Intervention de Jean Glavany

Réunion du 20 novembre 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Glavany, rapporteur de la mission d'information :

Au Maroc, oui, mais l'expérience est différente, car il s'agit d'une monarchie constitutionnelle.

Qu'il y ait une aspiration à des valeurs universelles, c'est évident, et certaines avancées sont irréversibles. On constate une libération de la parole et de l'expression, pas seulement des réseaux sociaux, mais aussi de la presse. Certains journaux d'opposition français n'oseraient pas être aussi virulents à l'égard du pouvoir. Il y a aussi une aspiration très forte de la jeunesse à la liberté et aux droits individuels et collectifs.

Que pouvons-nous faire pour soutenir la société civile ? Il faut que nous soyons à l'écoute de toutes ses formes d'expression. Nous avons rencontré à la résidence de France à Tunis des jeunes d'univers très divers que l'on n'a pas l'habitude de rencontrer dans les ambassades, et qui venaient nous dire leur appréciation, elle aussi très diverse, de la situation politique. Il faut encourager nos postes diplomatiques à continuer sur cette voie.

S'agissant des relations entre les Etats-Unis et l'Egypte, les Etats-Unis se sont vite efforcés de confirmer leur partenariat stratégique après le départ de Moubarak et l'installation du régime islamiste. Comme toutes les démocraties occidentales, les Etats-Unis ont pris leurs distances après le coup d'Etat militaire du mois de juillet dernier contre le Président Morsi, et ils ont même suspendu une partie de leur aide, mais la situation est en train de rentrer dans l'ordre. Les Etats-Unis ont demandé un gouvernement civil et l'organisation rapide d'élections libres.

Les réfugiés en Jordanie n'entraient pas précisément dans le cadre de notre mission d'information. Il y aurait à ce stade plus de 2 millions de réfugiés syriens, dont plus de 500 000 en Jordanie, et l'onde de choc des révolutions arabes a, par ailleurs, touché ce pays. Des secousses se sont produites, sous une forme atténuée, mais sans que le pouvoir jordanien soit totalement épargné.

En Tunisie, le statut personnel des femmes, qui est avancé et que l'on doit à Bourguiba, tient bon. Les organisations féministes ont bien résisté, malgré les agressions des islamistes, et le projet de rédaction de la Constitution ne présenterait pas de menaces particulières.

Nous avons eu la chance de rencontrer un responsable copte à Alexandrie. Il est vrai que les Chrétiens d'Orient se trouvent actuellement dans un état de grande inquiétude. Les menaces et les attaques auxquelles ils font face sont malheureusement des manifestations classiques de l'extrémisme religieux. Les djihadistes perçoivent les Coptes comme l'expression d'une culture étrangère, voire de puissances étrangères, sur leur territoire. Il faut continuer à demander aux autorités de les aider à sauvegarder leur identité.

La charia est-elle majoritaire ou minoritaire ? Tout dépend de ce que l'on entend par là. Il n'y a pas un islam, mais des islams. Il y en a presque autant que de musulmans. Il y a des islamiques modérés qui seraient des centristes chez nous, d'autres qui le sont un peu moins et que l'on peut qualifier des conservateurs, et il y a les salafistes. Eux-mêmes sont très divers, comme nous l'ont expliqué les représentants de l'un de ces partis en Egypte – il y aurait selon eux cinq écoles du salafisme. Il faut regarder la situation de très près, en fonction des comportements précis des uns et des autres, sans porter de jugements a priori.

S'il y a un pays qui a des chances de s'en sortir, c'est bien la Tunisie. Ou, pour le dire autrement, si cela ne marche pas en Tunisie, on imagine difficilement comment cela pourrait être le cas ailleurs. Pourrait-il y avoir, de même qu'il y a eu un effet de souffle parti de Tunisie en 2010, une « contagion » des bonnes pratiques tunisiennes ? Il faut l'espérer, mais je crois qu'il faut rester prudent sur cette hypothèse.

Il ne s'agit pas de dire que la question de la laïcité n'est pas centrale, mais de ne pas faire de provocation inutile en mettant en avant des concepts au nom desquels des régimes autoritaires ont brimé leurs opposants. Il faut s'abstenir d'utiliser ce terme car il peut susciter de fortes réactions.

La question israélo-palestinienne demeure un bruit de fond continu, et l'irruption des forces islamistes ne change rien de ce point de vue. Lors de l'attaque de l'ambassade israélienne au Caire, les assaillants n'étaient pas des djihadistes, mais des supporters de football qui cherchaient à s'en prendre aux symboles israéliens. Le conflit israélo-palestinien reste extrêmement prégnant dans les consciences, au-delà des seules forces politiques conservatrices, et joue encore un rôle fédérateur.

Il y a aussi, bien sûr, la fracture entre sunnites et chiites, et la rivalité entre l'Arabie Saoudite et le Qatar. On peut avancer, quitte à faire un raccourci, que l'Arabie Saoudite soutient plutôt les salafistes, et le Qatar les Frères musulmans. Tous deux se livrent une guerre de position.

Les « katibas » libyennes pourraient être au nombre de 300. Elles suivent des logiques, notamment tribales, dont il faut avouer qu'elles sont difficiles à décrypter. Et qui aurait pu prévoir qu'une « katiba » puisse enlever le Premier Ministre, voire le numéro deux des renseignements ? En revanche, oui, nous aurions pu anticiper les conséquences de la fin de Kadhafi pour le nord Mali, le sud algérien, le sud libyen et désormais, de façon inquiétante, le sud tunisien, où des affrontements ont lieu entre des terroristes et une armée peu préparée à de telles situations. La circulation des armes dans le sud libyen est un enjeu majeur.

Une conférence ministérielle régionale sur les frontières vient d'ailleurs de se tenir à Rabat. Alors que certains pays souhaitaient visiblement axer la déclaration finale sur la Lybie, qui aurait été pour ainsi dire mise en position d'accusé, elle concerne finalement l'ensemble de la zone sahélo-saharienne. La création d'un centre régional de formation pour les officiers en charge des frontières est notamment prévue. Tout cela peut aider les Etats à se coaliser contre un fléau commun.

La Tunisie est effectivement divisée. Il y a une Tunisie urbaine et éduquée, et une Tunisie rurale, croyante et conservatrice. Il faut faire en sorte qu'elles ne se déchirent pas. Quant à la situation économique, elle est en effet déplorable, notamment en raison de la baisse de l'économie touristique.

Qu'en est-il du panarabisme et des nationalismes ? Il n'y a pas aujourd'hui de panarabisme affiché et, si les événements se déroulent actuellement dans un cadre national très fort, ils ne relèvent pas du nationalisme traditionnel. Jusqu'à présent, il n'y a pas de force nationaliste s'exprimant en tant que telle.

S'agissant des acteurs de ces mouvements, nous avons assisté à l'irruption soudaine d'une société civile jusque-là étouffée. Une grande partie de la population tunisienne s'exprime désormais avec des moyens nouveaux, notamment les réseaux sociaux, mais il y a aussi une presse qui a retrouvé sa liberté d'expression. Il faut y être très attentif.

Nous n'en sommes pas encore à des conjectures militaires entre la France et la Libye, mais il était question, lorsque nous étions à Tripoli, de la négociation d'un contrat pour la formation de policiers libyens. Il vient d'être signé, pour 1 000 policiers, alors qu'il était en souffrance depuis des mois.

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