Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du 4 février 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et l'Homme :

Si j'étais vraiment pessimiste, comme plusieurs d'entre vous semblent le penser, je consacrerais moins d'énergie à mon engagement. L'optimisme et le pessimisme sont les deux faces d'une même médaille, qui a nom la capitulation. Que l'on soit optimiste et que l'on pense que tout finira par s'arranger, ou que l'on soit pessimiste et que l'on considère que tout est perdu, dans les deux cas, on s'en remet au destin. Même si chaque jour peut être grande la tentation de se résigner, il faut au contraire se garder de tout fatalisme. Au vu du temps qui a été nécessaire à la prise de conscience, préalable à toute action, et de la vitesse à laquelle on est ensuite passé de l'indifférence à une forme d'impuissance, on peut certes douter du moment où s'engagera vraiment la mutation. Mais d'un pessimisme de la raison, il faut passer à un optimisme de la volonté.

L'enjeu écologique et l'enjeu social sont intimement liés. Partout, les premières victimes de la crise écologique sont les plus démunis, et ces victimes se comptent déjà par centaines de milliers. Dans certains pays du Sud, les souffrances sont déjà quotidiennes. Si nous ne concluons pas aujourd'hui de pacte de responsabilité planétaire, ce sont tous nos enfants qui souffriront demain. Il en va rien moins que de l'avenir de l'humanité. Du temps du commandant Cousteau déjà, on évoquait le sort des générations futures, mais on pouvait croire alors qu'on visait le XXIIe siècle. Or, c'est aujourd'hui, en ce XXIe siècle, que tout va se décider. Il y a de quoi être inquiet car il est extrêmement difficile de tenir compte à la fois du court terme et du long terme. Selon les lunettes que l'on chausse, ce ne sont pas les mêmes décisions qui semblent s'imposer. Si l'on regarde à court terme, on encouragera par exemple sans réserve l'exploitation des gaz de schiste, alors que si on porte le regard plus loin, d'autres arguments prévaudront. C'est la combinaison de ces deux horizons qui rend l'équation du développement durable si difficile à résoudre. Il n'existe pas de solution simple. Il n'y a que des problèmes complexes, appelant des solutions complexes.

À un tel carrefour, on ne pourra s'accommoder plus longtemps des postures et des clivages traditionnels. Rassemblons-nous pour être les plus créatifs possible : il n'y a pas d'alternative. Mais ce n'est pas dans l'épaisseur du trait que pourront s'opérer les changements nécessaires. C'est de cap qu'il faut changer. Nous n'avons pas d'autre choix que de nous engager à fond dans la transition écologique, porteuse d'ailleurs d'un modèle économique grâce auquel on peut espérer réindustrialiser une partie de la France et de l'Europe. Il n'est pas possible d'attendre et de laisser faire en pensant que notre modèle économique pourrait continuer de prospérer. La Banque mondiale elle-même, que l'on ne peut soupçonner de parti pris – les experts du GIEC sont parfois plus contestés, alors qu'eux non plus n'ont aucun parti pris – explique fort bien que la crise écologique, et tout d'abord la crise climatique, aura un coût économique considérable.

Soyons volontaristes, faisons preuve d'imagination et acceptons de changer de modèle. La phase de transition est difficile car il faut investir, alors même qu'il existe une grande part d'inconnu sur le futur. Mais la seule chose certaine, en revanche, est que, sur la trajectoire actuelle, il ne saurait y avoir de dénouement heureux pour quiconque.

Notre rôle, le mien comme le vôtre, n'est pas facile. Il nous faut à la fois montrer que le chemin actuel mène à une impasse mais aussi, et c'est là qu'il nous faut probablement faire preuve de plus de pédagogie, montrer qu'il en existe un autre, praticable, et même séduisant, et que les enjeux économiques, sociaux et écologiques ne sont pas incompatibles. La préoccupation sociale et la préoccupation écologique sont au contraire intimement liées. Il suffit pour s'en convaincre de songer aux centaines de milliers de foyers confrontés dans notre pays à la précarité énergétique.

Est-ce que j'en appelle à Dieu car seul un miracle pourrait maintenant nous sauver ? Même si la conférence de Copenhague n'a pas été un échec total, force est de constater qu'elle n'a pas permis de placer la communauté internationale sur la trajectoire que recommandent les scientifiques et les experts. En 2015, lors de la conférence de Paris, l'humanité aura donc rendez-vous avec elle-même. On ne peut se permettre un nouvel échec, qui mènerait sur une voie irréversible. Ce rendez-vous est donc crucial. Le rôle de la France, qui ne fait qu'accueillir cette conférence des parties, est limité. Nous pouvons créer un cadre apaisé, et déjà, avec l'Union européenne, nous montrer exemplaires, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui. Nous pouvons surtout dialoguer et écouter les points de vue de chacun.

Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par le Président de la République, j'ai rencontré l'an passé de nombreux responsables politiques internationaux. Chaque pays, à sa manière, développe d'excellents arguments pour ne pas agir tout de suite, mais plus tard, se dédouaner de sa responsabilité, ou encore ne vouloir s'engager que lorsque tel autre pays aura fait de même. Sur cette pente, on va vers un blocage des négociations en 2015. Si l'on pense vraiment que l'enjeu est crucial, il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir. Quelqu'un s'est étonné l'autre jour auprès de moi que j'aie rencontré le pape pour parler d'environnement, comme si cela était déplacé. Mais est-ce déplacé quand la pollution atmosphérique tue déjà sept millions de personnes par an ?

Parce que nous sommes à un carrefour de civilisation et parce que demeurera toujours la question fondamentale du sens, oui, à côté des réponses politiques, technologiques, économiques qui pourront être apportées, il est bon que les Églises et les intellectuels s'engagent. Vous évoquiez le progrès et la révolution numérique. Nous aurons besoin de tout le génie humain. Mais encore faut-il donner un horizon et dire où faire porter l'effort. On ne peut continuer de se disperser sur tous les fronts. Il faudra, à un moment, fixer les priorités pour orienter l'effort de recherche et les investissements. Pour moi, la priorité absolue doit être accordée à la transition écologique, et tout l'effort porter là-dessus.

Je me suis rendu au Vatican car je pense que les autorités religieuses doivent mettre les responsables politiques devant leurs responsabilités. L'Histoire retiendra celles et ceux qui auront tenté de débloquer le processus pour l'échéance de 2015 et pointera du doigt celles et ceux qui auraient laissé le monde entier basculer dans l'irréversible.

Il faut jouer à la fois sur les deux registres de l'inquiétude et de la créativité.

Les ONG, les hommes et les femmes politiques, qu'ils soient élus sur le plan national ou sur le plan local, où en effet le changement est parfois en marche de manière plus probante, sont-ils capables de se retrouver sur ces sujets-là ? Il peut exister des divergences sur les modalités de la transition énergétique par exemple, mais cela doit-il occulter tous les autres points sur lesquels nous pouvons être d'accord ?

Avant d'en venir aux outils, je voudrais insister sur un préalable, que j'avais déjà évoqué dans Pour un pacte écologique : je ne suis pas certain qu'il existe des solutions de droite ou des solutions de gauche pour répondre à des problèmes comme ceux que nous évoquons ici. Dès lors qu'il s'agit de l'avenir de nos enfants, le préalable me paraît être de dépasser la petite politique politicienne.

Pour le reste, ne me demandez pas de décrire ici une boîte à outils que je ne possède pas. Je n'en ai d'ailleurs pas les compétences. Ma fondation a son propre think tank et travaille sur divers outils, non encore finalisés.

Pour s'engager résolument dans la transition énergétique et écologique, orienter les filières de production, les comportements de consommation, et tout le modèle économique dans le bon sens, plusieurs changements sont nécessaires.

Le premier d'entre eux est ce que j'appellerai le basculement des régulations. Le dénominateur commun de toutes les crises actuelles – crise financière, crise économique, crise écologique, crise du capitalisme, lequel est bien en crise de par ses excès – est notre incapacité à nous fixer des limites. Or, la finitude même de la planète nous impose des limites. Point n'est besoin d'être Prix Nobel pour comprendre qu'une croissance infinie n'est pas possible dans un monde fini. Ne vous méprenez pas, je ne défends pas ici la décroissance. Les écologistes ne sont pas « contre tout ». Ils souhaiteraient même que certaines choses se développent très vite, mais pensent en revanche que d'autres devront être régulées pour des raisons sociales ou écologiques, et qu'il va nous falloir changer certains comportements afin de ne pas subir violemment la pénurie. Hélas, ce sujet central de la régulation n'est pas aujourd'hui abordé de manière cohérente. Ainsi, d'un côté se tiennent des assises de la fiscalité, tandis que de l'autre, travaille un comité pour la fiscalité écologique. Ces deux instances croiseront-elles leurs réflexions ?

Le principe en matière fiscale devrait être de taxer ce qui est négatif et de favoriser ce qui est positif. C'est pourquoi il faudrait réfléchir en un même mouvement sur la fiscalité en général et sur la fiscalité écologique en particulier. Tant que l'on donnera, à tort ou à raison, le sentiment que cette dernière est une fiscalité additionnelle, elle ne pourra qu'être rejetée. Lorsqu'on sera parvenu à faire comprendre que la fiscalité écologique, pour la plupart des acteurs économiques et des particuliers, n'entraînera pas de hausse de la pression fiscale, qu'elle ne vise qu'à inciter à des comportements vertueux afin de limiter la pollution et d'économiser l'énergie, les matières premières et les ressources naturelles, et que tous peuvent en attendre des gains de pouvoir d'achat, on pourra y réfléchir de manière rationnelle. Certains pays scandinaves se sont engagés sur cette voie de la vertu écologique et ont mis en oeuvre de profondes réformes fiscales, sans que leur compétitivité économique n'en soit affectée.

