Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du 4 février 2014 à 15h00
Renforcement de la lutte contre la contrefaçon — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 20 novembre, après engagement de la procédure accélérée, le Sénat a adopté la proposition de loi du sénateur Yung, tendant à renforcer la lutter contre la contrefaçon. Du reste, le titre est identique à celui de la loi du 29 octobre 2007 dont j’avais eu l’honneur d’être le rapporteur à l’Assemblée et dont l’initiative revenait déjà au Sénat. Les parcours sont très proches et nous ferons en sorte de respecter le parallélisme des compétences et des formes !

Les objectifs poursuivis sont les mêmes, qui ne peuvent que recueillir l’approbation de tous les bancs de l’Assemblée nationale. Je salue d’ailleurs très sincèrement le travail de notre rapporteur Jean-Michel Clément. Il est parfois des occasions de polémique, il est aussi, heureusement, des occasions de se réunir et de saluer le travail de collègues.

Cette révision, d’une certaine façon, et l’approfondissement de la loi de 2007, vise à mieux combattre la contrefaçon qui est en pleine expansion.

Certes la contrefaçon n’est pas un phénomène nouveau. On renverra, par exemple, au musée qui lui est consacré à Paris où de nombreux produits contrefaisant des originaux sont exposés et dont certains remontent à l’époque romaine. Le plagiat existait bien dès l’Antiquité ! Sous la Rome Antique, l’usurpation de la marque était déjà sanctionnée par une loi « de falsis ». On reconnaît bien le terme français qui en a découlé. Je passerai rapidement la période de Charles Quint et des édits du monarque espagnol qui assimilait les contrefacteurs à de faux-monnayeurs et les exposait à l’ablation du poignet ! Enfin, en France, les activités de contrefaçon ont été considérées comme un crime jusqu’à l’adoption de la loi du 23 juin 1857, qui les a rangées – simplement allais-je dire – dans la catégorie des délits.

La contrefaçon menace tout à la fois, la création, l’investissement, la propriété intellectuelle mais aussi, de plus en plus, la sécurité et la santé des consommateurs. Et que dire de l’emploi ? Une étude menée dernièrement par Frontier Economics évalue les pertes d’emplois dans les pays du G20 à 1,2 million par an, auxquels l’on peut ajouter les 38 000 emplois précédemment évoqués !

Quantifier le phénomène est sans doute délicat – nous avons bien vu que les chiffres pouvaient différer entre ceux de Mme la ministre, du rapporteur et peut-être les miens mais les grandes masses sont là et peu importe l’exactitude au centime d’euro près puisque, par définition, une part de l « économie de la contrefaçon » échappe aux statistiques. Il est en tout cas incontestable que la contrefaçon a pris un essor important avec l’accroissement des échanges commerciaux ces dernières années, l’organisation de véritables mafias et le développement du numérique, d’Internet.

Ainsi, les échanges de produits contrefaisants représenteraient près de 10 % des flux commerciaux mondiaux, peut-être entre 450 et 500 milliards d’euros de profits annuels. Certains parlent d’un peu plus, d’autres d’un peu moins. Ce qui est certain, c’est que c’est autant de préjudice pour les entreprises et les auteurs détenteurs de droits de propriété intellectuelle.

Au-delà de la négation de la propriété intellectuelle, les préjudices économiques sont importants.

Les risques sont par ailleurs de plus en plus manifestes pour les consommateurs. De nouveaux visages de la contrefaçon sont apparus. Le luxe, longtemps mis en avant, n’est plus seul touché. Toutes les fabrications destinées au grand public peuvent être concernées : le textile, bien sûr, l’électrique – je pense à des disjoncteurs d’une grande marque contrefaits en Chine –, mais aussi les pièces détachées automobiles, comme les plaquettes de frein, des aliments, par exemple le lait pseudo-maternisé, voire des médicaments ou même des dispositifs médicaux. Tout peut y passer ! Et que dire du secteur électronique : vidéo, logiciels, oeuvres musicales – j’en passe et des meilleures.

En prenant une autre grille d’entrée, on constate que désormais la contrefaçon ne se limite plus aux produits à forte valeur ajoutée – joaillerie, maroquinerie, parfum, prêt à porter – ou de diffusion à grande échelle – logiciels, vidéo – mais porte aussi sur des produits ordinaires – jouets, alimentation – voire de la vie courante – les boissons, par exemple.

Compte tenu de cette large diffusion, facilitée par des achats sur internet et de l’absence de garantie de sécurité, les consommateurs peuvent être en danger.

Au-delà, certains, comme James Moody, ancien responsable de la division de la criminalité organisée et de la drogue du FBI américain, ont même affirmé que la contrefaçon deviendrait l’activité criminelle du XXIe siècle. Des réseaux terroristes et mafieux sembleraient bien s’en être emparés. J’avais fait le constat en 2007, au moment de préparer mon rapport lors de la première loi relative à la contrefaçon. C’est encore plus vrai aujourd’hui.

