Intervention de Jacques Tankéré

Réunion du 22 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Jacques Tankéré, président de MDB Texinov :

Même si je ne suis pas persuadé que notre entreprise soit exemplaire, je vais essayer de vous expliquer qui nous sommes, quels sont les éléments clés de la stratégie menée par une entreprise industrielle pour créer des emplois, et de réfléchir avec vous aux interactions qu'elle entretient avec l'environnement économique. On ne saurait de ce point de vue sous-estimer l'importance des lois que vous votez.

Texinov est une PME située à la Tour du Pin, que j'ai reprise en 2005, après une carrière de cadre dans un grand groupe. Elle réalisait alors un chiffre d'affaires de cinq millions d'euros et employait une quarantaine de personnes ; son chiffre d'affaires est aujourd'hui de douze millions d'euros et elle emploie soixante-cinq personnes.

Notre domaine est celui des textiles dit techniques ou intelligents, et à l'origine notre entreprise est d'abord une équipe d'ingénieurs et de techniciens passionnés de technologie. Nous avons su développer également notre force de vente, puisque nous exportons 65 % de notre production en Europe de l'Est, en Russie, en Afrique, au Canada, en Australie depuis le mois d'août, et j'espère au Brésil dans quelques mois.

Nos deux sites de production en technologie maille jetée comptent en tout soixante-dix machines qui produisent vingt millions de mètres carrés par an.

Nous sommes les seuls fabricants français de géotextiles de renforcement à destination du génie civil. Il s'agit de textiles dont la résistance va de dix à près de deux cents tonnes par mètre linéaire, destinés à la construction d'infrastructures routières dans toutes les situations géologiques possibles. Dans cette spécialité, nous ne comptons que deux ou trois concurrents en Europe, et nous nous attachons à gagner de nouvelles parts de marché au niveau mondial. Ce secteur représente à peu près 60 % de notre chiffre d'affaires.

Nous produisons également des agrotextiles. En France et en Europe du Nord, nous sommes leader du marché du filet anti-insectes, qui permet de limiter l'usage de pesticides. Nous fabriquons également des écrans climatiques, afin de limiter la consommation d'énergie des serres, voire de leur permettre de récupérer – c'est en projet – de l'énergie à travers des écrans photovoltaïques.

Nous sommes également présents sur le marché des textiles médicaux, destinés à la réalisation de pansements ou d'implants. Nous produisons aussi des composites pour le transport ou le bâtiment.

Toutes ces productions ont pour point commun une technologie spécifique à fort potentiel d'innovation via l'introduction dans nos textiles de matières très variées – fibres optiques, fibres métalliques, etc. Nous réinvestissons 10 % de notre chiffre d'affaires dans la R&D, à laquelle se consacrent une dizaine de nos salariés. Cet investissement a été rendu possible par le soutien d'OSEO-ANVAR puis de la BPI, par le crédit impôt recherche, le CIR, et par notre participation à des projets européens.

Je voudrais maintenant vous exposer les facteurs de notre succès. Nous sommes une équipe de passionnés, et nous concevons des produits qui n'existent nulle part ailleurs. J'ose dire que nous sommes les meilleurs en Europe dans la technologie de la maille jetée. Cela suppose une équipe technique composée d'ouvriers, de techniciens, d'ingénieurs. Nous sommes sur des marchés porteurs. Tous les pays en développement ont besoin d'infrastructures. Les marchés agricoles se développent, en quantité comme en qualité, tout comme ceux du matériel médical, du transport et du bâtiment. Notre savoir-faire nous permet une production différenciée. Notre actionnariat est stable et industriel : je n'ai pas de banque à mon tour de table. Notre objectif n'est pas de distribuer des dividendes ; il est de développer l'entreprise et d'en assurer la pérennité en constituant des réserves qui nous permettent de supporter d'éventuelles turbulences.

Le triptyque innovation – 10 % de notre chiffre d'affaires –, export – 65 % –, investissement – 6 % du chiffre d'affaires – est évidemment un facteur clé de réussite.

Les mesures de soutien à l'innovation à destination des PME constituent bien sûr un facteur favorable, à condition de savoir les utiliser, et je vous félicite de les avoir votées. Les PME bénéficient également du soutien des régions et des départements. Ce soutien n'est pas seulement financier : ce sont aussi des échanges, des rencontres avec les politiques.

Je me permettrais cependant de pointer certains domaines dans lesquels il est urgent de progresser, même s'il y a quelques éléments qui vont dans le bon sens, et j'espère que vous continuerez à y travailler avec détermination.

La rentabilité des entreprises reste insuffisante. Avec une rentabilité située entre 4 et 8 %, je n'ai certes pas à me plaindre. Elle reste cependant insuffisante pour assurer les investissements nécessaires à notre développement, tant en France qu'à l'étranger, alors que nous en avons la capacité. Le poids de l'impôt et des taxes, la complexité administrative, celle du code du travail, je vous le dis sincèrement : parfois j'en ai assez. Tout ce qu'on a pu en dire est encore bien en deçà de la réalité. Certes un chef d'entreprise doit s'adapter à son environnement. Mais il faut savoir que ce n'est pas huit heures par jour que nous consacrons à notre entreprise, ce n'est pas dix : c'est douze ou quatorze heures, et cela six, voire six jours et demi par semaine. Ce n'est pas conciliable avec une vie de famille, même si c'est passionnant.

À mes débuts, en 1981, année des lois Auroux, le code du travail pesait cinq cents grammes : il pèse aujourd'hui 1,5 kg. Il éteint la passion, il étouffe l'excellence. De grâce comprenez-moi bien : mon propos n'a aucun caractère politique, c'est un pur et simple constat. C'est parce que j'aime mon pays, parce que je défends l'industrie que je vous demande d'aller beaucoup plus vite. À quand un « choc » de confiance dans nos métiers ? Quand sortira-t-on de cette conception archaïque du travail ? Je voudrais vous citer un de mes salariés qui, passionné par ce qu'il faisait, m'a dit : « Avant j'avais un travail ; maintenant j'ai un métier ». Je me souviens également d'une boutade de Laurent Fabius : alors qu'on l'interrogeait il y a quelques années sur les trente-cinq heures, il avait dit être très étonné de l'énergie déployée par une personne travaillant deux fois trente-cinq heures pour mettre en place les trente-cinq heures ! Je vous pose la question, mesdames, messieurs : pourriez-vous accomplir votre tâche avec passion en comptant le temps que vous y consacrez ?

J'irai plus loin : ce fardeau des trente-cinq heures est antidémocratique en ce qu'il interdit l'excellence. Imagine-t-on un virtuose qui compterait le temps qu'il passe à faire ses gammes ou à répéter ses morceaux ? Je finirai par une dernière anecdote. Mon épouse enseignante déplorait un jour que ses élèves ne progressent pas faute de travailler en dehors de la trentaine d'heures de cours obligatoires. Pourquoi veux-tu qu'ils travaillent plus que leurs parents, lui ai-je répondu ?

J'espère que vous me pardonnerez de m'être laissé aller à ces quelques réflexions de bon sens. Je crois que tous nos témoignages ont montré que la France a de l'avenir, pourvu qu'on arrive à susciter un choc de confiance dans nos métiers.

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