Intervention de Benjamin Gallezot

Réunion du 30 janvier 2014 à 10h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Benjamin Gallezot, adjoint au directeur général de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS du ministère du redressement productif :

Je commencerai par cadrer mon propos en rappelant, comme vous l'avez fait vous-mêmes, que nous nous trouvons dans un environnement relativement mouvant. De surcroît, des travaux sur le sujet qui nous occupe sont aujourd'hui en cours au sein du Haut Conseil de financement de la protection sociale ainsi que dans le cadre du dialogue sur le Pacte de responsabilité. Nous vous fournirons donc pour notre part des réponses de deux ordres : nous vous présenterons tout d'abord notre vision des déterminants de la compétitivité en général, compte tenu, notamment, des débats sur la compétitivité coût et la compétitivité hors coût. Puis nous aborderons la question des assiettes et plages de cotisation envisageables. Je précise que la DGCIS n'est pas directement compétente sur les sujets liés aux modes de financement alternatifs de la branche famille – tels que la TVA ou la CSG – et au bouclage macroéconomique, même si nous avons apporté notre contribution à la réflexion en cours, notamment en utilisant d'autres modèles que MESANGE. La question centrale pour nous consiste à déterminer sur quelles plages de revenus doivent porter les baisses de coût du travail – l'impact n'étant pas le même sur les différents secteurs d'activité, selon les choix retenus.

Sur le premier point, nous considérons la compétitivité comme un tout : il nous semble en effet simpliste, voire biaisé, de distinguer artificiellement la compétitivité coût de la compétitivité hors coût et de soutenir qu'il ne faut faire porter l'effort que sur l'une ou l'autre, car elles sont extrêmement liées. Nous préférons d'ailleurs parler de compétitivité prix que de compétitivité coût, la première renvoyant à la fois au coût unitaire des facteurs de production et à leur productivité : or, pour obtenir des prix compétitifs, il convient d'agir sur ces deux leviers en même temps. Si le coût du travail constitue une composante importante de la compétitivité coût, je ne reviendrai cependant pas sur le diagnostic établi à ce sujet dans le « rapport Gallois ». Je me contenterai de rappeler qu'à cet égard, la dynamique de ces dix dernières années a plutôt été défavorable à la France, si on la compare à celle de ses concurrents. En tout état de cause, si le coût du travail est un élément déterminant pour la compétitivité des entreprises, le coût des autres facteurs de production, et notamment du capital et de l'énergie, entre également en ligne de compte. La Banque publique d'investissement (BPI) joue d'ailleurs un rôle majeur en la matière, permettant de réduire le coût d'investissement des entreprises qui éprouvent des difficultés à obtenir des crédits bancaires.

La deuxième composante de la compétitivité prix réside dans l'amélioration de la productivité. Or, ici encore, la France accuse un retard relativement inquiétant en matière d'investissement de l'industrie et des services dans les techniques de production les plus efficaces. Différents indicateurs nous permettent de le constater, tels que le niveau d'investissement des entreprises dans la rénovation des matériels ou dans la robotique. Cela s'explique en partie par un manque de capital, mais est également dû à un problème méthodologique. Il conviendrait donc de faire en sorte que les entreprises françaises adoptent les méthodes de production les plus efficaces possible, c'est-à-dire qu'elles procèdent à du lean manufacturing, car il est souvent possible d'accroître sensiblement la compétitivité des entreprises en réduisant la quantité d'intrants et de matières premières nécessaires à la production. Si l'on ne peut séparer ces différentes variables, c'est que le niveau insuffisant des investissements des entreprises industrielles – et, dans une certaine mesure, du secteur des services – s'explique aussi par la faiblesse de leur taux de marge. De fait, les entreprises, parce qu'elles ont « le nez dans le guidon », essaient de produire avec les outils dont elles disposent sans avoir les capacités financières suffisantes pour réinvestir.

Quant à la compétitivité hors prix, elle s'appuie sur l'innovation, domaine dans lequel l'effort public est plus important en France que chez nos partenaires européens et asiatiques, en contraste avec l'effort privé qui est plutôt moins important chez nous. Cet effort public demeure néanmoins trop axé sur l'amont et pas assez sur l'aval si bien qu'en dépit d'une lente amélioration, nous conservons un retard très significatif dans l'intégration amont-aval, notamment vis-à-vis de l'Allemagne ou du Japon. Le crédit d'impôt recherche (CIR) constitue donc un outil de financement public capital pour les entreprises et un facteur crucial de choix d'investissement pour les entreprises étrangères.

