Intervention de Virginie Duby-Muller

Séance en hémicycle du 16 janvier 2014 à 15h00
Adaptation au droit de l'union européenne dans le domaine de la santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, ce texte très technique vise à remplir l’obligation constitutionnelle d’application du droit communautaire qui découle de l’article 88-1 de la Constitution.

Il nous revient donc ici de traduire dans le droit national les

objectifs fixés par plusieurs directives européennes, ainsi que d’adapter notre droit national à un règlement européen. Notre groupe ne s’opposera pas à ce texte qui, quoique nécessairement décousu, relève bien d’obligations européennes auxquelles nous ne saurions nous soustraire.

Au-delà, ces mesures d’adaptation visent, avant tout, à parachever la réalisation de la libre circulation des patients en Europe et les articles 1er, 2 et 7 complètent la transposition des dispositions de la directive du 9 mars 2011, relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

D’une manière générale, nous nous réjouissons donc que cette directive, négociée par le Gouvernement précédent, et que nous considérons comme particulièrement importante pour les patients de l’Union européenne, puisse désormais s’appliquer pleinement : elle constitue un bel exemple de la construction d’une Europe concrète, au service des citoyens européens, et non pas d’une Europe « d’en haut ».

Elle répondait en effet à l’impérieuse nécessité de définir un cadre légal clair régissant les soins de santé transfrontaliers et la mobilité des patients, à la suite de différents arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne.

Elle permet d’améliorer la coordination entre les États membres en matière de soins de santé transfrontaliers, et donc l’information des patients, la qualité et la sécurité des soins, sans remettre en cause la liberté des États membres d’organiser leurs systèmes de santé respectifs. Je rappelle que la France était attachée au rétablissement d’un système d’autorisation préalable pour les soins hospitaliers, ce que nous avons obtenu.

Notre pays avait d’ailleurs tout intérêt à voir aboutir cette directive sur les soins transfrontaliers, dans la mesure où nous disposons d’une offre de soins très large. Cette ouverture à une clientèle étrangère peut nous permettre de rentabiliser nos équipements, de valoriser nos compétences et notre expertise.

C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui, puisque l’attractivité de notre système de soins nous permet de dégager des excédents. Comme le rappelait le rapporteur, les montants remboursés aux régimes français au titre des soins reçus en France par des personnes affiliées dans d’autres États membres – 615 millions d’euros en 2012 – sont systématiquement supérieurs aux montants des dépenses de santé remboursées par la France au titre de soins reçus dans les autres États membres par des assurés français – 481 millions d’euros en 2012.

Avec l’adoption de cette loi, cette directive s’appliquera donc pleinement, ce dont nous nous réjouissons. En revanche, je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle la transposition de la directive et le choix du Gouvernement de revenir, au même moment, sur le droit d’option des frontaliers suisses.

Cette décision, que nous n’avons cessé de dénoncer, aura un lourd impact, non seulement sur l’économie des territoires transfrontaliers, mais aussi sur la carte sanitaire des départements, la démographie médicale, le niveau d’équipements de pointe, dont vous n’avez pas mesuré les conséquences. Le Gouvernement semble aveugle, puisqu’il n’a pas évalué les répercussions de sa décision, au-delà d’une position idéologique.

Nous doutons également du fait que cette opération ait les effets escomptés pour les finances de la Sécurité sociale, bien au contraire ! La mobilisation est toujours forte, notamment avec le mouvement des bonnets rouges frontaliers. Pourquoi la directive 201124UE ne s’appliquerait pas à la Suisse, puisque celle-ci, en signant les accords bilatéraux avec l’Union européenne, a intégré toute la législation européenne et continue de l’intégrer ?

Quand la France signera-t-elle la convention sanitaire avec la Suisse, afin de permettre la mise en place d’une véritable carte de soins transfrontaliers, qui éviterait à certains citoyens de faire des centaines de kilomètres pour aller à Lyon alors qu’ils pourraient bénéficier d’un hôpital universitaire à Genève ?

De nombreuses questions ne sont pas réglées ; l’échéance du 31 mai approche et, pour l’instant, nous ne disposons d’aucune information concernant les modalités de mise en oeuvre de cette fin du droit d’option. Lundi, vous allez rencontrer les représentants des associations de frontaliers ; les parlementaires des six départements concernés regrettent de ne pas avoir été associés à cette réunion.

Pour revenir plus concrètement sur la directive, je tiens à saluer la désormais obligation pour les ostéopathes et chiropracteurs d’avoir recours à une assurance professionnelle, qui va renforcer la sécurité du patient. Madame la ministre, vous avez annoncé une réforme de cette profession et, sur ce sujet délicat, je souhaiterais que vous puissiez nous préciser votre projet.

En effet, les jeunes qui choisissent cette profession sont en grande difficulté : trop nombreux à être formés, ils ont beaucoup de mal à trouver une clientèle et à vivre de leur métier, lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail. Il est donc indispensable de trouver des solutions en amont, notamment sur la question du nombre d’écoles et la qualité de la formation. La problématique est sensible, mais il est indispensable que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités. Dans tous les cas, nous soutiendrons votre démarche sur ce sujet.

S’agissant de l’article 5, je salue également la manière dont vous avez choisi, en pleine cohérence avec la loi de 2011 sur la sécurité sanitaire du médicament, de réglementer la vente en ligne de médicaments : dès lors que nous étions contraints de l’autoriser, il était indispensable de le faire tout en continuant d’assurer un degré maximum de sécurité sanitaire. En liant obligatoirement les sites de vente en ligne à une officine « physique », et donc à un pharmacien, c’est bien ce que vous faites et nous soutenons totalement la ratification de l’ordonnance du 19 décembre 2012.

Espérons que le choix qui a été fait par la France de choisir un système qui assure le plus haut degré de sécurisation du circuit du médicament, puisse inspirer d’autres pays européens.

Enfin, je salue l’initiative de notre rapporteur qui, dans la suite logique de son rapport sur la filière sang, a fait adopter un amendement visant à créer un label « éthique », qui sera apposé sur les médicaments dérivés du sang produits dans des conditions éthiques au sens de la législation française.

Puisque nous évoquons la filière sang, permettez-moi une parenthèse à propos d’un sujet sur lequel je suis régulièrement interpellée et qui, même s’il n’est pas évoqué par ce projet de loi, touche à l’harmonisation des normes : je veux parler de l’application systématique du principe de précaution, parfois de manière trop extensive, dans notre pays. Ainsi en est-il de certaines mesures de sécurité comme les rappels de lots pour cause de détection de la forme sporadique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qui ne semble pas justifies – c’est d’ailleurs ce qu’avait conclut l’excellent rapport de juillet dernier de notre rapporteur.

Pensez-vous que nous allons pouvoir évoluer rapidement sur ce sujet ? L’établissement français du sang est dans une situation difficile ; à l’heure où nous créons un label éthique pour soutenir la fabrication éthique de médicaments dérivés du sang, il convient donc de prendre rapidement toutes les mesures concrètes et utiles à la préservation de cette filière à laquelle nous sommes tous attachés.

De manière moins consensuelle, je tiens à aborder la question posée par l’article 4 sur la vente en ligne de lentille, qui nous renvoie, comme mon collègue Arnaud Robinet l’a signalé en commission, au débat qui a eu lieu dans le cadre du projet de loi sur la consommation. Le rapporteur a clarifié cette incohérence en nous assurant que l’article 4 allait être supprimé au profit de l’article 17 quater du projet de loi sur la consommation.

Je regrette, à l’instar de la présidente de la commission des affaires sociales, que ce sujet continue à être abordé sous l’angle de la consommation et non pas sous celui de la santé publique.

Le Gouvernement s’est contenté d’annoncer, dans le cadre des débats, que la vente en ligne permettrait un gain de 1 milliard d’euros de pouvoir d’achat pour les Français. Or, dans les pays qui ont développé la vente en ligne – États-Unis, Grande-Bretagne –, celle-ci ne représente que 3 à 5 % du marché.

