Intervention de Isabelle Autissier

Réunion du 18 février 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Isabelle Autissier, présidente de WWF France :

WWF International, dont WWF France est partie intégrante, est la première organisation mondiale de protection de la nature. Présente dans plus de cent pays, elle anime des programmes qu'elle juge prioritaires pour la conservation de la nature et pour l'instauration de rapports harmonieux entre la nature et l'homme.

WWF International a cinquante ans et WWF France a fêté cette année son quarantième anniversaire. Après avoir mis l'accent sur la préservation des grandes espèces sauvages, qui était pour ainsi dire son coeur de métier, l'organisation s'est progressivement intéressée aux milieux, avant de s'interroger sur les menaces que font peser sur ceux-ci les activités humaines. L'homme n'existerait pas sans la nature, dont il a besoin dans tous les actes de la vie quotidienne, même s'il entretient avec elle des rapports de prédation plus que de collaboration. WWF a été à l'origine de l'indice « Planète vivante », qui permet de mesurer l'évolution des milieux naturels, ainsi que d'autres indicateurs du développement ou des menaces que la nature encourt du fait de l'homme. Nous nous sommes ensuite tournés vers la recherche de solutions, tentant de définir, avec nos partenaires, les conditions d'un développement soutenable pour la nature et épanouissant pour l'homme.

En France, nous menons ce travail avec quelque quatre-vingt-dix collaborateurs, 6 000 bénévoles et 200 000 donateurs. Notre budget annuel s'établit à 16 millions d'euros environ, dont 60 % proviennent des particuliers. Il s'agit de legs ou de dons souvent très modestes, mais leur abondance prouve l'importance que les citoyens accordent à nos préoccupations.

Nous travaillons dans un esprit de collaboration et d'évolution. S'il nous arrive de dénoncer dérives ou dysfonctionnements, nous cherchons surtout d'autres moyens de produire et de consommer, pour parvenir à un mode d'organisation économique ou politique permettant de rétablir le lien entre la nature et l'homme. Nous menons des campagnes de sensibilisation ou de participation. Ainsi Earth Hour, que nous animons pour le compte de WWF International, mobilise plus de cent pays et près d'un milliard de citoyens sur le thème du réchauffement climatique. Au-delà du geste symbolique qui consiste à éteindre la lumière pendant une heure, nous invitons chacun à réfléchir à l'empreinte des hommes sur le climat.

Nous sommes présents aux côtés des entreprises pour les aider à identifier dans leurs processus de production ce qui affecte défavorablement la nature et à engager des mutations pour y remédier. Elles sont d'ailleurs de plus en plus nombreuses à se doter de structures oeuvrant en faveur du développement durable, avec lesquelles nous entretenons des relations de travail tout à fait pacifiées. Elles représentent à nos yeux des acteurs clés du changement que nous souhaitons.

Nous travaillons bien sûr aussi avec les pouvoirs publics. Nous nous sommes dotés d'une cellule de veille législative et réglementaire, mais nous intervenons également, de manière plus locale et décentralisée, auprès des collectivités territoriales, notamment des conseils généraux.

Au niveau mondial, ne pouvant être présents partout, nous avons choisi de nous concentrer sur la préservation des espèces et des territoires ou sur des problématiques telles que le réchauffement climatique ou l'eau. À côté des actions menées sur le territoire national, WWF France intervient donc, grâce à l'appui de WWF International, sur les grandes questions qui se posent à la planète. Une de nos préoccupations prioritaires sera ainsi, dans les dix-huit mois à venir, la préparation de la Conférence des parties (COP) à la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. Nous espérons que cette conférence marquera un tournant majeur de la politique climatique mondiale. Quelle que soit la difficulté de conclure un accord, il est urgent d'y parvenir. Nous participerons à la recherche de solutions et tenterons de mobiliser États et collectivités.

Nous sommes actifs dans tous les domaines liés à la biodiversité. Entre autres sujets, nous souhaitons que le projet de loi consacré à ce sujet traite du braconnage, particulièrement du braconnage des grandes espèces, qui a augmenté de manière exponentielle au cours des années récentes au point de compromettre la survie des populations d'éléphants, de rhinocéros ou de singes. Le sujet touche aussi aux droits de l'homme dans la mesure où ce braconnage est souvent le fait de groupes paramilitaires, qui tuent les gardes des réserves et menacent les populations locales. Il ne peut y avoir de droits humains qui ne s'appuient sur la biodiversité et sur un rapport équilibré avec la nature.

Si nous saluons ce projet de loi, actuellement en discussion, nous craignons que des amendements n'en réduisent la portée. Nous suivrons donc attentivement la discussion du texte, que cimentent deux principes : la compensation de l'atteinte à la biodiversité et la solidarité écologique. La compensation est fondamentale, après la prévention et la correction auxquelles tend notre action. Quant à la solidarité écologique, qui lie tous les êtres vivants de la planète, elle doit se traduire par des décisions publiques, notamment en matière d'aménagement.

Nous souhaitons que le Parlement reçoive, chaque année ou tous les deux ans, un rapport rédigé par des scientifiques qui lui permette de faire un point d'étape sur l'état de la biodiversité et sur l'application de la loi. Loin de rester isolée de l'ensemble des politiques publiques, la stratégie nationale en faveur de la biodiversité doit être au coeur de celles-ci, particulièrement lorsqu'il s'agit d'agriculture, de recherche, d'énergie ou de développement.

Nous soutenons la création des deux instances de gouvernance de l'Agence française pour la biodiversité que prévoit le texte, l'une sociétale, l'autre scientifique et technique. Puisque l'État français a la chance de disposer des outre-mer et, avec eux, d'un vaste domaine maritime ainsi que de nombreuses collectivités locales souvent très déterminées, il faut que cela se traduise dans la composition de ces commissions. Il conviendrait dès lors que, comme le prévoyait la première version du texte, les collectivités territoriales soient dûment représentées au sein de la première – elles y interviendraient en tant que gestionnaires aux côtés de l'État –, cependant que la seconde commission pourrait s'ouvrir davantage à la société civile.

Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi dispose que le Comité national de la biodiversité (CNB) « peut » être consulté par le Gouvernement sur l'ensemble de ses décisions. Mieux vaudrait indiquer qu'il l'« est », ce qui contribuerait à faire de la préservation de la biodiversité un élément de toute politique publique.

Nous sommes choqués que l'on ait supprimé l'exonération de taxe sur le foncier non bâti dans les zones humides. Compte tenu de la nécessité de protéger celles-ci, nous vous invitons non seulement à rétablir cette exonération, mais aussi à analyser – y compris au niveau des collectivités territoriales – une politique qui n'atteint que partiellement son but. Les zones humides, fortement affectées par le développement, méritent sans doute un meilleur traitement que celui qu'on leur a accordé jusqu'ici.

Nous le pressentons partout où nous intervenons : la question des ressources minières, pétrolières ou gazières et des méthodes adoptées pour les exploiter sera un enjeu crucial au cours des prochaines décennies. Nous saluons la préparation, en France, d'un nouveau code minier prévoyant l'élaboration d'un schéma national en la matière, mais nous soulignons l'importance de prévoir une déclinaison territoriale de ce schéma, terrestre mais aussi marine – en Guyane, des campagnes sismiques ont été menées, en vue de l'exploitation pétrolière, pendant le passage des baleines, ce qu'un minimum de concertation aurait sans doute évité.

Le schéma minier doit aussi respecter les protections réglementaires : zones de réserve, zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) et sites classés. On doit renoncer à extraire le dernier bloc de minerai ou la dernière goutte de pétrole dans des zones dont l'État ou les collectivités territoriales ont jugé qu'elles méritaient d'être protégées.

La création d'un fonds de compensation écologique pourrait favoriser une meilleure répartition du produit des redevances entre les diverses parties prenantes, mais aussi servir à développer la recherche et à réunir des compétences pour réhabiliter des sites et mettre en oeuvre des projets durables. Cela suppose de mettre à contribution ceux qui bénéficient des produits de la nature. Dès lors qu'il y a exploitation minière ou pétrolière, il faut prévoir une réhabilitation, ce qui aidera en outre à créer dans ce secteur des pôles d'excellence français, en espérant qu'ils seront imités partout dans le monde.

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