Intervention de Thierry Braillard

Séance en hémicycle du 19 février 2014 à 15h00
Comptes bancaires inactifs et contrats d'assurance-vie en déshérence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard :

La proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence est bienvenue. Son adoption, j’en suis sûrcontribuera, comme l’a dit le rapporteur général, à protéger les épargnants et à préserver les intérêts financiers de l’État.

Les banques et les assurances disposent aujourd’hui de plus de 4 milliards d’euros d’encours issus de comptes bancaires inactifs et de contrats d’assurance-vie en déshérence. On le constate aujourd’hui, les lois de 2005 et de 2007 sont insuffisantes. Ces établissements doivent mettre plus d’ardeur à retrouver les ayants droits et à préserver le capital investi.

Avant même d’entrer dans le détail des diverses dispositions qui nous sont proposées, je voudrais à mon tour saluer la qualité de cette proposition de loi. La méthode employée est tout à fait exemplaire et je remercie moi aussi le rapporteur général, Christian Eckert, pour le travail fourni et la constance avec laquelle il a réalisé ses travaux.

Tout d’abord, l’absence de précipitation a permis un véritable travail de fond. La Cour des comptes a pu éclairer l’Assemblée nationale sur la situation actuelle et les montants en jeu, avant de présenter ses suggestions. Le rapport ayant été remis à la commission des finances il y a plusieurs mois, nous avons pu pleinement mesurer l’enjeu. De plus, les parties prenantes – banques et assurances – ont été consultées et se sont, notamment, exprimées devant la commission des finances.

Enfin, cette proposition de loi a pu être validée par le Conseil d’État, ce qui a d’ailleurs conduit à l’adoption de plusieurs modifications en commission. Notre Assemblée a trop peu souvent recours au Conseil d’État, ce qui fragilise juridiquement nos initiatives. En passant plus souvent par le filtre du Conseil, nos propositions de loi pourraient être plus claires et plus efficaces. Mais pour cela, il est indispensable de ne pas agir dans la précipitation et de ne pas réduire les initiatives parlementaires à la seule transcription d’annonces émanant du Gouvernement…

Un point notable fait néanmoins défaut. Eh oui, la perfection n’est pas de ce monde, vous me permettrez une petite impertinence, monsieur le rapporteur général ! Je pense à l’avis de la CNIL, qui manque sur plusieurs dispositions relatives à la protection des données.

Sur le fond maintenant, cette proposition de loi présente un double intérêt. D’une part, elle protège les épargnants, d’autre part, elle préserve les intérêts financiers de l’État. D’ailleurs, ces avantages ne sont pas si dissociables que ça : l’État devient propriétaire de ces encours au bout d’une période de trente ans. Épargnants et État sont donc tous deux gagnants, sauf en ce qui concerne le transfert à la Caisse des Dépôts qui penche quand même en faveur de l’État.

La législation relative aux comptes bancaires inactifs est aujourd’hui inexistante. D’une part, les banques n’ont pas obligation de rechercher si les titulaires des comptes ouverts sont décédés – il y a même des banquiers peu scrupuleux qui effectuent ces recherches en vue de dérober l’argent –, alors que les décès expliquent la majorité des cas d’inactivité.

D’autre part, les encours bancaires peuvent être très largement entamés par l’application de frais de gestion – parfois prohibitifs – qui réduisent voire rendent nulles les sommes dues aux bénéficiaires.

Les solutions proposées sont cohérentes : obliger les banques à rechercher les titulaires de comptes décédés par le biais d’une consultation annuelle du répertoire national d’identification des personnes physiques, le RNIPP ; rendre obligatoire, dans les cas de succession, la consultation par les notaires du fichier national des comptes bancaires et assimilés, le FICOBA ; plafonner les frais de gestion sur ces comptes.

A contrario, la loi sur les contrats d’assurance-vie existe et a déjà été renforcée, notamment, en 2007. Or, force est de constater que ses dispositions ne sont pas pleinement appliquées. Là encore, le rapport de la Cour des comptes met clairement en évidence que les assureurs ne se sont pas précipités pour remplir leurs obligations et que l’ACPR n’a pas appliqué de sanctions.

En conséquence, il est également proposé d’obliger les assureurs à réaliser une consultation annuelle du RNIPP sur l’ensemble des contrats d’assurance-vie ou de capitalisation détenus ; d’informer annuellement les assurés de tous les contrats dont ils disposent, quelle que soit leur valeur ; de fixer par décret la revalorisation du capital garanti post-mortem ; de rendre obligatoire la consultation par les notaires du fichier national des contrats d’assurance vie, le FICOVIE, créé par la loi de finances rectificative pour 2013.

