Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 27 février 2014 à 9h30
Procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il aura fallu que Roland Agret se mutile, se coupe deux doigts, pour forcer l’attention sur l’erreur judiciaire commise à son encontre et pour obtenir la révision de son procès. Condamné à tort en 1973, il est enfin acquitté en 1985, douze ans après.

La présente proposition de loi présentée par Alain Tourret est d’une nécessité évidente. En effet, la révision effective des condamnations pénales reste d’une rareté extrême. Comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux, depuis 1989 seules neuf condamnations criminelles ont été révisées. Neuf révisions seulement en vingt-cinq ans, comme s’il n’y avait eu que neuf erreurs judiciaires en un quart de siècle, comme si, à côté de Patrick Dils, de Loïc Sécher, de Marc Machin et de quelques rares autres qui ont obtenu la révision de leur procès, il n’y avait pas eu d’autres accusés condamnés à tort.

En réalité, on le sait, plusieurs éléments font obstacle à la mise en oeuvre de la procédure de révision.

D’abord, l’interprétation de la règle de l’autorité de la chose jugée. En réalité, deux principes contradictoires s’affrontent, comme le notait M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, devant votre mission d’information : d’un côté, « un intérêt supérieur d’équité et d’humanité, qui prescrit la réparation des erreurs et la reconnaissance de l’innocence des personnes condamnées à tort », de l’autre « l’autorité de la chose jugée, qui implique pour des raisons tenant à la paix sociale et à la sécurité juridique une stabilité des jugements, dès lors que les voies de recours ont été épuisées ».

L’autorité de la chose jugée est donc souvent invoquée pour éviter ou limiter la remise en cause des décisions de justice devenues définitives pour mettre un terme aux litiges. Sans ce principe, assure-t-on, les décisions judiciaires seraient continûment contestées et les procès succéderaient aux procès dans une sorte de querelle sans fin. Dès lors, parfois, la force de la chose jugée, il faut le reconnaître, s’apparente beaucoup à la force d’inertie. On connaît l’adage qu’a rappelé Mme la garde des sceaux et qui résume ce principe : res judicata pro veritate habetur, c’est-à-dire la chose jugée est considérée comme étant la vérité. Il y a là un postulat et parfois une fiction dans cette formule qui répute automatiquement exacte la décision judiciaire définitive. Y aurait-il un dogme de l’infaillibilité juridictionnelle, procédant d’une sorte de sacralité de la justice, qui, par principe, aurait toujours raison ?

Pourtant, l’office du juge n’est pas celui d’un pontife ou d’un augure qui rendrait des oracles et la procédure pénale ne relève pas des catégories de la pensée magique. Pourtant, étant oeuvre humaine, l’acte de juger est par essence faillible. Toutefois, il y aurait peut-être une difficulté psychologique et donc une réticence pour les magistrats à reconnaître, à travers la révision, que l’institution judiciaire à laquelle ils appartiennent s’est trompée. À cet éventuel esprit de corps s’ajoute une autre donnée. Le jury populaire, institué à la Révolution, étant considéré comme l’émanation du peuple souverain, les arrêts d’assises paraissent revêtus, aussi pour cette raison, d’une autorité particulière, qui rend malaisée leur révision.

La deuxième difficulté pour obtenir la révision d’une condamnation, c’est la manière souvent trop exigeante dont la notion de doute est interprétée. Jusqu’en 1989, la jurisprudence exigeait l’existence d’un doute sérieux. La loi du 23 juin 1989, qui résulte des efforts de Michel Sapin et de Michel Dreyfus-Schmidt a enlevé du coup du mot « doute » son collier d’adjectif, si je puis dire. Il n’y a plus de doute sérieux nécessaire, un doute suffit. Malgré tout, la chambre criminelle continue, et les juridictions pénales en général, à réclamer l’existence d’un doute sérieux et raisonnable. C’est pourquoi cette proposition de loi prévoit que le moindre doute suffit pour pouvoir entamer une procédure de révision.

