Intervention de Kader Arif

Séance en hémicycle du 20 février 2014 à 15h00
Voie sacrée nationale — Présentation

Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants :

Monsieur le rapporteur, je tiens à vous remercier pour les propos que vous venez de tenir. Nous avons en partage l’idée que nous nous faisons de notre mémoire, mémoire de ce qui fait la grandeur du pays, mémoire apaisée, qui contribue à la cohésion nationale, ce que j’essaie de rappeler chaque fois que je le peux, car tout peut conduire au déchirement. La mémoire, ce n’est pas seulement le regard tourné vers le passé, elle peut avoir un impact sur notre présent et, dans le cadre de la transmission, faire que nous puissions bâtir un avenir commun.

Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, l’Assemblée nationale examine aujourd’hui une proposition de loi visant à affirmer le caractère intangible de l’appellation de Voie sacrée nationale qui désigne depuis la Première Guerre mondiale cette route stratégique historique reliant Bar-le-Duc à Verdun.

Cet examen vient ajouter une nouvelle pierre à une longue histoire réglementaire qui a vu cet axe routier changer de statut juridique au fil des ans et attiser trop souvent les tensions politiques locales, mais sans jamais – et je m’en réjouis – avoir d’impact sur la valeur symbolique de ce qui est devenu aujourd’hui un véritable lieu de mémoire.

C’est l’écrivain Maurice Barrès qui, dès avril 1916, baptisa Voie sacrée cette route départementale, afin d’en souligner le rôle capital pour la France durant la bataille de Verdun. Après son inauguration le 21 août 1922, c’est sur proposition du conseil général qu’elle fut ensuite classée route nationale par la loi du 30 décembre 1923 afin de marquer plus clairement encore son importance dans l’histoire de notre nation, alors que les plaies de la guerre étaient encore vives au sein de notre pays.

Puis, plus près de nous, ce statut a de nouveau évolué sous l’effet de la loi du 13 août 2004, qui visait notamment au transfert de certaines voies nationales dans le réseau des routes départementales. De fait, à partir de janvier 2006, la gestion de la Voie Sacrée est ainsi repassée sous compétence du conseil général de la Meuse. Ce retour dans le giron territorial est le fruit d’une volonté du législateur d’assurer la gestion la meilleure et la plus rationnelle possible de cet axe routier, au plus près du terrain et en adéquation avec le flux de véhicules réellement concernés.

Il ne porte atteinte en rien à la force symbolique du lieu, ni ne minore le rôle de la Voie sacrée au niveau national. Témoin en est, par exemple, son appellation actuelle de « RD 1916 », qui fait référence à l’année 1916, celle de la bataille de Verdun. Il en va de même de l’esthétique des bornes kilométriques longeant la route, dont la couleur rouge, pourtant réservée aux voies nationales, a été conservée et qui marquent ainsi symboliquement toute l’importance de ce lieu pour l’histoire de notre pays.

Tous les efforts mis en oeuvre pour réaffirmer et pour sanctuariser la valeur patrimoniale de la Voie sacrée, n’ont toutefois pas permis d’éviter que cette route demeure l’objet de vives passions, passions personnelles et institutionnelles au niveau local.

Cette situation est à mon sens dommageable, tant les vaines polémiques qui peuvent naître çà et là entre collectivités territoriales – si ce n’est entre élus eux-mêmes – et dont la presse locale se fait parfois l’écho, ne peuvent que desservir l’image de ce lieu de mémoire dont vous avez souligné l’importance et nuire à son attractivité alors que s’ouvrent cette année les commémorations du centenaire, qui accorderont une place majeure à Verdun et au département de la Meuse.

Elle est d’autant plus regrettable qu’elle vient aujourd’hui, par contagion, s’immiscer de manière un peu désolante dans l’agenda législatif national. Et à vous dire les choses, il m’apparaît aujourd’hui assez peu opportun que l’Assemblée nationale, pour laquelle j’ai tant d’estime, soit le théâtre de tels jeux politiques, qui me semblent assez déplacés au regard des difficultés que rencontrent aujourd’hui nombre de nos concitoyens.

Je le regrette également dans la mesure où, comme j’ai pu le dire en introduction, cette situation nous conduit à examiner aujourd’hui un texte législatif qui n’affecterait en rien la réalité réglementaire de la Voie sacrée. En effet, elle ne remettrait pas en cause le caractère « départemental » de son mode de gestion, et se bornerait à réitérer les termes énoncés par l’arrêté du 15 février 2007, qui avait déjà officialisé le principe symbolique de la Voie sacrée nationale.

Je rappelle à ce sujet que la commission de la défense nationale a, le 11 février dernier, rejeté ce texte, considérant à son tour nul l’impact juridique consécutif à l’adoption de cette proposition de loi. Je peux naturellement comprendre voire totalement partager l’attachement que certains élus peuvent avoir pour l’histoire du premier conflit mondial et, plus particulièrement, pour le rôle joué par la Voie sacrée. Je tiens à rappeler qu’il ne vient à l’idée de personne, encore moins aux responsables politiques que nous sommes, de nier la force symbolique de cette route dans notre mémoire nationale.

Plus généralement, la mémoire de la bataille de Verdun s’incarne dans tout le département de la Meuse où j’ai eu l’occasion de me rendre, mais plus largement sur l’ensemble du territoire national. Elle prend chair à Douaumont, sur les champs de bataille et à la Tranchée des baïonnettes. Elle doit continuer à vivre à l’occasion des commémorations qui s’ouvrent cette année et qui se prolongeront durant les quatre prochaines années, avec 2016 comme point d’orgue pour ce qui concerne Verdun. Nous devons continuer à défendre l’idée de paix dans l’espace européen, aujourd’hui protégé, et dont Verdun est un symbole. Symbole de l’horreur, mais aussi symbole de la main tendue entre le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl. Elle implique, une fois encore dans l’histoire de notre nation, que nous soyons en mesure de réaliser une union sacrée autour de ce dessein qui nous est commun, qui appelle à une indispensable participation de toutes les énergies, comme j’ai pu le constater lors du lancement du comité départemental du centenaire de la Meuse en présence active de toutes les forces politiques.

Un dessein qui nous invite, aujourd’hui, à ne pas nous diviser autour de vaines querelles et de garder en tête que les deux cycles commémoratifs du centenaire de la première guerre mondiale et des soixante-dix ans de la libération du territoire doivent être l’occasion de développer une mémoire apaisée dans un souci de cohésion nationale et de fierté patriotique qui nous grandit.

C’est pourquoi, mesdames et messieurs les députés, dans le même esprit d’apaisement, et pour ce qui concerne l’examen de la proposition de loi soumise aujourd’hui au débat sur vos bancs, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée nationale, dans le plein respect des prérogatives du Parlement.

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