Intervention de Jean-Marc Ayrault

Séance en hémicycle du 25 février 2014 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises en centrafrique débat et vote sur cette déclaration

Jean-Marc Ayrault, Premier ministre :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, le 5 décembre dernier, le Président de la République décidait d’envoyer nos soldats en République centrafricaine afin d’éviter à ce pays de sombrer dans le chaos.

En effet, la Centrafrique était en proie à une violence généralisée et à une dérive confessionnelle. Les Séléka, ces milices à dominante musulmane qui avaient déposé quelques mois auparavant le président Bozizé, multipliaient exactions et pillages.

Les anti-balaka, recrutés parmi les populations chrétiennes, commençaient à s’en prendre aux civils musulmans, par esprit de vengeance, mais aussi, parfois, pour des motifs crapuleux.

Sur la base d’un mandat des Nations unies et en appui à la force de l’Union africaine, l’opération Sangaris poursuivait deux objectifs : rétablir la sécurité en République centrafricaine et permettre le retour des organisations humanitaires ; favoriser la montée en puissance de la force africaine, la MISCA, et son déploiement opérationnel.

Cette intervention répondait à l’urgence. Il n’y avait plus, en Centrafrique, ni armée, ni police, ni justice. Les écoles et les hôpitaux avaient cessé de fonctionner. À la tête d’un État failli, l’équipe de transition avait perdu tout contrôle, et la spirale de la violence prenait brutalement une ampleur nouvelle. À la veille de notre intervention, les massacres avaient fait pas moins de 1 000 victimes dans la capitale. Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce qu’était la réalité centrafricaine !

La France, par la voix du Président de la République à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, avait, dès septembre 2013 – je tiens à le rappeler ici –, alerté la communauté internationale. Mais, à l’exception des États voisins, de l’Union africaine et des acteurs humanitaires, notre mise en garde n’avait pas permis de surmonter une coupable indifférence, et la République centrafricaine se trouvait au bord du gouffre.

Mesdames et messieurs les députés, voilà la question que nous devons nous poser : fallait-il que la France, qui était, grâce à ses forces prépositionnées, la seule à pouvoir intervenir sans délai en appui à la MISCA, laisse ces atrocités se perpétrer et le pays s’enfoncer dans une situation que certains, à l’ONU, ont qualifiée de « pré-génocidaire » ? Fallait-il abandonner ce pays en plein coeur de l’Afrique, dans une région déjà très fragilisée par les conflits dans les Grands Lacs ou au Soudan ? Fallait-il prendre le risque de laisser se créer une zone de non-droit à la merci de tous les trafics et du terrorisme ? Fallait-il rester sourds à l’appel au secours désespéré de la population centrafricaine et à la demande de soutien des Africains ? À l’évidence, non ! Je sais que, comme moi, ce n’est pas l’idée que vous vous faites de la France et de ses valeurs. Ce n’est pas la conception que nous avons du rôle de notre pays dans le monde. C’est d’ailleurs ce que vous aviez tous exprimé, mesdames et messieurs les députés, lors du précédent débat.

Bien au contraire, la France devait prendre ses responsabilités. Et c’est parce que nous avons agi que des massacres de masse ont été évités, que chaque jour des vies sont sauvées, et que la République centrafricaine a une chance de pouvoir reprendre en main son destin.

C’est aussi parce que nous avons été capables d’ouvrir la voie que, peu à peu, avec nos amis africains, nous entraînons nos autres partenaires internationaux. Je le rappelle : la France a pris ses responsabilités. Contrairement à ce que je lis ou entends parfois, la France n’est pas seule, elle n’est pas isolée, mais elle a pris ses responsabilités. En peu de temps, la MISCA est passée d’environ 2 500 hommes au début de notre intervention à 6 000 aujourd’hui. Elle accomplit un travail de grande qualité, en bonne coordination avec Sangaris. De nombreux pays contribuent aux opérations en cours, par un soutien logistique indispensable : c’est le cas des États-Unis et de nos partenaires européens. L’Union européenne apporte aussi un soutien financier, à hauteur de 50 millions d’euros.

Au-delà de ce soutien, l’Union européenne a décidé d’engager directement des troupes sur le terrain en établissant à l’unanimité, le 10 février dernier, l’opération EUFOR-RCA. Elle a pris cette décision plus vite qu’elle ne l’avait jamais fait dans des circonstances comparables. Dans les prochains jours, un premier échelon devrait arriver sur le terrain. Cette force européenne aura pour mission principale d’assurer la sécurité de l’aéroport de Bangui et de certains quartiers, ce qui permettra à la MISCA et à Sangaris de continuer à se déployer en province, où leur intervention est très attendue. À ce jour, une dizaine de partenaires européens ont fait part de leur intention d’y contribuer. Le processus de génération de forces se poursuit. Comme l’a annoncé la chancelière Merkel à l’occasion du conseil des ministres franco-allemand la semaine dernière, l’Allemagne devrait, elle aussi, participer à cet effort par des moyens logistiques.

