Intervention de François Rochebloine

Réunion du 22 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Rochebloine, président :

Il y a un peu plus d'un an que notre mission d'information a entamé ses travaux. Elle s'est réunie une dernière fois hier après-midi pour adopter son rapport et les conclusions que notre rapporteur vous présentera dans quelques instants. Je crois pouvoir dire que les analyses et les recommandations qui vous seront détaillées sont originales et traduisent une ambition qui est à la hauteur des enjeux importants qui se posent aujourd'hui à nous.

Je voudrais souligner en premier lieu l'actualité du sujet. A plusieurs titres, en effet l'année qui vient de s'écouler aura été marquante pour la francophonie : au lendemain du Sommet de la francophonie de Kinshasa, en octobre 2012, la ministre Yamina Benguigui a présenté un Plan d'action pour la francophonie, mis en oeuvre depuis 2013, qui montre la priorité que le sujet a désormais. Il y a quelques mois, notre parlement a débattu assez vivement sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche par lequel le gouvernement entendait notamment assouplir l'obligation d'enseignement en français consacré par la loi Toubon et simultanément, pour la première fois depuis dix ans, le Premier ministre signait en avril une nouvelle circulaire relative à l'emploi de la langue française, pour redonner une impulsion à la défense et à la promotion de notre langue, tant en France qu'à l'étranger. Les Jeux de la francophonie, enfin, se sont tenus à Nice en septembre dernier ; cela faisait près de 20 ans que la France n'avait pas été pays organisateur. Ils auraient mérité plus d'écho et de relais. Cela traduit ce que nous avons constaté par ailleurs : une relative indifférence, malgré les discours, dans laquelle on tient le sujet dans notre pays, à la surprise des autres pays francophones.

Notre sujet était particulièrement vaste et ambitieux, il nous imposait de traiter la francophonie sous trois angles complémentaires : la culture ; l'éducation ; l'économie. On a l'habitude depuis longtemps d'aborder la question essentiellement sous les axes linguistique et culturel. Un certain nombre de thématiques sont classiques, nous-mêmes et d'autres instances les avons abordées fréquemment : le rayonnement de notre langue à l'étranger ; le multilinguisme déclinant au sein des organisations internationales ; l'usage croissant de l'anglais en France même, etc. Ce sont les aspects sans doute les plus rebattus en matière de francophonie. Il nous appartenait néanmoins de les étudier ne serait-ce que pour en faire un état des lieux précis et actualisé, et creuser le cas échéant un certain nombre de pistes peut-être moins explorées que d'autres. Vous verrez à la lecture du rapport que nous avons aussi essayé de dégager les dynamiques qui sont à l'oeuvre, afin de pouvoir mieux étayer les recommandations que nous pourrions formuler. Ainsi, on a parfois tendance à se satisfaire un peu vite du fait que la croissance démographique en Afrique pourrait permettre à l'espace francophone de compter un milliard de locuteurs d'ici au milieu du siècle, mais la réalité des choses et la combinaison de cette donnée avec d'autres, comme l'état des systèmes éducatifs des pays concernés, ou l'évolution du nombre d'enseignants de français notamment, font que les perspectives ne sont pas aussi déterminées pour notre langue qu'une analyse trop rapide pourrait laisser croire à tort.

Nettement moins fréquente, si ce n'est absente de nos préoccupations. la dimension économique de la francophonie est un thème sur lequel nos amis Québécois se penchent depuis plusieurs années, comme d'autres communautés linguistiques, anglophone et hispanophone, qui développent des stratégies particulières. En France, ce n'est que depuis peu que nous commençons à nous y intéresser réellement, et les avancées sont loin d'être probantes. Or, il faut souligner que l'intérêt de réaliser des affaires dans sa langue, de faire d'une langue un atout économique au sein d'un espace linguistique donné, est désormais considéré comme déterminant. Dans la mesure où l'aire francophone rassemble un nombre important de pays qui ont une langue, une culture, des valeurs, des procédures parfois, en partage, un gisement d'opportunités est ouvert, qui doit pouvoir être bénéfique pour tous les partenaires. L'Afrique francophone, même confrontée aux difficultés que l'on connaît, constitue une zone à privilégier et des initiatives sont à prendre pour concrétiser cet atout.

En outre, pour notre mission, la question francophone ne se pose pas seulement en termes institutionnels, autour de l'OIF, de ses membres, et de l'action qu'elle conduit. Elle se pose en termes de rayonnement, d'influence. Nous avons travaillé sur les trois dimensions du sujet : celle des pays francophones, bien sûr, celle des pays non francophones, et celle de la France même, et pour chacune de ces aires géographiques, nous avons abordé les enjeux culturel, éducatif et économique.

