Intervention de Annie Le Houerou

Séance en hémicycle du 18 février 2014 à 21h30
Travail : sous-traitance et lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Le Houerou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter les députés Gilles Savary et Chantal Guittet qui ont su se saisir du problème du détachement des travailleurs. Dans le contexte actuel de l’emploi en France, il n’est plus acceptable de constater de tels abus. L’ampleur du phénomène met également en difficulté le système de protection sociale français. Le chômage s’accroît, les travailleurs détachés ne bénéficient bien évidemment d’aucune protection ni sociale, ni du droit du travail. Ces travailleurs détachés en France ne contribuent pas au financement de nos caisses d’assurances sociales. Je remercie aussi M. le ministre, Michel Sapin, pour sa détermination à porter le problème auprès de nos partenaires européens. Grâce à une position ferme défendue par la France, les ministres du travail de l’Union européenne ont trouvé début décembre 2013 à Bruxelles un accord ambitieux pour renforcer les contrôles et le respect des règles de détachement, afin de lutter plus efficacement contre le dumping.

Il sera désormais possible d’établir une chaîne de responsabilités pour lutter plus efficacement contre les montages frauduleux. Un travailleur détaché est un travailleur affecté provisoirement par son employeur pour une mission dans un autre État membre. Cependant, le droit européen n’oblige pas les États membres à fixer un salaire minimum, il n’impose pas aux entreprises d’exercer une activité substantielle au sein de leur pays d’origine ni ne fixe de limite de temps aux situations de détachement : d’où le phénomène des entreprises « boîtes aux lettres » dans les pays où le droit social est a minima. La directive de 1996 prévoit que le droit du travail applicable au travailleur détaché est celui du pays d’accueil, mais l’affiliation au système de sécurité sociale reste celui du pays d’origine.

Dans notre pays, l’exploitation abusive de la réglementation a produit deux fléaux socio-économiques, la désindustrialisation et l’accentuation du chômage. L’emploi des travailleurs détachés est devenu un mode de recrutement dans le secteur agricole et agroalimentaire, que je connais très bien en tant qu’élue de Guingamp. Il s’agit de métiers difficiles. Le recrutement s’est organisé autour de sociétés d’intérim spécialisées qui sont implantées dans les pays de l’est de l’Europe et fournissent des travailleurs à des tarifs défiant toute concurrence, de la main-d’oeuvre low cost et corvéable à merci.

Une telle offre proposée par des sociétés d’intérim est la bienvenue pour les entreprises confrontées sur les marchés internationaux à des problèmes de compétitivité et constitue un bon moyen, si l’on peut dire, de s’y maintenir en réduisant leurs coûts de production, tout en se plaignant de ne pas avoir le choix compte tenu de la concurrence. Le phénomène est important dans les secteurs de la volaille et des légumes et s’étend désormais largement à celui du bâtiment, sur la plupart des gros chantiers en particulier.

La proposition de loi Savary s’attaque à de tels abus. Elle vise à responsabiliser l’ensemble de la chaîne des employeurs de travailleurs détachés en proposant des mesures simples mais majeures. L’article 1er impose au donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage de vérifier le dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l’inspection du travail. L’article 2 intègre la solidarité financière du donneur d’ordre pour le paiement des salaires. Un amendement adopté en commission des affaires sociales impose au donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage une responsabilité solidaire en matière d’application de l’article L. 1262-4 de notre code du travail qui en constitue les règles élémentaires.

L’article 4 autorise les agents de contrôle à vérifier sans délai les déclarations préalables de détachement. L’article 6 prévoit un signalement sur internet des entreprises condamnées à plus de 15 000 euros d’amende pour travail dissimulé. Ce montant correspond à l’amende maximale pour emploi irrégulier d’étrangers, il est donc cohérent avec le droit existant, et dissuasif. Il s’agit de mettre en place une liste noire d’entreprises et de prestataires de main-d’oeuvre condamnés pour travail illégal. Une telle publication pourra être ordonnée par le juge.

L’article 7 ouvre aux associations et syndicats professionnels ainsi qu’aux syndicats de salariés de la branche la possibilité d’ester en justice. Il s’agit d’une disposition essentielle, contrairement à ce qu’affirmait tout à l’heure M. Tian. En effet, la situation particulière des travailleurs détachés explique aisément qu’ils ne fassent pas valoir leurs droits devant les tribunaux français. L’article 8 oblige tout candidat à l’attribution d’un marché public à présenter une attestation d’assurance décennale, disposition particulièrement importante pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. La commission des affaires sociales a proposé d’exclure, pendant cinq ans, les entreprises condamnées pour travail illégal du bénéfice des aides publiques. La proposition de loi est un nouveau texte de progrès social très attendu par les salariés, les demandeurs d’emploi, mais aussi par les employeurs.

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