Intervention de Michel Piron

Séance en hémicycle du 18 février 2014 à 21h30
Travail : sous-traitance et lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Piron :

L’emploi des travailleurs étrangers au sein des économies nationales est un phénomène très ancien, et universel, qui a contribué au développement de notre pays, et aujourd’hui nous aurions tort de contester la mobilité dans son ensemble. Donner la possibilité à nos jeunes – ils sont aujourd’hui 230 000 chaque année – d’étudier à l’étranger grâce au célèbre programme d’échange Erasmus, permettre à des entreprises de détacher leurs cadres et leurs spécialistes en Europe, cela constitue un véritable atout pour notre économie. La France elle-même, d’ailleurs, avec quelque 300 000 salariés français détachés à l’étranger, est fortement utilisatrice de la procédure : elle est le troisième pays détachant des travailleurs, derrière la Pologne et l’Allemagne.

Ce sont donc bien les modalités et non le principe même de la mobilité qu’il s’agit de revoir. Loin des discours alarmistes qui tendent à remettre en cause le principe de libre circulation, tous nos efforts doivent porter sur la lutte contre les fraudes et les stratégies systématisées d’optimisation sociale.

Mes chers collègues, soyons clairs, et évitons de céder aux sirènes du « C’est la faute à Bruxelles ». La directive « Détachement » n’est en aucun cas responsable du développement du travail illégal sur le territoire de l’Union européenne. La recherche effrénée, sans limite, d’optimisation sociale n’a d’ailleurs pas attendu cette directive pour prospérer. Et sans le corpus de règles que la directive contient, l’application aveugle du principe de libre circulation aurait sans doute causé des phénomènes de travail temporaire frauduleux encore plus désastreux que ceux auxquels nous avons assisté ces dernières années.

Il est vrai, en revanche, que, du fait de l’entrée de treize nouveaux États au niveau de vie très inférieur à celui de l’Europe occidentale, du fait également de la lenteur des politiques de développement et des politiques sociales européennes, la directive n’est plus adaptée au contexte actuel. Elle n’est visiblement plus à la hauteur des moyens que nous devons mettre en oeuvre pour faire face aux multiples fraudes et détournements d’usage qui se traduisent par l’organisation de véritables trafics de main-d’oeuvre communautaire ou extracommunautaire, mettant en danger le financement des systèmes de protection sociale des États et désorganisant des filières économiques entières.

De nombreuses entreprises profitent aujourd’hui des vides juridiques de la législation européenne. Des entreprises notamment du sud et de l’est de l’Europe, mais pas seulement, procèdent à une concurrence déloyale, cette même concurrence que les traités européens visaient à réguler. Des agences d’intérim se spécialisent depuis quelques années dans l’introduction de main-d’oeuvre étrangère à des prix défiant toute concurrence, selon des conditions qui contournent les règles européennes. Nombre d’acteurs sont touchés : artisans, entreprises du bâtiment, du transport, producteurs de fruits et légumes, sociétés spécialisées dans les travaux publics… Les exemples sont nombreux.

Indéniablement, l’Union européenne doit se doter de dispositions et de moyens d’une tout autre ampleur pour prétendre lutter efficacement contre ce phénomène croissant. Plus que jamais nous avons le devoir de faire avancer l’Europe dans cette direction et nous devons dès aujourd’hui engager, en première ligne s’il le faut, ce combat structurant pour l’essor économique et social de l’Europe.

La présente proposition de loi, qui fait d’ailleurs suite à une résolution et à un rapport que nous avons commis avec Chantal Guittet et Gilles Savary, propose d’anticiper la transposition de la directive d’application et d’améliorer l’efficacité des contrôles ainsi que le caractère dissuasif des sanctions.

Sur la question des travailleurs détachés, la France a aujourd’hui la capacité de montrer une voie à ses voisins européens et de prouver à quel point elle demeure attachée à la liberté de circulation, mais toujours dans un cadre protecteur pour ses citoyens. La proposition de loi reprend, bien entendu, les items du projet de directive, mais en en renforçant le caractère protecteur pour les salariés. Elle prévoit ainsi une responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d’ordre avec les sous-traitants qui frauderaient dans tous les secteurs. Elle y ajoute une nouvelle obligation, sous peine d’amende, pour les donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage : celle de déclarer, eux aussi, à l’inspection du travail tout recours à une entreprise sous-traitante détachant des travailleurs en France au-delà d’un certain montant de contrat.

J’évoquerai également le volet spécifique au transport routier qui a été intégré au texte et qui, lui non plus, n’est pas anecdotique. Il est même très lourd. Il renforce en effet, là aussi, la responsabilité des donneurs d’ordre, tout en permettant de lutter contre des conditions de travail qui, malheureusement, sont parfois particulièrement scandaleuses. Notons également tout l’intérêt que peut avoir l’instauration d’une liste noire des entreprises condamnées à au moins 45 000 euros d’amende pour travail illégal. Elle s’inspire de celle existant déjà pour les compagnies aériennes dangereuses, et chacun se rappellera ici le cas de la compagnie Ryanair à l’aéroport de Marignane. La liste autorisera une plus grande information, tant pour les entreprises que pour les salariés – information qui sera un gage de sécurité et de respect pour les travailleurs nationaux comme européens. Mais ce texte va plus loin encore, puisque s’ajoutent à ces dispositifs l’extension de la circonstance aggravante de bande organisée en cas de travail dissimulé ou de prêt illicite de main-d’oeuvre ainsi que la possibilité pour la justice, en cas de condamnation sur ces motifs, d’interdire de percevoir des aides publiques pour une durée qui peut aller jusqu’à cinq ans.

Enfin, une telle proposition de loi ne pouvait se prévaloir de prendre en compte tous les aspects de la question des travailleurs détachés, sans donner voie au chapitre aux organisations patronales comme aux syndicats de salariés. Ces dernières bénéficieront désormais du droit clairement établi d’ester en justice en tant que partie civile en cas de travail illégal. Certaines entreprises se manifestent déjà dans certaines régions de France. Ainsi, mes chers collègues, ce texte, s’il permet de renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre, est aussi l’occasion de démontrer que l’Europe peut être source de progrès et de liberté, mais aussi de protection.

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