Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 27 février 2014 à 15h00
Procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Article 3

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Je ne le crois pas. Chaque fois que le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer, saisi sur la base de ce grief, comme ce fut notamment le cas en février 2010, alors que nous avions avancé l’argument, le Conseil l’a prudemment écarté ; il ne s’est pas prononcé sur sa valeur constitutionnelle, mais le simple fait qu’il ne l’ait pas utilisé pour se prononcer est à mes yeux un élément de prudence. Je crois néanmoins que, comme l’a très bien dit Christiane Taubira ce matin, il s’agit d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, antérieur à la Quatrième République puisqu’on le trouve dans le code d’instruction criminelle de 1808. C’est donc un principe de droit, mais qui n’est pas pour autant validé à ce titre par le Conseil constitutionnel.

Cependant, je voudrais insister sur le fait qu’un autre argument constitutionnel s’oppose à l’adoption de l’amendement : l’autorité de la chose jugée. Partons du texte fondamental qu’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, base de notre construction juridique. Son article 16 garantit à tout citoyen le droit à la sécurité juridique, expression qui peut s’entendre dans plusieurs acceptions : les droits de la défense ou le droit au juge, par exemple, mais aussi l’impossibilité de remettre en cause des décisions de justice passées en force de chose jugée. Pour avoir interrogé plusieurs personnes autour de moi, je crois vraiment qu’il s’agit d’un des principes les plus intangibles et les plus protégés de notre droit constitutionnel. Le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence, a eu de multiples occasions de dire et de redire que l’autorité de la chose jugée est un principe auquel on ne peut pas toucher.

En réalité, ce que je viens de dire n’est pas tout à fait juste. De fait, il peut arriver que l’on méconnaisse ce principe posé par l’article 16, mais le Conseil a précisément dit comment et dans quelles conditions il était possible de le méconnaître. On peut le faire si ce principe vient en contrepartie d’un autre principe de même niveau. Dans le cas de la proposition de loi qui nous est soumise, la remise en cause est basée sur le fait que la présomption d’innocence est un principe aussi fort que celui de l’autorité de la chose jugée. Cet équilibre des forces permet de passer outre le principe garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme : c’est la présomption d’innocence contre l’autorité de la chose jugée. Ce n’est pas le cas, en revanche, de l’amendement que vous nous proposez, monsieur Fenech, puisque, à mon sens, ce que vous nous présentez comme une avancée ne correspond pas à la réalité de ce que permet le Conseil constitutionnel.

Au-delà, en réalité, une question se pose – nous aurons souvent l’occasion d’en reparler – : quelle est la fonction du procès pénal ? On n’en parle pas suffisamment parce qu’on aborde toujours cette question par petits bouts ; or, comme Alain Tourret l’a très bien dit ce matin, le procès pénal a fondamentalement une fonction pacificatrice.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion