Intervention de Laurent Picard

Réunion du 22 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Laurent Picard, directeur-général de Bookeen :

Les grandes enseignes françaises ont choisi de travailler avec l'un de nos concurrents américains. Mais ce choix comporte des risques : ces concurrents offrent sur un plateau une solution clé en main aux entreprises européennes mais celles-ci, en retour, leur font cadeaux de leurs clients. Avec ce modèle économique, elles scient la branche sur laquelle elles sont assises.

Aux États-Unis, Borders, deuxième chaîne de librairies, a sous-traité à Amazon son offre numérique. Amazon a siphonné la base de clients et Borders a dû fermer il y a deux ans des centaines de librairies. On peut citer en France l'exemple de Chapitre. La stratégie en Europe est à court terme, sur un ou deux ans, quand aux États-Unis elle est pensée sur dix ans.

OSEO a été d'une grande aide pour Bookeen. L'établissement nous a accordé les prêts que nos banques refusaient. En France, personne ne croit à votre business plan, aussi prometteur soit-il, si votre chiffre d'affaires initial est microscopique.

La BPI nous a aidés en cautionnant les prêts bancaires que nous avons finalement obtenus. Les banques ont joué leur rôle dès lors que nous avons fait nos preuves.

Le CIR a été très utile mais nous venons seulement de percevoir les fonds correspondant à 2012. Nous nous arrangeons avec cette anomalie à laquelle s'ajoutent les contrôles fiscaux. Nous ne comprenons pas la raison de ces tracasseries administratives. J'espère que cela va évoluer dans le bon sens.

Nous travaillons très bien avec Ubifrance grâce auquel nous avons installé un ingénieur en Chine et nous faisons de la prospection commerciale.

Nos entreprises ont en commun de devoir innover pour se différencier sur le marché mondial. Nous accordons une grande importance à la R&D. Nous faisons face à des grands groupes mondiaux qui disposent de ressources considérables. Booken compte 50 % d'ingénieurs et 90 % de contrats à durée indéterminée. L'excellence technologique française est reconnue dans le monde entier. Mais pour innover, nous sommes confrontés au problème de la flexibilité du travail.

Je rejoins mon collègue sur les 35 heures. Je constate un schisme dans la culture du travail entre les ingénieurs de 25 ans et ceux de 40. Pour ces derniers, le travail demeure un pilier de la vie. Les jeunes ingénieurs, qui sont arrivés sur le marché du travail avec les 35 heures, n'ont pas la même mentalité. Je dois leur faire comprendre qu'ils font partie d'une aventure. Ils font preuve d'une psychorigidité sur le temps de travail qui va à l'encontre de la dynamique de l'entreprise. En outre, les 35 heures n'ont pas eu d'effet sur la création d'emplois.

Certaines années, l'innovation réclame des investissements importants sur de nouveaux projets de R&D qui nécessitent d'embaucher. Mais, d'autres années, la voilure devra être réduite. Pour nous adapter, nous ne bénéficions pas de la même flexibilité que dans de nombreux pays. Il est beaucoup plus difficile de signer un CDI en France. Il faut en tenir compte dans la concurrence.

Dernière difficulté, l'investissement. Nous sommes passés de zéro à quinze millions d'euros de chiffre d'affaires, avec une seule levée de fonds de 1,5 million d'euros pour alimenter notre fonds de roulement. Nous avons réinvesti en dix ans presque tous les bénéfices. Cet autofinancement nous a permis d'embaucher mais le réinvestissement a ses limites. Nous savons que nous avons le potentiel pour réaliser 50 millions de chiffre d'affaires mais nous ne le ferons probablement pas car nous ne parvenons pas à trouver les investisseurs nécessaires pour nous accompagner. Il existe des fonds d'amorçage pour les start-up – nous en avons bénéficié en 2009 – et des fonds d'investissement pour les entreprises qui réalisent de très gros chiffres d'affaires. Mais entre les deux, vous ne trouvez pas les fonds de capital-risque désireux d'investir. Il y a vingt ans de décalage entre les États-Unis et l'Europe dans la culture du capital investissement. Nous sommes donc limités dans notre développement. Nous avons 10 000 idées, nous pourrions embaucher 30 ingénieurs mais nous n'avons pas les fonds pour le faire là où nos concurrents américains peuvent sans difficulté lever 50 ou 100 millions de dollars.

Il n'y a pas de culture de l'investissement. Les investisseurs rêvent de Google et de Facebook et n'acceptent pas d'envisager des business model différents. Notre entreprise combine hardware et software. Le premier constitue un handicap car les investisseurs ne croient pas au potentiel français dans ce domaine. Pourtant il existe de très belles sociétés comme Parrot. Nous sommes freinés pour nous développer sereinement.

Nous avons mis en place un plan de participation pour les années 2012, 2013 et 2014. Les salariés ont bénéficié d'un intéressement en 2012. Je l'utilise comme un outil de motivation des salariés. La participation favorise l'émulation. Les salariés sont partie prenante de l'aventure, y compris financièrement.

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