Il importe donc de conforter les moyens juridiques nationaux, sans oublier les supranationaux, pour lutter contre un fléau en pleine expansion.

Dans ce domaine la France a une longueur d’avance, notamment sur le plan historique. On rappellera pour mémoire que les droits français des brevets et des marques remontent respectivement aux lois du 5 juillet 1844 et du 23 juin 1857 et que la protection du droit d’auteur trouve son origine dans un texte presque magnifique datant du 27 juillet 1793.

Plus proche de nous, la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon a permis la transposition d’une directive européenne, relative au respect des droits de la propriété intellectuelle, des adaptations nécessaires à la mise en oeuvre d’autres textes communautaires, sans oublier un renforcement de l’efficacité de l’action des services de l’État notamment.

Plus de six ans après l’adoption de cette loi, au vu des enjeux, il importe de renforcer la lutte contre la contrefaçon. Plus que jamais, la France doit affirmer avec clarté sa volonté en ce domaine.

Le texte qui arrive du Sénat reprend des préconisations d’une mission d’information initiale conduite par les sénateurs Béteille et Yung. Auteurs d’une première proposition de loi qui n’a pas prospéré, ils affichaient en 2011 une volonté forte de renforcer les instruments juridiques de lutte contre la contrefaçon. La présente proposition de loi, à l’initiative du sénateur Richard Yung, par ailleurs président du comité national anti-contrefaçon, où il a succédé à Bernard Brochand, à qui je rends hommage, a peut-être quelque peu amoindri la portée de certaines préconisations initiales, mais traduit néanmoins un engagement constant.

Il conviendra dans nos débats parlementaires, par des amendements – le rapporteur en a déposé, moi aussi – d’insister encore et de renforcer notamment l’indemnisation des dommages et intérêts, la saisie contrefaçon, le transit et l’aggravation des peines.

À ce stade de la discussion générale, je voudrais cependant appeler votre attention sur trois points. Je passerai rapidement sur le premier puisque j’ai bien compris que nous y reviendrons plus longuement au cours de nos débats : les obtentions végétales, les semences de ferme. Nous devons en effet trouver un juste équilibre entre la recherche, la propriété intellectuelle, les besoins d’un certain nombre de grands groupes et d’entreprises et la réalité du quotidien des agriculteurs. Une vision excessive serait préjudiciable. Je me rangerai sans doute aux arguments de notre rapporteur, mais n’anticipons pas sur les débats.

Je voudrais revenir également sur l’inquiétude des entreprises de l’express, les « expresseurs » – terme peu élégant, je le reconnais. Cette profession s’inquiète des articles 12 et 13 de la proposition de loi, l’article 13 visant la collecte de toutes les données relatives au transport par fret express de marchandises au sein des frontières de l’Union européenne – notre rapporteur a, par amendement, ajouté la France. L’on ne peut nier qu’il y ait une certaine incompréhension sur le sujet car l’essentiel des saisies de contrefaçons échappe à leur réseau qui représente environ 5 % alors que le fret maritime représenterait 55 % et le fret routier 19 %. Or, ces deux derniers ne sont pas concernés par le texte, dans un premier temps en tout cas. J’ai entendu que la situation pourrait évoluer. Notre collègue Dolez soulignait de surcroît les contradictions de certaines dispositions avec la loi informatique et libertés, en particulier son article 32, peut-être aussi quelques difficultés de conciliation avec des principes relatifs à la libre circulation des marchandises. Nous devrons revoir tout cela. La main est en tout cas tendue.

L’article 12 autorise les services des douanes à pénétrer dans les locaux sans autorisation d’un juge. L’on peut comprendre l’intérêt d’une telle mesure mais aussi ses risques. Là encore, je me réjouis de pouvoir en débattre en séance. Le Gouvernement et le rapporteur nous permettront, je le pense, d’avancer sur ce sujet.

Le dernier point se rapporte aux conséquences d’une question prioritaire de constitutionnalité dont a été saisi le Conseil constitutionnel le 1eroctobre 2013 par la Cour de cassation. La décision a été rendue le 29 novembre 2013.

Les deux articles 60 et 63 du code des douanes permettent aux agents de l’administration des douanes de visiter tous les navires, en toutes circonstances, que ce soit dans la zone maritime du rayon d’action des douanes, mais encore lorsque les navires se trouvent dans un port, en rade ou oscillent le long des rivières et canaux. Ces visites peuvent se dérouler de jour comme de nuit et sans l’autorisation d’un juge. Aucune voie de recours n’est prévue pour encadrer la mise en oeuvre des mesures de contrôle. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette absence contrevenait directement à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

L’abrogation entrerait en vigueur le 1er janvier 2015 et il faut prévoir un dispositif, sinon nous serons confrontés à de grandes difficultés.

En tout état de cause, ne boudons pas notre plaisir car nous tenons là un texte qui peut nous réunir. N’oublions cependant pas que, pour être efficace, la lutte contre la contrefaçon a besoin d’une lutte à l’échelle européenne, mondiale, et nécessite que les coopérations internationales soient renforcées.

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