiteurs de prestations familiales et les tribunaux. Toutefois, à la lumière des échanges avec la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), j'estime qu'il pourrait être envisageable d'aligner les durées d'expérimentation en vue d'une mise en application au 1er janvier 2016.

Le projet vise aussi à renforcer le statut des collaborateurs libéraux, qui ne bénéficient d'aucune protection lors des congés de paternité, de maternité ou d'adoption – l'article 4 renforce leurs droits sociaux. Toutefois, j'estime que la rédaction relative au volet relatif à la lutte contre les discriminations peut poser problème car elle ne garantit pas le respect du principe de non-discrimination lors de la rupture du contrat des collaborateurs libéraux. En outre, la rédaction proposée introduit, en creux, un doute pour les autres types de contrat d'exercice libéral.

Par ailleurs, en proposant une réponse pragmatique pour faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, l'article 5 vise à réaliser une expérimentation d'une durée de deux ans, dont l'objet est de permettre aux salariés d'utiliser une partie des droits affectés à leur compte épargne temps (CET) pour financer des prestations de service, sous la forme d'un chèque emploi-service universel.

Il convient de lutter contre l'idée que la femme constitue un agent à risque dans le monde du travail, et le Sénat a, pour ce faire, introduit des dispositions additionnelles. Ainsi, l'article 2 A reprend deux dispositions de l'ANI du 19 juin 2013, qui concernent la remise d'un rapport relatif à l'harmonisation des droits pour les différents types de congés existants, et l'article 2 B permettra aux salariés en congé parental d'éducation de bénéficier d'un entretien afin d'anticiper dans de bonnes conditions la reprise d'emploi.

L'article 6 septies introduit une expérimentation sur le versement en tiers payant du complément de libre choix du mode de garde, dispositif censuré par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Il y a lieu de saluer cette avancée au profit des familles les plus modestes pour lesquelles l'effort financier se révèle plus important lorsqu'il s'agit d'un mode de garde individuel. Dans ce contexte, l'ouverture de crèches et de places dans des structures d'accueil collectif des jeunes enfants doit être encouragée.

Le Sénat a inséré d'autres mesures dans le projet de loi : l'instauration, à l'article 2 ter, d'une convention entre les caisses d'allocations familiales (CAF) et Pôle emploi pour le retour à l'emploi des femmes bénéficiant d'un congé parental ; la réservation, à l'article 6 quinquies, de places de crèches pour les femmes en situation d'insertion ne bénéficiant pas de la protection du congé parental ; l'extension aux salariés liés par un PACS, à l'article 5 quater, du bénéfice du congé pour événements familiaux – ce dont je me félicite –, et la protection du salarié, à l'article 5 bis, lorsqu'il décide de faire usage de ses droits, notamment à congé, en matière de parentalité ; je propose de supprimer cette dernière disposition, car elle n'apporte, selon le Défenseur des droits, qu'un intérêt limité au regard de la jurisprudence prud'homale.

Enfin, conformément à l'objectif porté par le projet de loi d'une amélioration transversale de la situation des femmes, le Sénat a introduit un article 5 quinquies visant à renforcer la protection offerte aux femmes qui souhaitent recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG).

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