Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du 4 février 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et l'Homme :

Pourquoi ? Si l'on est convaincu de l'importance des enjeux, peut-être pourrait-on faire l'effort de laisser les armes au vestiaire le temps de la réflexion et des propositions.

S'agissant de gouvernance, notre fondation considère que les instances actuelles sont inadaptées aux enjeux universels du long terme. L'échec récurrent des grandes conférences internationales sur le climat en est la preuve. Les délégations se rendent à ces sommets dans le même état d'esprit que pour des négociations multilatérales traditionnelles, chacune représentant les intérêts de son pays et se dédouanant du maximum de responsabilités en amont et en aval, sans tenir compte du fait que, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous sommes confrontés à des enjeux universels. À l'issue de la conférence de Paris en 2015, ou tout le monde aura gagné ou tout le monde aura perdu. Plutôt que de s'en remettre à de tels sommets pour la coordination et la régulation, il serait bien sûr plus efficace qu'une Organisation mondiale de l'environnement édicte des règles communes. Si le projet a été envisagé à un moment, il ne figurait pas dans les résolutions du sommet Rio+20 et n'est donc plus, hélas, à l'ordre du jour.

J'en reviens à la France. Dans un monde où tout va de plus en plus vite, il est difficile, notamment pour l'exécutif, de tenir compte à la fois des deux horizons des court et long termes. D'autant que pour les enjeux de court terme, chaque intérêt particulier n'hésite pas à se manifester, parfois de manière vive, grâce à la multitude de canaux d'expression, alors que les enjeux de moyen et long terme exigent au contraire de prendre le temps d'une réflexion apaisée et documentée. Ne faudrait-il pas à un moment scinder les deux degrés de réflexion, pour les recombiner plus tard, de façon que le long terme soit mieux pris en considération ? Dominique Bourg, vice-président de notre fondation, a développé toute une réflexion sur ce sujet.

D'excellents travaux, comme ceux du Commissariat général à la stratégie et à la prospective ou du Conseil économique, social et environnemental, ne sont pas suffisamment mis à profit. Depuis combien de temps traîne dans les tiroirs le rapport de Guillaume Sainteny sur les aides publiques dommageables à la biodiversité, qui contient pourtant nombre de propositions concrètes qui pourraient être mises en oeuvre immédiatement ?

Quels sont les principaux verrous au changement ? Allons-nous assister en spectateurs, avertis mais impuissants, à la marche vers une catastrophe globale ? Pourquoi a-t-on si peu progressé en vingt-cinq ans ? À cela, je vois une cause culturelle tout d'abord : on a encore tendance à considérer, en France et ailleurs, que le progrès est irréversible, que la crise n'est que passagère et que, le temps étant notre meilleur allié, il suffit de courber l'échine et que la situation va s'arranger. Demeure aussi profondément ancrée une vision scientiste et positiviste, selon laquelle la science aurait réponse à tout : le génie humain pourrait réussir à régler de nouveau la machinerie climatique, à remplacer les écosystèmes détruits, à réparer les dommages causés par la disparition de certaines espèces… et saura, pourquoi pas, utiliser les ressources d'une deuxième planète pour satisfaire toutes nos convoitises. Il existe aussi, certes de manière marginale, un certain scepticisme quant à ces enjeux universels et à la part anthropique des changements climatiques. Mais même l'académie des sciences du Saint-Siège ne met pas en doute la responsabilité de l'homme dans ces changements.

À ces blocages culturels, s'ajoutent des verrous économiques. En effet, la transition écologique exige d'investir : pour la seule transition énergétique, les investissements se chiffrent en France en dizaines de milliards d'euros. Et une transition plus profonde aurait des coûts encore plus élevés. Si on ne réfléchit pas parallèlement sur des financements innovants ou de nouvelles modalités de financement, notamment à l'idée de solliciter un pan entier de l'économie qui aujourd'hui ne participe ni aux investissements ni à la solidarité, si on tergiverse encore pour instituer une taxe sur les transactions financières, pourtant indolore alors qu'elle donnerait de l'air à nos États, on butera toujours sur la question des moyens. C'est pourquoi il faut non seulement être convaincu qu'il s'agit de sujets majeurs mais aussi en avoir une approche holistique. À défaut, s'opposeront toujours d'un côté, un Arnaud Montebourg, défendant sa logique, et d'un autre côté un Philippe Martin ou une Delphine Batho, défendant la leur. Et ce sont de telles postures, tenues coûte que coûte, qui nous mènent de redditions en redditions.