Nous avons procédé à plus d'une trentaine d'auditions avec des personnalités de tous horizons, de tous secteurs, publics ou privés, universitaires, politiques, représentants de la société civile ou des milieux culturels, qui tous partagent une même préoccupation et un même enthousiasme pour le français et, au-delà, pour la diversité culturelle. Nous avons aussi organisé des tables rondes, avec les milieux d'entreprises ou publicitaires.

La mission a aussi effectué des déplacements, auxquels j'ai regretté de ne pouvoir participer. Le plus important s'est fait au Québec. Il nous a semblé intéressant d'aller étudier sur place les politiques que mettent en oeuvre nos amis Québécois en matière de défense et de promotion du français dans un environnement qui n'est pas favorable, afin de retenir quelques axes dont nous pourrions nous inspirer. Au cours de ses trois étapes, Québec, Montréal et Ottawa, la délégation a eu des entretiens sur l'ensemble des problématiques politiques, institutionnelles, culturelles, universitaires et économiques. De nombreuses rencontres ont été organisées avec l'Assemblée nationale du Québec, avec plusieurs membres du gouvernement, avec les universités et les chercheurs, les milieux économiques et enfin, avec les responsables du dispositif institutionnel de défense du français : Conseil supérieur de la langue française, Centre de la francophonie des Amériques, Office québécois de la langue française, Commissariat aux langues officielles, pour ne citer que ceux-ci. Le rapporteur s'est également déplacé à Bruxelles, pour étudier la défense et la promotion du français dans un pays francophone dans lequel la question linguistique fait débat, et il a également effectué un déplacement à Nice, en marge des Jeux de la francophonie, qui lui a permis de s'entretenir avec un certain nombre de délégations étrangères présentes.

Notre rapport se présente en deux grandes parties. La première propose de recentrer le projet francophone sur notre langue. C'est l'occasion de dresser un état des lieux de la francophonie dans les différents cercles géographiques. Le français est une langue majeure au niveau international, par le nombre de ses locuteurs, par son statut au sein des organisations internationales, par l'OIF aussi, mais il n'est pas dit que les choses soient stabilisées et garanties pour l'avenir. Ne serait-ce qu'au sein du système multilatéral, non seulement l'anglais s'impose mais d'autres langues tendent à s'affirmer et l'on ne peut exclure un effacement progressif du français. Dans un certain nombre de pays francophiles, on constate en outre un recul des positions de notre langue, que nous analysons. Dans notre pays on constate une désinvolture à l'égard de notre langue qui choque les autres pays francophones pour lesquels tout se passe comme si la défense et la promotion du français n'intéressaient pas notre pays.

Cet état des lieux appelle une réaction de notre part. Il était donc essentiel, pour la mission, de travailler dans plusieurs directions avec, un noyau dur, un premier cercle de pays francophones. De notre analyse sur la place du français dans le monde, nous proposons un certain nombre de pistes pour conforter la place du français partout où cela est nécessaire, y compris en France, ainsi que dans les organisations internationales et européennes. La seconde partie du rapport aborde des questions d'avenir. Nous développons le sujet de la francophonie économique pour laquelle des pistes sont à explorer sur les formations professionnelles, les normes, les investissements, les partenariats à imaginer au sein de l'espace francophone et notamment avec les pays africains. Nous traitons aussi la question de la science et de la recherche en français, forts de la conviction qu'il est possible d'organiser un pôle francophone universitaire, attractif tant pour les étudiants francophones que non francophones. Enfin, nous abordons un dernier sujet, celui de la francophonie populaire. La francophonie, c'est une culture, des oeuvres, des spectacles. Il est essentiel qu'ils soient diffusés et qu'ils circulent. Nous formulons ici aussi quelques recommandations pour à la fois renforcer le sentiment d'appartenance à cette communauté et conforter son rayonnement international. Vous l'aurez compris, notre ambition, celle du rapporteur, aura été tout au long de cette réflexion de redonner au français les moyens de son attractivité mondiale, de son rayonnement, non seulement dans son aire géographique traditionnelle, mais aussi au-delà, dans les divers domaines qu'il couvre. Il ne s'agit pas pour nous d'être dans une posture défensive, qui serait contreproductive, mais au contraire dans une vision dynamique. Notre conviction est que le français est une langue d'avenir, qui a toute sa place dans la culture mondiale, et sur laquelle il est temps que nous nous mobilisions.

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