Outre la recherche-développement, la compétitivité hors prix dépend également de l'innovation non technologique – c'est-à-dire du design et du marketing : or, une fois encore, nos entreprises sont moins investies en ce domaine que dans d'autres pays, raison pour laquelle le Plan innovation met l'accent sur cet aspect.

En résumé, il nous faut donc progresser sur toutes les composantes de la compétitivité tant elles sont liées entre elles, la capacité des entreprises à investir dans la recherche-développement ou l'innovation non technologique dépendant des marges qu'elles sont en mesure de dégager.

J'en viens à présent au financement de la branche famille et à l'impact des cotisations sociales sur la compétitivité.

Le débat sur le calibrage du CICE, auquel nous avons participé, a notamment porté sur le choix de la plage de salaire sur laquelle le faire porter : il s'agit là d'un débat complexe, ces choix pouvant avoir des effets différents à court, moyen et long termes. À court terme, l'impact sur l'emploi est plus élevé lorsque les baisses de cotisations portent sur les bas salaires. À moyen-long terme en revanche, lorsque l'on intègre d'autres paramètres que l'emploi, tels que l'équilibre de la balance commerciale et la croissance à très long terme, le diagnostic s'avère beaucoup plus mitigé : le fait de faire porter les allégement sur des plages de salaire situées au-delà de 2 ou 2,5 SMIC a un impact important sur la compétitivité externe. L'arbitrage en la matière est donc assez délicat à opérer. Or, si le débat a déjà été tranché en ce qui concerne le CICE, il va être rouvert au sujet des allégements de charges sociales.

La simplicité et la visibilité des dispositifs retenus constituent également des enjeux essentiels, non seulement pour les entrepreneurs français mais aussi pour les investisseurs étrangers, qui raisonnent le plus souvent en termes de taux nominaux et de grands blocs économiques. Or, en dépit des réductions existantes, notre taux d'imposition sur les sociétés nous est défavorable dans les comparaisons internationales et l'on observe le même phénomène en ce qui concerne les cotisations sociales. Le CICE n'affectant pas directement le niveau de celles-ci mais seulement le montant de l'impôt sur les sociétés (IS), il n'a pas été pleinement pris en compte par les investisseurs étrangers ni même par les entrepreneurs français. Il n'est donc pas aussi visible qu'une baisse des cotisations sociales. Voilà qui illustre à quel point la capacité des entreprises à comprendre, à s'approprier et à utiliser un dispositif constitue un facteur-clef de son efficacité.

Il nous paraît difficile de dresser un bilan du CICE dans la mesure où il s'agit d'un dispositif fiscal, c'est-à-dire à effet différé. De fait, les entreprises n'en auront pas forcément perçu les gains financiers immédiats en 2013. Qui plus est, certains entrepreneurs l'ont jugé complexe, croyant qu'il ne les concernait pas ou redoutant qu'on leur en retire le bénéfice au terme de contrôles fiscaux. En d'autres termes, non seulement le CICE est moins visible qu'une baisse de cotisations sociales mais en outre, sa complexité a été surestimée par les entreprises. Quant aux entrepreneurs faiblement assujettis à l'IS, ils ont cru que la mesure ne les concernait pas, ce qui est faux puisqu'il s'agit d'un crédit d'impôt. Il nous paraît donc tout à fait opportun d'envisager l'adoption d'un dispositif plus simple, quitte à bouleverser les circuits de financement de la sécurité sociale. Les masses financières concernées sont d'ailleurs assez comparables puisque le CICE représente une vingtaine de milliards d'euros sur la durée de l'exercice contre une trentaine de milliards pour les cotisations sociales, dont vingt-cinq milliards sur le même champ. Et encore une fois, une baisse de cotisations sociales, même de moindre importance que l'aide apportée par le CICE, aura un effet plus favorable que celui-ci sur celles des entreprises qui ne sont pas aperçues qu'elles pouvaient bénéficier de ce crédit d'impôt. Le nouveau dispositif envisagé suscite d'ailleurs davantage d'intérêt que le CICE en son temps. Il y a, par conséquent, un décalage entre les pronostics que l'on peut réaliser sur les éventuels gagnants et perdants d'une réforme et la réalité du terrain, compte tenu de l'effet psychologique et de l'effet de confiance de ces mesures.

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