Intervention de Étienne Blanc

Séance en hémicycle du 30 octobre 2012 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2013 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉtienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, le rapporteur spécial que je suis ne peut que se féliciter des chiffres inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 : le budget de la mission « Justice » sera l'un des rares à continuer à augmenter en valeur constante : + 4,3 % avec le compte d'affectation spéciale « Pensions » et + 2,9 % hors compte d'affectation spéciale. Il atteindra 7,7 milliards d'euros en 2013. Si l'inflation reste limitée à 1,8 %, comme cela est prévu, ce projet de budget permettra une réelle avancée dans des domaines très divers.

Cette hausse s'inscrit dans une tendance longue puisque le budget de la justice a progressé d'environ 20 % depuis 2007. En 2002, ce budget représentait 1,7 % du budget de la nation ; en 2013, il en représentera environ 2,7 %. Les gouvernements successifs ont donc engagé un effort de rattrapage considérable pour donner au ministère les moyens de répondre aux attentes des Françaises et des Français en matière de justice. Le budget pour 2013 poursuit cet effort d'autant plus remarquable dans le contexte particulièrement difficile et tendu de nos finances publiques.

Ce projet inscrit une hausse des effectifs de la mission de 500 emplois pour l'année 2013 : 480 pour la justice judiciaire et vingt pour la justice administrative ; comme les prévisions triennales prévoient une évolution similaire en 2014 et 2015, la commission a constaté avec satisfaction que ce sont donc 1 500 agents supplémentaires qui devraient augmenter les effectifs du ministère de la justice sur trois ans.

Mais cette hausse des moyens et des effectifs ne bénéficiera pas de la même manière à tous les programmes. Sur les six programmes de cette mission, les trois principaux ont plus particulièrement retenu mon attention : les programmes « Justice judiciaire », « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse ».

S'agissant du programme « Justice judiciaire », les crédits de paiement inscrits progresseront de 107 millions d'euros, soit 3,6 %, pour dépasser pour la première fois le seuil symbolique des 3 milliards d'euros – 3,068 milliards d'euros exactement.

Les emplois inscrits dans ce programme atteindront 31 455 postes, soit une augmentation nette de 278 emplois. L'augmentation budgétaire permettra la création de 104 postes de magistrats, 76 emplois de personnels d'encadrement, 242 postes de greffiers et de personnels de l'insertion et de l'éducation et 36 postes de personnels administratifs et techniques de catégorie B ; en contrepartie, 180 emplois de personnels administratifs et techniques de catégorie C seront supprimés. J'imagine, madame la garde des sceaux, que vous nous parlerez de l'informatisation qui nous permet de réaliser ces économies sensibles.

Les moyens supplémentaires qui sont accordés à ce programme ne seront pas de trop pour faire face aux nombreux défis auxquels il est confronté. Avec la commission, nous en avons relevé trois.

Le premier défi est celui de la hausse continue des frais de justice : expertises, traductions, interceptions téléphoniques. L'an dernier, les frais de fonctionnement de ce programme ont dû être ponctionnés de 15 millions d'euros pour financer le dépassement du budget des frais de justice. En 2013, les crédits consacrés à ces frais seront augmentés de 62 millions d'euros, soit 15 %, en prévision de la hausse du nombre d'actes.

Parallèlement, les experts se plaignent d'être payés tardivement, au point que, dit-on, certains médecins seraient maintenant réticents à travailler pour l'institution judiciaire. Sans compter que leur responsabilité est de plus en plus souvent mise en cause, ainsi que nous le rappelle régulièrement l'actualité ; et les problèmes administratifs ajoutent évidemment à leurs difficultés.

À la cour d'appel de Lyon, où je me suis rendu dans le cadre de mes auditions, le coût des frais de justice a bondi en quatre ans de 17 à 23 millions d'euros, alors que le budget de fonctionnement du ressort de la Cour reste stationnaire à 9 millions d'euros…

Ponctionner les frais de fonctionnement des juridictions pour financer les frais d'expertises inquiète les magistrats, et ce n'est pas de bonne politique. Cette question devra être tranchée. Le ministère de la justice entend-il instaurer un dispositif de limitation de ces frais, ce qui peut poser problème à l'indépendance des magistrats ? Les organisations professionnelles de magistrats y sont farouchement opposées : elles considèrent que ce serait une entrave au bon fonctionnement de la justice et qu'il serait inadmissible de refuser une expertise, en particulier lorsqu'il s'agit de prouver la culpabilité ou l'innocence d'une personne, ce qui soulève des problèmes de défense des droits. Autant de points sur lesquels, madame la garde des sceaux, nous attendons vos réponses.

Le deuxième défi à relever est celui de l'exécution des peines.

On estime à environ 85 000 le nombre de peines en cours d'exécution. C'est un « stock » plus élevé que dans les autres pays d'Europe. Je rappelle qu'il ne s'agit pas, contrairement à ce que l'on entend souvent, de peines non exécutées, mais de peines en attente d'exécution, même si nous savons pertinemment qu'un certain nombre d'entre elles ne seront jamais exécutées.

Qu'en est-il exactement, madame la garde des sceaux ? Comment comptez-vous vous y prendre pour réduire ce stock ? C'est une demande ancienne de vos prédécesseurs, des justiciables et de l'ensemble des partenaires du fonctionnement de l'institution judiciaire. D'après les chiffres qui m'ont été fournis par vos services, il semblerait que ce stock ait encore augmenté en 2012.

Pourtant, nous savons tous que le caractère pédagogique de la sanction ne vaut que si son exécution est rapide. Ce n'est pas lorsque le condamné est réinséré, une fois qu'il a fondé une famille, plusieurs années après les faits, qu'il doit être incarcéré ; c'est au moment le plus proche du prononcé de la sentence et de son caractère définitif.

Un troisième défi à relever pour ce programme est celui de la célérité de la justice, encore beaucoup trop lente. Cela suppose de recruter des magistrats, mais aussi des greffiers. Cela suppose également d'améliorer le fonctionnement des systèmes d'informations du ministère, souvent défaillants.

Dans la précédente mandature, à la demande du président de la commission des lois, j'avais commis un rapport sur l'application Cassiopée. Ceitiquée pour sa complexité et pour ses lourdeurs, elle a mis beaucoup de temps à se mettre en place. Mais ceux qui l'utilisent aujourd'hui semblent dire que son usage est satisfaisant. Toutefois, les extractions statistiques que doit permettre Cassiopée manquent aujourd'hui de fiabilité, et l'infocentre ne donne pas satisfaction. Enfin, la connexion entre Cassiopée et les fichiers de police et de gendarmerie serait source de gains importants de productivité – si l'on peut dire en matière judiciaire. Mais si cela fonctionne avec la gendarmerie, il semble qu'avec la police, ce soit plus compliqué.

Le développement des procédures simplifiées peut constituer une autre piste susceptible de désengorger les tribunaux et d'accélérer le cours de la justice. C'est le cas notamment de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, également appelée le « plaider coupable », critiquée à l'époque,…

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