Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du 4 février 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et l'Homme :

L'Allemagne a fait le double pari d'aller vers l'autonomie énergétique grâce aux énergies renouvelables et de ne pas accroître ses émissions de gaz à effet de serre. Dans la période de transition, certains choix sont inévitables. Il n'existe pas de solution parfaite. L'Allemagne a choisi celle-là.

Imaginons que l'Union européenne ou la France parviennent à l'indépendance énergétique grâce aux énergies renouvelables, rêve qui n'est d'ailleurs pas inaccessible. Les conséquences en seraient considérables à tous points de vue : notre balance commerciale serait équilibrée, la donne géopolitique serait également profondément modifiée car nous sommes aujourd'hui dépendants, y compris pour le nucléaire, de certaines routes et notre approvisionnement est loin d'être parfaitement sécurisé.

Lorsqu'on saura tirer tout le parti possible des énergies renouvelables et qu'on aura amélioré l'efficacité énergétique, il est même envisageable de retrouver une certaine forme d'abondance énergétique. Il existe dans le secteur du bâtiment des gisements considérables d'économies d'énergie, à service et confort égal. Il faut donc s'engager à fond dans cette voie en fixant un cap et en sachant être pragmatique s'agissant du calendrier et des moyens.

La Commission européenne va proposer au Conseil que l'Union réduise de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. C'était un minimum, nous aurions souhaité davantage. Certains se demandent à quoi cela sert si l'Europe agit seule et estiment que celle-ci, plutôt exemplaire, n'a pas été payée en retour de ses efforts. Je reconnais que lorsque je rentre de Chine ou d'Inde, je suis moi-même plus indulgent à l'égard de l'Union européenne. Mais à attendre que tous se comportent parfaitement, le risque est de ne rien faire ! Sachant que, plus la contrainte sera forte, plus la créativité sera grande, n'avons-nous pas intérêt à laisser ce qui deviendra incontournable susciter une offre, à laquelle nous serons capables de répondre ? Il faut consentir le plus d'efforts possible dans le bâtiment, les transports, l'énergie, l'agriculture – la Cour des comptes a rappelé que l'on ne sollicitait pas assez les secteurs du transport et de l'agriculture pour tenir nos engagements en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. S'il a fallu cesser d'encourager le développement de la filière solaire, c'est que nous étions inondés de panneaux photovoltaïques chinois, mais si cela s'est passé ainsi, c'est aussi que nous n'étions pas prêts.

On constate, hélas, actuellement en Europe un certain relâchement, sous la pression de quelques pays. Les Polonais commencent de déchanter s'agissant du gaz de schiste, s'apercevant que la rentabilité économique n'est pas aussi mirobolante qu'on le leur avait annoncé. Pour moi, le gaz de schiste n'est pas une option en France, et d'ailleurs elle n'est pas, que je sache, envisagée. J'espère que la future loi sur la transition énergétique affichera une ambition, assortie des moyens nécessaires pour l'atteindre.

Tant que quelques-uns – cela vaut à l'échelle mondiale comme à celle de notre pays – continueront d'être considérés comme des empêcheurs de tourner en rond, tout simplement parce que le constat n'est pas partagé, on restera dans une position stérile de confrontation, laquelle constituera une entrave à la mutation, à ce qu'Edgar Morin appelle « la métamorphose ». Quelle que soit la qualité d'un ministre de l'environnement, quand il est isolé dans son propre gouvernement, sa marge de manoeuvre est réduite. Quand l'écologie à l'Assemblée nationale n'est représentée que par un groupe à l'effectif réduit, il est difficile de progresser...

J'en appelle à chacun pour faire preuve d'imagination et surtout ne pas être réticent à juger pertinente une proposition qui l'est, même si elle émane d'un autre camp que du sien. J'enfonce là des portes ouvertes, me direz-vous. Mais je suis si souvent triste devant tant de gâchis d'intelligence à cause de telles postures. Ainsi aux États-Unis, le marqueur politique du parti républicain est de s'opposer à tout engagement en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, alors que lorsqu'on les rencontre en privé, des sénateurs républicains reconnaissent que leur pays se trompe lourdement en ne s'engageant pas davantage. Ils prennent conscience que les événements climatiques extrêmes commencent d'affecter l'économie américaine et qu'un modèle économique nouveau peut se mettre en place, susceptible de « rapporter gros ». Dans le même temps, les militaires démontrent que la menace climatique pèse autant que la menace terroriste sur la sécurité intérieure américaine. Ces marqueurs, qui cristallisent les clivages et empêchent la mutualisation, sont profondément dommageables. On ne réussira pas si chacun reste dans son coin. Les ONG n'ont pas la possibilité de relever tous les défis, elles ont aussi leurs angles morts et, de toute façon, elles n'ont pas toujours les moyens de mener à bien les projets.

Il faudrait multiplier les occasions de dialogue, comme celui que nous avons aujourd'hui, en sachant dépasser les clivages politiques, ce qui n'empêche pas ensuite chacun, le moment venu, d'exprimer ses différences. Voilà vingt-cinq ans que je dialogue avec des hommes et des femmes, de droite et de gauche. En privé, chacun dit partager le combat que je mène. En public, plus grand monde ne l'assume.

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