Toutes ces mesures nous agréent car elles vont dans le bon sens. Nous aurions d’ailleurs pu être tentés d’en rester là en complétant simplement ces dispositions par des contrôles et des sanctions – la marge est en effet encore grande pour que l’ACPR devienne plus persuasive auprès des établissements bancaires.

Mais cette proposition de loi va plus loin.

Ainsi, il est proposé qu’au bout d’un certain nombre d’années les avoirs de comptes inactifs ou de contrats assurance vie en déshérence soient transférés à la Caisse des dépôts et consignations, le rapporteur général ayant d’ailleurs repris l’une des recommandations de la Cour des comptes, laquelle était une option, séparée de toutes les autres, et constituait un bloc supplémentaire.

La philosophie de ce dispositif, en effet, est différente. Les autres dispositions évoquées précédemment visent à servir avant tout les intérêts des épargnants, ceux de l’État ne l’étant que par ricochet. Or, le transfert à la CDC vise avant tout à préserver les intérêts financiers de l’État.

En effet, ce transfert peut être analysé comme un moyen d’assouplir la prescription trentenaire. D’ailleurs, lors de la présentation du rapport de la Cour des comptes, une révision à la baisse du délai de la déchéance de propriété, actuellement fixé à trente ans, a bien été évoquée.

Ce délai est très long et entraîne des pertes d’informations conséquentes de la part des établissements bancaires. Le transfert à la CDC semble donc un moyen de placer les sommes d’argent dans le giron de l’État sans remettre en cause le délai de la déchéance de propriété. Le problème, c’est que ce transfert doit être réalisé en numéraire – les avoirs sous forme d’instruments financiers doivent donc être liquidés. On peut être pour, on peut être contre, mais ce débat ne saurait être éludé.

Dans votre rapport, monsieur le rapporteur général, vous indiquez clairement que la proposition de loi, je vous cite, « n’est pas sans incidence sur des droits et libertés constitutionnellement protégés, en particulier, la liberté contractuelle, la liberté d’entreprendre et le droit de propriété ». Le Conseil d’État reconnaît clairement que la liquidation des avoirs « constitue une atteinte au droit de propriété du titulaire ». En conséquence, seul un motif d’intérêt général et proportionné à l’objectif peut justifier une telle atteinte.

Ce motif d’intérêt général est-il vérifié ? Certainement, et il serait encore renforcé si les nouveaux fonds mis à disposition avaient été fléchés vers une politique spécifique. Mais est-il proportionné ? Car si les banques et les assurances se conforment aux dispositions de cette proposition de loi, le transfert à la CDC est-il vraiment indispensable ?

On nous dit que cela permet de garantir la valeur du capital, mais n’aurait-on pas pu simplement imposer aux banques et aux assureurs une telle garantie ? Or, si le transfert n’est pas indispensable, le problème de la liquidation, en revanche, est bien réel, tout particulièrement pour les bénéficiaires d’une succession : le délai de deux ans est très court, alors que les pertes subies lors d’une liquidation à un moment inopportun peuvent être très lourdes.

Ainsi, pour les seuls avoirs en titres cotés, ne faudrait-il pas augmenter les délais pour laisser une chance aux ayants droit d’éviter une liquidation malheureuse et pour laisser une chance au droit de propriété ?

Le droit de propriété n’est d’ailleurs pas le seul à être quelque peu malmené : il y a aussi la protection des données individuelles. Car si on peut imaginer que la consultation du FICOVIE par les notaires ne soulève pas problème, la consultation par tout un chacun de l’existence d’avoirs hébergés à la CDC ne laisse pas d’interroger.

Au final, les radicaux de gauche voteront bien entendu cette proposition de loi, tout simplement parce qu’elle limite enfin le flou existant qui profite indûment à certains établissements au détriment des épargnants et de l’État. Mais notre Assemblée doit avoir à l’esprit que, souvent, dans un souci d’efficacité, nous empiétons – même de façon marginale – sur des valeurs qui sont ô combien supérieures : la propriété privée et la protection des données individuelles.

Ce bloc des libertés est en effet petit à petit rogné sous l’effet conjugué de deux facteurs : le renforcement de la sécurité intérieure, d’une part ; le renforcement de la lutte contre la fraude d’autre part. Les radicaux de gauche, très attachés à ces principes, ne peuvent s’en satisfaire.

La qualité du travail du rapporteur a permis de sécuriser juridiquement le dispositif, mais ce qui est valide légalement n’est pas nécessairement juste moralement. Et c’est bien à notre Assemblée que revient le lourd mais essentiel devoir de protéger le bloc des libertés. Nous sommes et resterons donc vigilants.

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