Vous avez évoqué la Guyane et le sort des peuples indigènes. Vous savez que j'ai ardemment plaidé pour que le grand chef indien Raoni soit reçu à l'Élysée, et ce contre l'avis de beaucoup qui craignaient de froisser le Brésil. Je m'intéresse de près à ce qui se passe sur l'ensemble du continent américain, notamment au Pérou ou au Brésil, où de multiples exactions ont encore eu lieu récemment. Ce que l'on fait subir aux Indiens est une infamie : après les avoir tués une première fois lors de ce qui a bien été un génocide, puis une deuxième fois en taisant ce génocide dans l'histoire, on les tue aujourd'hui une troisième fois en niant totalement leurs intérêts. Ce sujet me tient à coeur, mais je dois reconnaître que je me sens un peu seul. J'ai eu beaucoup de mal à faire recevoir le chef Raoni dans certaines enceintes et encore davantage par les médias, que le sort des Indiens d'Amérique n'émeut visiblement pas. Pour ce qui est de votre invitation à me rendre en Guyane, monsieur Gabriel Serville, je vous en remercie mais dois préalablement vérifier certaines dates sur mon agenda.

Un mot de la Chine, où je me suis rendu récemment. Je n'y étais pas retourné depuis vingt-cinq ans et n'ai bien sûr pas retrouvé le même pays. De pays horizontal, la Chine est devenue un pays vertical. J'ai eu l'impression de me retrouver dans une imprimante 3 D géante, où tout serait démultiplié. Ce qui m'a frappé est que la Chine a depuis peu intégré dans son logiciel de développement l'enjeu climatique à cause de la pollution qui sévit dans le pays. Jusqu'à présent, Pékin ne se rendait qu'à reculons, et sous la pression internationale, aux conférences sur le climat. Aujourd'hui, lors de tous les plenums du parti, on entend parler de « civilisation écologique », et ces mots y sont associés à des objectifs et des stratégies, notamment d'économie circulaire. La pollution est devenue un problème intérieur majeur, qui a une incidence économique. Peu de temps avant mon arrivée à Shanghai, les écoles, la circulation automobile et le trafic aérien avaient été fermés durant une semaine tant la visibilité était réduite à cause de la pollution de l'air. Les autorités chinoises redoutent aussi des mouvements de masse importants à cause de ces phénomènes. Les outils qu'elles mettent en place pour lutter contre la pollution sont les mêmes que ceux permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. On peut donc nourrir un certain optimisme, d'autant que lorsque la Chine s'assigne un objectif, elle sait décliner les moyens nécessaires pour l'atteindre.

En Chine comme aux États-Unis, le contexte a donc changé, laissant espérer que d'ici à 2015, des initiatives seront prises. Les deux pays attendront sans doute la réunion que doit organiser le secrétaire général des Nations unies ou, en tout cas, la conférence de Lima en décembre 2014 pour s'avancer davantage et énoncer des objectifs.

L'objectif de la conférence de Paris en 2015 serait de parvenir à un accord applicable à tous les pays, juridiquement contraignant et assez ambitieux pour permettre de contenir le réchauffement à 2°C. Ce ne sera pas facile. En effet, les États-Unis n'étaient a priori pas prêts à s'engager, au motif que le Congrès ne ratifierait jamais un tel accord, et jusqu'à présent, la Chine considérait qu'elle devait préalablement achever son développement. Et aucun des deux pays n'était de toute façon disposé à agir si l'autre ne faisait pas de même.

Cela étant, je pense que la situation va évoluer. Je ne peux imaginer que l'administration Obama prenne la responsabilité d'un échec à la conférence de Paris. L'Histoire retiendra ce que les États-Unis auront fait ou n'auront pas fait lors de ce rendez-vous. Plusieurs signes montrent que le président Barack Obama pourrait prendre des initiatives ne requérant pas l'aval du Congrès. Il y a eu des précédents avec le Clean Air Act. Je m'en suis entretenu avec Al Gore, lors de notre rencontre. N'oublions pas non plus l'effort du pays en matière d'énergies renouvelables. J'ai visité dans le Colorado la plus grande agence de recherche au monde sur ces énergies, qui accueille quelque quatre mille chercheurs, de toutes nationalités. Ces chercheurs ont une foi absolue dans la capacité des énergies renouvelables à répondre aux besoins énergétiques de la planète. La courbe d'efficacité de ces énergies, c'est-à-dire le ratio énergie captéeénergie restituée, s'améliore très vite, tandis que la courbe de leur coût, elle, diminue tout aussi vite. Les États-Unis ont bien perçu qu'il y avait là une opportunité économique. C'en est fini de la caricature consistant à penser que trois éoliennes pourraient remplacer une centrale nucléaire ! La Chine aussi développe ces énergies à une rapidité incroyable. Elle construit certes aussi des centrales au charbon et des centrales nucléaires, mais elle va beaucoup plus vite dans le domaine des énergies renouvelables que dans celui du nucléaire.

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