Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 27 février 2014 à 9h30
Procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

…u 8 juin 1895, qui, votée peu après la condamnation de Dreyfus permettait qu’un élément nouveau ou un élément inconnu puisse permettre de réviser le procès.

Il y a eu ensuite la loi du 23 juin 1989, également d’initiative parlementaire puisque Michel Sapin en était l’auteur. Cette loi de 1989 a, d’une part, judiciarisé l’intégralité de la procédure qui, jusque-là, était partiellement administrative puisque le garde des sceaux faisait fonction de commission des requêtes – la procédure est donc devenue totalement judiciaire – et, d’autre part, a affirmé très clairement le principe selon lequel la révélation d’un fait nouveau ou d’un élément inconnu au jour du procès peut être prise en compte non seulement lorsqu’elle démontre l’innocence, mais également lorsqu’elle fait naître un doute sur la culpabilité. Ce progrès considérable a permis l’évolution de la procédure de révision telle qu’elle est aujourd’hui établie dans notre droit.

La proposition de loi que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le rapporteur Alain Tourret, est issue du travail de très grande qualité que vous avez effectué dans le cadre de la mission que vous avez conduite avec Georges Fenech. Elle s’inscrit très directement dans le sillage, dans la lignée, dans la filiation de ces grandes lois de justice et de progrès qui ont consolidé notre droit en matière de procédure de révision des condamnations pénales.

Le travail était évidemment difficile : ainsi que je l’ai dit lorsque j’ai été auditionnée par votre mission, la voie est étroite. Oui, la voie est étroite parce qu’il s’agit de trouver une réponse à un sujet qui se trouve en tension entre deux impératifs contraires : d’un côté, le souci de la vérité, c’est-à-dire cette inquiétude, cette obsession, cette préoccupation de lutter contre l’erreur judiciaire et, de l’autre, vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, le respect de l’autorité de la chose jugée. Ce principe essentiel de notre droit remonte d’ailleurs à un adage romain : « Res judicata pro veritate habitur », ou « Chose jugée prend force de vérité ».

En réalité, la caractéristique essentielle du procès pénal est que, contrairement à ces systèmes archaïques de vengeance sans fin, de vengeance privée opposant les personnes en cause, l’auteur et la victime, contrairement à ces systèmes archaïques où la vengeance ne s’éteint jamais, le procès pénal a vocation à prononcer une décision définitive qui éteindra l’action. Une fois toutes les voies de recours explorées et épuisées, la décision apportée par le procès pénal doit devenir définitive : cela est indispensable.

Nous comprenons parfaitement votre préoccupation, qui est également la nôtre, concernant la nécessité de lutter contre l’erreur judiciaire. Cette évidence de bon sens et de bon droit est également un héritage des Lumières. Mais, tant pour les victimes que pour les auteurs et surtout pour l’ensemble du corps social, il demeure extrêmement important que la justice pénale remplisse son office ; or son office principal est d’apporter l’apaisement dans la société par des décisions reconnues comme étant définitives.

La deuxième grande difficulté du sujet, outre cette tension permanente entre, d’un côté, le souci de la vérité et, de l’autre, le respect de l’autorité de la chose jugée, tient justement à l’adage que je viens d’énoncer : la vérité judiciaire n’est pas forcément, n’est pas absolument, n’est pas nécessairement une vérité. Tant en matière criminelle, devant les cours d’assises, qu’en matière correctionnelle, nous savons parfaitement que la preuve, même formelle, ne suffit pas pour condamner une personne ; mais nous savons également que l’on peut condamner une personne malgré des preuves. C’est là tout l’espace de l’intime conviction, c’est-à-dire la libre appréciation des preuves qui sont fournies dans le cadre du procès. Ce principe de l’intime conviction doit se concilier avec un autre principe : celui de la présomption d’innocence et de son corollaire, qui se traduit aussi par un adage : « In dubio pro reo » ou, comme le rappelle le président de la cour d’assises aux jurés : « Le doute doit profiter à l’accusé », ainsi que cela est énoncé à l’article 304 du code de procédure pénale.

La voie était donc étroite ; je dois cependant reconnaître que vous avez su trouver le chemin, ce chemin droit qui permet non seulement de lutter effectivement contre les erreurs judiciaires, mais également d’éviter de faire de la révision un troisième degré de juridiction.

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