Intervention de François de Rugy

Réunion du 13 novembre 2013 à 16h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

En début de semaine, un article publié dans Le Monde faisait état d'un possible gel, par le ministère des Finances, de 820 millions d'euros de crédits alloués à la Défense pour 2014. Cette information a déclenché les foudres de plusieurs hauts responsables politiques et militaires. Certains ont mis en garde contre un « risque d'explosion de toute la programmation ». D'autres ont dénoncé une menace pour la « cohérence globale du modèle ». Si le ministère de la Défense a immédiatement démenti toute tension avec Bercy, cette polémique aura eu le mérite de mettre en lumière une certaine vulnérabilité du projet de loi de programmation, dont l'exécution tient à des conditions difficiles à réunir, reconnaissons-le – ce n'est pas nouveau pour une loi de programmation militaire, reconnaissons-le également.

Pour les écologistes, ce projet de loi aurait dû être l'occasion de redéfinir certaines priorités stratégiques de notre pays en tenant compte des évolutions du « jeu du monde », de l'émergence de nouvelles menaces et d'un contexte budgétaire plus contraint. Hélas, ses dispositions entretiennent le mythe d'une « puissance globale », les choix attendus ayant été reportés au profit d'aménagements à la marge ou qui seront introduits au gré des aléas budgétaires futurs. Plusieurs pistes de réflexion auraient pourtant mérité d'être explorées.

Comme je l'ai déjà fait lors de l'examen du budget de la Défense pour 2014, je dirai deux mots de la dissuasion nucléaire. À l'alinéa 319 du rapport annexé, le texte prévoit un « effort au profit de la dissuasion nucléaire » à hauteur de 23,3 milliards d'euros sur la période 2014-2019. Outre le débat d'idées qui nous oppose, monsieur le ministre, je ne comprends pas que la Représentation nationale n'ait, à aucun moment et d'aucune manière que ce soit, été associée à une décision qui engage notre pays, l'État et donc le contribuable, dans une telle proportion. La politique de défense, y compris en matière de dissuasion nucléaire, n'est pas, selon nous, la « chasse gardée » du Président de la République. Je regrette donc que l'injonction par laquelle le Président a, semble-t-il, prié M. Jean-Marie Guéhenno de ne pas rouvrir le débat sur la dissuasion nucléaire, ait été suivie à la lettre, car c'est la réflexion stratégique de notre pays, dans son ensemble, qui en pâtit.

Pour les écologistes, deux mesures d'ajustement auraient dû être envisagées. D'une part, le redimensionnement de notre composante sous-marine, en renonçant à la présence en mer d'un des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Ce scénario aurait permis de réaliser des économies substantielles sans mettre en péril l'efficacité dissuasive de la composante sous-marine. D'autre part, la suppression progressive de la composante aéroportée dont le coût global, incluant les programmes de recherche, les cycles de maintien en condition opérationnelle et les modernisations, pourrait avoisiner les deux milliards d'euros sur la période 2014-2019.

Anticipant sur l'argument, selon moi dépassé, de la technicité du débat, je précise que ces préconisations n'émanent pas seulement de moi mais sont partagées par d'anciens premiers ministres, ministres de la Défense et généraux de nos états-majors.

Autre sujet : le reformatage des armées. Je ne reviendrai pas sur les diagnostics alarmants portés par la Cour des comptes lors de l'évaluation à mi-parcours de la précédente loi de programmation militaire. Je rappellerai seulement quelques chiffres. Alors qu'entre 2008 et 2011, 22 000 postes ont été supprimés, seuls six postes d'officiers généraux, toutes armées confondues, l'ont été. Et sur la même période, la masse salariale a augmenté d'un milliard d'euros ! C'est incompréhensible pour nos concitoyens.

Monsieur le ministre, lorsqu'on demande aux armées de consentir à des efforts de restructuration aussi importants – presque 80 000 postes sur dix ans –, on a une obligation de résultats. Or, je redoute que la présente loi de programmation ne produise les mêmes effets que la précédente. Tout simplement parce que votre objectif en matière de réduction du taux d'encadrement n'est pas assez ambitieux. Alors que nos armées souffrent d'une hypertrophie du haut de la pyramide hiérarchique, vous ne proposez de réduire que de 0,75 % la proportion d'officiers sur la période 2014-2019. Pour le groupe écologiste, un retour au taux d'encadrement de 2008, soit 15,5 %, aurait été un objectif raisonnable.

Je souligne que je ne méconnais pas l'état du moral des armées. Je suis d'ailleurs persuadé que c'est en atteignant un modèle de ressources humaines cohérent et pérenne, qui mettra fin aux interminables cycles de restructuration, que nous pourrons garantir à nos soldats des perspectives plus stables et des conditions de vie plus sereines.

Pour autant, ces propositions de rationalisation ne sauraient être efficaces sans recentrage de nos priorités stratégiques. Notre armée souffre d'un triple éparpillement : stratégique, capacitaire et géographique.

Nos hommes ne peuvent pas, tout à la fois, défendre le territoire, intervenir en OPEX, soutenir l'action onusienne, produire du renseignement, préparer l'action diplomatique, mener des opérations de maintien de la paix et dissuader. Nos hommes ne peuvent pas s'engager au Sahel, au Moyen-Orient et dans la corne de l'Afrique tout en maintenant des contingents pré-positionnés partout dans le monde. Nos hommes ne peuvent pas continuer à opérer avec, d'une part, des technologies de dernière génération, et d'autre part, des véhicules datant des années soixante-dix.

La crise syrienne a mis en lumière les limites de nos capacités. Plutôt que de le nier en maintenant un outil de défense prétendument global mais fragilisé, assumons-le pour retrouver notre crédibilité stratégique.

Je souhaite enfin appeler votre attention sur certaines dispositions relatives à la transparence et à la gouvernance de notre outil de défense. Je pense notamment aux informations sur les crédits d'équipement. Lors du précédent exercice de programmation, plusieurs phénomènes de « budgétisation à la baisse » ont contribué à creuser l'écart entre les crédits initialement annoncés et ceux en définitive affectés.

Par ailleurs, le contexte budgétaire actuel conférant au contribuable un droit de regard plus légitime encore sur les investissements de l'État, nous proposerons la création d'une délégation parlementaire de contrôle des exportations d'armement, pour les entreprises dont l'État est actionnaire, ne faisant là que reprendre une proposition de loi déposée en 1990 par l'opposition d'aujourd'hui.

En définitive, même si ce projet de loi entérine des améliorations notables - en matière de réduction des personnels, d'équipements élémentaires ou de préparation des forces -, il s'inscrit trop, à notre sens, dans la continuité de la programmation précédente.

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