L’article 17 quater du projet de loi sur la consommation a été adopté dans la précipitation, alors que le sujet aurait mérité un débat approfondi. Je ne vais pas refaire ici le débat, mais je regrette que, pour des produits qui ne sont pas des produits de consommation des dispositifs médicaux – les lunettes et les lentilles de contact –, la dimension de santé publique ait été si peu prise en compte et qu’aucune étude d’impact sérieuse n’ait été menée.

Je finirai enfin sur des considérations plus techniques, concernant la transposition des directives européennes. Si la France a pu être un très mauvais élève dans ce domaine, de gros efforts ont été faits ces dernières années en matière d’adaptation de notre droit.

Selon la Commission européenne, la France fait partie des huit États membres qui ont enregistré, ou égalé, leur meilleur résultat, en 2012. Elle a considérablement amélioré le taux de transposition en droit français des directives européennes, puisque seules 0,4 % des directives restent à transposer en 2012, contre 0,8 % en mars 2011. Nous avons également amélioré notre retard moyen de transposition – seulement quatre mois et demi après expiration du délai de transposition, contre neuf mois en moyenne dans les vingt-sept États membres de l’Union européenne.

Nous sommes en retard pour adopter ce projet de loi et le rapporteur a même été obligé de repousser l’application de l’article 1 sur l’assurance professionnelle des ostéopathes au 1erjanvier 2015.

Il ne nous a pas été possible de récupérer les chiffres – normalement publiés régulièrement – pour l’année 2013, j’espère donc qu’il s’agit d’un oubli qui ne cache pas un recul en la matière.

Telles sont les quelques observations que je souhaitais faire sur ce projet de loi, que nous voterons.

1 commentaire :

Le 01/02/2014 à 09:31, Christine Goubert a dit :

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Madame Virginie Duby-Muller

Vous l'avez bien compris et vous êtes sans doute la seule.

Imposé l'abrogation du droit d'option des frontaliers pour les affilier à la CMU au taux de 6 puis de 8 %, voir plus, engendrera d’énormes problèmes financiers et pas seulement pour nos régions frontalières.

La CMU n'est pas adaptée, ni adaptable au travailleurs frontaliers. Quant au régime général de la Sécurité social, sanctionné par Bruxelles, nous savons qu'il n'a aucune légitimité.

Quand on voit de quelle manière, Mme Marisol Touraine décide unilatéralement du droit d'option des frontaliers, on est en droit de se demander jusqu’où, elle pourra aller, continuer de mentir aux frontaliers et tenter de les berner à l'aube de 2017 avec la révision générale de la Sécurité sociale et de la CMU.

C'est un véritable racket voir de l'escroquerie en bande organisée que vont subir quelques 169 000 travailleurs frontaliers qui entendent bien et de plus en plus, refuser cette décision arbitraire de ce gouvernement.

Comme moi, frontalière bi-nationale, beaucoup ont déjà retirer leurs épargnes des banques françaises et privilégient maintenant la Suisse. Beaucoup ne consomment que le minimum en France.

Beaucoup de bi-nationaux, de suisses résidents en France et de français travailleurs frontaliers, commencent à faire les démarches pour soit rentrer en Suisse, soit demander l'autorisation de vivre en Suisse, mettent en vente leur bien immobilier, etc. Pour ma part, j'ai déjà annoncé mon retour aux autorités suisses et je déménagerais dans quelques semaines en Helvétie parce que je refuse d'être rackettée et escroquée.

A en croire, le nombre de personnes qui se présentent chaque jour à L'office de la population à Genève, c'est un véritable raz de marée.

Je ne suis pas certaine que Madame Marisol Touraine et ce gouvernement, aient bien calculé cet aspect des choses.

Les régions frontalières vont subir de plein fouet les conséquences de ce qu'il est convenu d'appeler la fuite des frontaliers. Effondrement de l'immobilier, petits commerces en danger, développement des infrastructures, etc. car qui faisait vivre nos régions frontalières, par leurs impôts et par leur pouvoir d'achat : les frontaliers !

A-elle bien mesuré tout cela, je n'en suis pas certaine. Elle ne laisse aucun choix aux frontaliers, ils sauront prendre la mesure de ce racket.

Non sans vous remercier de vos actions et de vos interventions en faveur des frontaliers, je vous présente, Madame Virginie Duby-Muller, mes respectueuses salutations.

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