Il appartient aux Nations unies de faire davantage, et de faire plus vite : c’est le souhait exprimé par le secrétaire général lui-même. L’ONU doit notamment être en mesure de coordonner l’aide humanitaire, de préparer le désarmement et la réinsertion des combattants, ainsi que d’aider le gouvernement centrafricain à avancer vers les élections. Les Nations unies ont un rôle évident à jouer dans la lutte contre l’impunité, grâce au déploiement d’une commission d’enquête internationale, dont le travail complétera celui de la Cour pénale internationale. Enfin, la préparation d’une opération de maintien de la paix, en partenariat avec l’Union africaine, doit s’accélérer – j’y reviendrai dans un instant.

Mesdames et messieurs les députés, nos efforts ont commencé à porter leurs fruits. L’embrasement généralisé qui menaçait a été évité. La mobilisation internationale s’organise. Sangaris poursuit avec opiniâtreté les objectifs qui lui sont assignés. À Bangui même, l’insécurité ne se concentre plus que sur quelques quartiers. La plupart des combattants ex-Seleka ont été désarmés et cantonnés, sous le contrôle de la MISCA, et nombre d’entre eux sont repartis vers le nord du pays. Dans la capitale, la menace vient principalement des anti-balaka, contre lesquels nous agissons de manière très vigoureuse.

Dans la moitié occidentale du pays, des affrontements entre communautés ont toujours lieu. En lien étroit avec la MISCA, nos forces font le maximum pour protéger les populations chrétiennes et musulmanes avec une totale impartialité. À l’est, il convient de veiller à ce que les regroupements d’ex-Seleka n’aboutissent pas à une coupure de fait entre cette région et le reste du pays.

Le départ massif de populations musulmanes constitue un sujet de vive inquiétude, dans un pays où les religions ont longtemps vécu en bonne harmonie. Les pays voisins, à commencer par le Tchad et le Cameroun, font preuve de beaucoup de solidarité en accueillant un nombre important de réfugiés. Ils doivent pouvoir compter sur l’appui de la communauté internationale ; celui de la France leur est pleinement acquis.

En matière humanitaire, la situation reste en effet très critique, avec 250 000 réfugiés et 825 000 déplacés, dont 400 000 dans la capitale. Un habitant sur deux a besoin de soins médicaux d’urgence, un sur cinq d’aide alimentaire. Le départ de nombreux musulmans, qui animaient le commerce, fragilise encore davantage l’économie. Sur place, les agences des Nations unies s’efforcent de faire face. Le Programme alimentaire mondial a mis en place un pont aérien, qui permet de ravitailler les déplacés en attendant que la MISCA, soutenue par Sangaris, sécurise totalement l’axe vital entre Bangui et le Cameroun. De nombreuses ONG, qui n’avaient jusqu’à présent pas pu agir, sont très actives, dont Médecins du monde et Médecins sans frontières, qui gèrent le seul hôpital resté ouvert à Bangui.

Sur le plan politique, la nouvelle présidente de transition, Catherine Samba-Panza, première femme à diriger un pays d’Afrique francophone, a su créer une dynamique, et je tiens à lui renouveler devant vous le soutien de la France. Il faut maintenant que cette dynamique puisse se concrétiser dans la vie quotidienne de la population, et que le paiement du salaire des fonctionnaires reprenne, afin que les institutions de base recommencent à fonctionner. Les pays de la région ont promis leur aide. Il est important que les institutions financières internationales, elles aussi, soient au rendez-vous. La France agit en ce sens.

Mesdames et messieurs les députés, je viens de décrire sans fard la situation de la République centrafricaine. Oui, il faut bien le dire, les difficultés sont considérables. Non, la France ne les sous-estime pas et ne cherche pas à les minimiser. Pour autant, les premiers progrès sont réels et une perspective se dessine, dans tous les domaines. Des élections doivent être organisées d’ici février 2015…

1 commentaire :

Le 06/03/2014 à 10:55, laïc a dit :

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Voilà comment M. Ayrault présente les choses en Centrafrique :

"En effet, la Centrafrique était en proie à une violence généralisée et à une dérive confessionnelle. Les Séléka, ces milices à dominante musulmane qui avaient déposé quelques mois auparavant le président Bozizé, multipliaient exactions et pillages.

Les anti-balaka, recrutés parmi les populations chrétiennes, commençaient à s’en prendre aux civils musulmans, par esprit de vengeance, mais aussi, parfois, pour des motifs crapuleux."

Il faut quand même avoir l'honnêteté ici de préciser que ce n'est qu'après l'intervention de l'armée française que les chrétiens ont pu s'en prendre aux musulmans, alors que M. Ayrault sous-entend que les chrétiens s'en prenaient déjà aux musulmans avant l'intervention de l'armée française, ce qui est faux, en dehors de quelques ripostes sporadiques de légitime défense, qui sont d'ailleurs à l'origine de la constitution du groupe des anti-balakas. Les musulmans commettaient exactions criminelles sur exactions criminelles, sans que les chrétiens puissent réagir efficacement, ce qui a motivé l'intervention de l'armée française. Une fois celle-ci réalisée, les chrétiens ont pu retrouver du mordant et ont profité de l'occasion pour régler leurs comptes avec le groupe de la population qu'ils considéraient le plus souvent à juste titre comme le premier agresseur. Mais la responsabilité des musulmans sekelas est entière dans les troubles qui déchirent la Centrafrique. Les crimes des anti-bakalas n'en sont qu'une conséquence, ce n'est que le vent de leur propre violence qui se retourne contre eux. Comme on dit dans les cours de récréation : "Fallait pas commencer..."

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