Le débat sur la transition énergétique en France a été un très bel exemple de dialogue et de concertation, de processus démocratique associant experts, ONG, scientifiques, collectivités, organisations syndicales… Mais après ce foisonnement, il y a, hélas, eu beaucoup de perte en ligne – c'est notamment vrai de la conférence environnementale. On a pu avoir le sentiment, une fois les débats achevés, que des discussions se poursuivaient dans l'ombre.

La transition énergétique, élément clé pour le futur, doit privilégier deux priorités, sur lesquelles chacun s'accorde mais qui vont se heurter au problème du financement. Quel que soit le modèle énergétique retenu, l'efficacité énergétique est la priorité des priorités. L'énergie est devenue le premier facteur de compétitivité. Aussi toute énergie qu'on pourra ne pas consommer, à service et confort égal, est-elle bienvenue. Nos entreprises savent parfaitement faire en ce domaine, pourvu que les règles soient clairement fixées. Plusieurs d'entre elles, françaises et européennes, ont, il y a peu, interpellé la Commission européenne pour que soient durcies les normes d'écoconception. Elles avaient elles-mêmes calculé que des économies se chiffrant en milliards d'euros pourraient en résulter, à leur profit mais aussi au profit des consommateurs, que cela pourrait permettre de créer un million d'emplois et d'éviter le rejet dans l'atmosphère de 500 millions de tonnes de gaz à effet de serre. C'est ce cercle vertueux qu'il faut enclencher.

La deuxième priorité est celle des énergies renouvelables. Certains peuvent encore être tentés de les opposer, de manière caricaturale, à l'énergie nucléaire par exemple, en expliquant que ce n'est pas celles-là qui remplaceront celle-ci. Mais elles n'en sont qu'au début de leur développement. La situation sera différente lorsqu'elles feront vraiment partie du bouquet énergétique, d'autant que les évolutions vont être beaucoup plus rapides qu'on ne le pense en matière d'efficacité énergétique. Comme je l'ai constaté à l'occasion de deux voyages récents en Chine et aux États-Unis, ces deux pays ont parfaitement intégré qu'une grande partie de la solution passait par les énergies renouvelables. Parmi ces énergies, il y a bien sûr l'éolien, le solaire, la biomasse, notamment la filière bois sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, la géothermie, mais aussi les énergies marines – il en existe plusieurs sources, qui toutes présentent l'avantage de n'être pas intermittentes. Dans ce domaine, la France possède un énorme potentiel. Mais là encore, du retard a été pris, et du temps va s'écouler entre les expérimentations et le développement des solutions sur le plan industriel. Il faut progresser sur la question du stockage de l'énergie produite de façon intermittente. Certains pays avancent d'ailleurs à grands pas dans ce domaine. Une fois cette difficulté maîtrisée, la vision du potentiel des énergies renouvelables sera toute autre.

La mise en oeuvre de ces deux priorités est bien sûr conditionnée par les financements. Je vous invite à prendre connaissance des propositions de notre fondation, qui a travaillé sur les enjeux du financement à long terme. J'espère notamment que la Banque publique d'investissement (Bpi) fléchera en priorité ses crédits vers ces enjeux-là. J'aurais souhaité que, dans le futur pacte de responsabilité, certaines aides soient subordonnées à certains investissements ou orientations, bref que l'on dope l'activité économique en France dans le sens que l'on souhaite.

Un mot sur les gaz de schiste. On essaie de nous culpabiliser en nous expliquant que ce sera de notre faute si notre pays rate le train de l'innovation et s'enfonce dans le déclin économique. Je n'ignore pas qu'en peu de temps, les États-Unis sont parvenus à améliorer le solde de leur balance commerciale grâce aux gaz de schiste. S'il était démontré de manière certaine que l'exploitation de ces gaz n'avait pas d'impact sur l'environnement, ni en surface ni en sous-sol, il ne faudrait pas être dogmatique. Mais outre que cette démonstration n'a pas été apportée pour l'instant, la France ne peut faire abstraction de ses engagements en matière climatique. Il faut savoir aussi qu'avec des techniques plus respectueuses de l'environnement, les coûts ne seraient pas de l'ordre de ceux constatés au Canada ou aux États-Unis. La rentabilité économique de cette exploitation mériterait donc d'être évaluée. Enfin, les sommes qu'on y consacrerait seraient autant d'argent capté au détriment des deux priorités que j'évoquais plus haut.

Quelles que soient nos positions sur le nucléaire, chacun sait que notre pays ne pourra pas en sortir demain et que, même si nous devons réduire notre parc, celui-ci doit nous permettre d'assurer la transition énergétique sans avoir recours aux énergies fossiles non conventionnelles.

Pour ce qui est de l'Allemagne, tous les rapports montrent qu'elle tient encore ses objectifs en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. En dépit d'un recours accru aux énergies fossiles, le pays reste sur la trajectoire qu'il s'est fixée.

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