M. Bruno Cotte, l’ancien président de la Chambre criminelle disait ceci : « Faut-il une échelle du doute comme on demande aux malades de se situer sur une échelle de la douleur ? N’est-ce pas tout aussi subjectif ? Pardonnez-moi, mais quand on doute, on doute et, dans ce cas-là, on en tire les conséquences. » Par conséquent, si cette proposition de loi est adoptée, ce que je souhaite, le moindre doute suffira à entrer comme élément dans la procédure de révision.

J’en viens à la motivation des arrêts d’assises. Chacun sait qu’elle n’est pas très riche dans le droit procédural français tel qu’il existe, et qu’elle est même franchement insuffisante, qu’une feuille de motivation résume très succinctement les éléments principaux retenus à charge. Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme a souvent dit qu’il s’agissait d’une sous-motivation par rapport aux exigences qui devraient être requises surtout s’agissant de condamnations qui concernent les infractions les plus graves.

Au-delà de la présente proposition de loi, une autre initiative sera sans doute à prendre dans cette action pour la vérité judiciaire. En effet, il conviendra aussi d’agir à la source, d’agir en amont et pas seulement en aval, pour prévenir les erreurs judiciaires plutôt que d’avoir à les réparer après coup, a posteriori. Dans ce but, il faudra également légiférer, modifier la loi, pour réformer le système de l’intime conviction prévu par le code de procédure pénale. Conformément à l’article 353 de ce code, avant que la cour d’assises se retire pour délibérer, le président donne lecture de l’instruction suivante : « La loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont fait, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé. » La loi ne leur pose que cette seule question : « Avez-vous une intime conviction ? » Cette méthode laisse donc aux juges et aux jurés la liberté d’appréciation des preuves et de leur effet probatoire, la liberté d’apprécier souverainement les faits des preuves qui sont avancées ou apportées. D’où le risque parfois d’entraîner une condamnation sans preuves certaines ou totalement convaincantes.

Il faut donc remettre en cause cette vieille notion du droit pénal français, cet archaïsme, curieusement établi par la Constituante. Cet archaïsme se fonde sur le primat de la subjectivité, du sentiment intime, de l’impression, plus que sur l’objectivité de preuves sûres et manifestes.

Selon les députés de la Constituante, influencés à l’évidence par le rousseauisme, l’homme libre, forcément intègre, jugera avec bon sens, avec sa conscience pour seul guide. Ainsi, parlant des jurés, le constituant Adrien Duport assurait ceci : « Tous décident par la droiture et la bonne foi, simplicité bien préférable à cet amas inutile et funeste de subtilités et de formes que l’on a jusqu’à ce jour appelé justice. » Plus de deux siècles après, le système de l’intime conviction perdure, avec tous ses risques, avec une justice pénale risquant de statuer moins sur des faits objectifs que sur des sentiments subjectifs, des intuitions, des impressions.

Si la décision dépend des impressions personnelles sur les preuves avancées, on entre alors dans le domaine du fortuit, du contingent, du hasard, voire du jeu de hasard. Pourtant, la justice pénale ne saurait être une loterie, ni une tombola judiciaire où les lots consisteraient en des années de réclusion criminelle.

Ce principe de l’intime conviction risque de générer des erreurs judiciaires. Il faudra donc revoir l’article 353 du code de procédure pénale ainsi que l’article 427 qui pose la même règle en matière correctionnelle pour s’en tenir désormais aux faits dûment prouvés.

Revenons-en à la proposition de loi et donc à la révision des condamnations, une fois celles-ci prononcées. Au fond, la révision est liée à l’histoire de la République. On appelait « révisionnistes » les partisans du capitaine Alfred Dreyfus, dont la révision fut la dernière arme pour rétablir la vérité, après deux condamnations successives par deux Conseils de guerre, sur la base de faux documents ou de faux témoignages. En 1906, la Cour de cassation annule enfin, sept ans après, la décision du second Conseil de guerre et le fait dans ces termes : « Dit que c’est par erreur et à tort que cette condamnation a été prononcée ». La vérité l’avait enfin emporté sur l’apparente vérité judiciaire, la vérité dont Émile Zola s’était fait le meilleur défenseur dans J’accuse, dès janvier 1898, en écrivant ces quelques lignes : « L’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice. Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière. » Défendre un innocent, combattre l’erreur, servir la vérité : Zola aura été l’honneur de la République et de la vraie justice.

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