Intervention de Thierry Braillard

Séance en hémicycle du 27 février 2014 à 9h30
Prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chers collègues, cette proposition de loi, pour technique qu’elle soit, concerne la vie quotidienne des salariés, notamment lorsque le contrat de travail est rompu.

Savez-vous, chers collègues, quel est le motif de fin de contrat à durée indéterminée le plus utilisé dans notre pays ? On pourrait croire que c’est le licenciement. Et bien, non, c’est la démission. Les chiffres de l’excellent rapport de la DARES, qui sont parfois surprenants, montrent qu’en 2012, par exemple, 70 % des ruptures de contrat de travail des salariés ayant moins de trente ans étaient une démission, autrement dit, la rupture à l’initiative du salarié. Bien entendu, toute démission n’est pas liée automatiquement, systématiquement, à un conflit avec l’employeur.

La création, en 2008, de la rupture conventionnelle du contrat a réglé pas mal de situations par le licenciement à l’amiable. Mais il reste des cas où le salarié n’a pas d’autre choix que de rompre lui-même son contrat en raison de faits, de manquements qu’il reproche à son employeur.

Il y a déjà plus de dix ans que la chambre sociale de la Cour de cassation a défini le régime de la prise d’acte de rupture, sans que cette définition ne varie depuis. La Cour estime que « lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d’une démission ».

Aucun formalisme n’est attaché à la prise d’acte, qui peut être verbale ou écrite. Lorsque le salarié prend l’initiative de la rupture du contrat de travail et démissionne, tout en faisant valoir – sur le moment ou, ensuite, au cours de la procédure prud’homale – qu’il a été contraint d’agir de la sorte en raison du comportement de son employeur, il peut le faire. La seule limite, c’est qu’il ne peut pas exposer des faits, postérieurs à la rupture, qu’il pourrait reprocher à son employeur.

La prise d’acte entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour lui demander d’apprécier les faits. Si les faits, les manquements de l’employeur sont suffisamment graves et qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail, le juge qualifiera la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les conséquences qui s’imposent, c’est-à-dire le paiement d’indemnités légales ou conventionnelles – indemnités de licenciement, indemnités compensatrices de préavis, indemnités de congés payés sur préavis – et l’appréciation du préjudice subi par, soit des dommages et intérêts si le salarié a moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise, soit une indemnité pour licenciement abusif. Dans le cas contraire, le juge qualifiera la rupture de démission.

Entre la brusque rupture par le salarié et le déroulé de la procédure prud’homale, quel est le statut social du salarié ? Il est extrêmement précaire, car la rupture est d’effet immédiat. L’employeur est, en revanche, tenu de remettre au salarié qui a pris acte de la rupture de son contrat une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte.

Toutefois, la délivrance de l’attestation Pôle emploi ne permet pas nécessairement – pour ne pas dire jamais – au salarié de bénéficier d’une indemnisation au titre du chômage. L’attestation doit en effet mentionner le motif de rupture. Or, même si l’employeur est tenu par les motifs de la prise d’acte tels qu’ils ont été présentés par le salarié, il peut se contenter de mentionner comme motif de rupture : « Prise d’acte de la rupture du contrat de travail ». Ainsi, au moment où Pôle emploi reçoit l’attestation, il n’est pas en mesure de savoir si cette rupture va produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse – ouvrant droit aux allocations de chômage – ou d’une démission – privative de ces mêmes allocations. Le salarié doit donc attendre la décision judiciaire.

Dans l’attente du jugement, le salarié ne peut bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi que dans quelques cas restreints. Il ne peut pas non plus bénéficier de l’assurance chômage. Il ne peut bénéficier d’un soutien que s’il y a une démission légitime établie par l’Unédic. Parmi la liste de ces démissions, deux cas de figure peuvent correspondre à une prise d’acte.

Premier cas de figure : lorsque la démission est intervenue pour cause de non-paiement des salaires, Pôle emploi exige que le salarié justifie d’une ordonnance de référé. Mes chers collègues, je vous laisse imaginer le salarié qui vient de prendre acte de la rupture de son contrat, qui sait qu’à partir de là, il n’aura plus aucun revenu et à qui on va demander, de surcroît, d’engager une procédure prud’homale pour pouvoir produire une ordonnance. Comme si tout cela était simple et ne coûtait rien ! C’est le parcours du combattant !

Deuxième cas de figure : lorsque la démission est intervenue à la suite d’un acte susceptible d’être délictueux dont le salarié déclare avoir été victime à l’occasion de l’exécution de son contrat de travail : il doit alors justifier avoir déposé une plainte devant le Procureur de la République.

Enfin, en vertu de l’accord d’application no 12 de l’Unédic, tout demandeur d’emploi non indemnisé qui n’est pas reclassé après 121 jours de chômage peut solliciter un réexamen de sa situation. Ainsi, quatre mois après avoir pris acte de la rupture de son contrat, le salarié peut s’adresser à l’instance paritaire régionale de Pôle emploi, qui étudiera son dossier. La situation du salarié est extrêmement précaire durant cette période. Quant à celle de l’employeur, elle mérite d’être évoquée, car il doit souvent provisionner dans son bilan l’aléa judiciaire, ce qui n’est jamais bon pour le bilan financier d’une société.

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