Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 19 février 2014 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Victorin Lurel, ministre des Outre-mer :

Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir organisé cet échange sur un certain nombre de sujets qui constituent de véritables enjeux pour nos Outre-mer.

Je vous rappelle quelques textes importants initiés par le Gouvernement, et auxquels j'aimerais vous associer, mesdames et messieurs les députés : la déclinaison pour l'outre-mer du Pacte de responsabilité, la mise à plat fiscale demandée par le Premier ministre, le toilettage des lois organiques de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, et la réforme de l'octroi de mer, qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2014 après consultation des instances européennes.

D'autres textes intéressent les Outre-mer : le recours à la procédure accélérée pour la loi de finances, qui nous permettra de dégager 50 milliards d'euros sur trois ans, dont 18 milliards en 2015, la loi d'avenir pour l'agriculture et son volet outre-mer, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, ainsi que les projets de loi sur la décentralisation.

J'en viens au premier objet de notre réunion, à savoir la fin programmée des quotas sucriers en 2017 qui inquiète les élus et les acteurs socioprofessionnels. Il convient d'aider la filière à préparer l'après-2017 et sur ce point je serai attentif aux conclusions de votre rapport.

Le Gouvernement inscrit résolument son action dans le cadre du soutien à l'agriculture des territoires d'outre-mer. Ce soutien est parfaitement justifié compte tenu du poids du secteur agricole dans nos territoires en termes de PIB, d'emploi, d'occupation de l'espace et de paysage. Il n'y a pas de doute à avoir quant à la détermination du Gouvernement, comme en témoignent les décisions prises au cours des vingt derniers mois.

Ainsi le titre outre-mer de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, à laquelle votre délégation a directement contribué, permettra d'accompagner nos agricultures vers un nouveau modèle agro-écologique de production, tout en maintenant des dispositions très spécifiques en direction de nos priorités – installation des jeunes, préservation du foncier, valorisation de la production locale ; quant à la loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, elle a permis de revaloriser significativement les retraites agricoles.

La question de la canne fait l'objet depuis quelques mois de polémiques inutiles et de contrevérités, mais surtout elle suscite des inquiétudes légitimes auxquelles il est de ma responsabilité de répondre.

S'il en est encore besoin, je rappelle une évidence : il n'a jamais été question d'organiser « la fin de la canne ». Je connais trop bien le rôle des cultures traditionnelles sur le plan de l'emploi, de l'aménagement rural ou de la création de valeur, et je sais que les cultures susceptibles de se substituer aux cultures traditionnelles ne sont pas encore au point, ni en mesure d'occuper les superficies que la canne ou la banane occupent aujourd'hui.

En revanche, s'il n'est pas dans notre intention de voir disparaître la canne, il convient que nous nous préparions à une évolution qui va modifier substantiellement l'organisation du marché du sucre.

Les quotas sucriers – c'est-à-dire le mécanisme d'encadrement du marché sucrier, qui se résume schématiquement par la fixation de quotas de production dont le prix d'achat est garanti au-dessus du cours mondial du sucre – ont été condamnés en 2005 par l'OMC au motif que ce mécanisme de régulation portait une atteinte disproportionnée à la concurrence.

Cette perspective de réforme du mécanisme de soutien au secteur sucrier n'est donc en rien une nouveauté. À tel point que le POSEI – programme d'options spécifiques pour l'éloignement et l'insularité – mis en place en 2006 a intégré cette perspective et qu'une part essentielle de l'aide au secteur est constituée d'une « aide forfaitaire à la réforme de l'OCM sucre ».

Le seul élément vraiment nouveau est le calendrier, car après un accord passé entre la Commission, le Parlement et le Conseil, les quotas sucriers disparaîtront en 2017. Il nous reste donc peu de temps pour nous préparer à cette échéance.

J'en viens aux grands équilibres du secteur. La production de sucre de canne dans les DOM s'élève à 260 000 tonnes – à comparer aux 4,5 millions de tonnes de sucre de betterave produits en métropole, aux 18,5 millions produits en Europe et aux 175 millions produits au niveau mondial.

La France, 8ème producteur mondial et premier producteur européen de sucre, reste un acteur non négligeable du marché.

Dans les DOM, le poids de la filière est considérable : 15 000 emplois, plus de 42 000 hectares de terres agricoles, cinq sucreries – Bois-Rouge et Le Gol à La Réunion, les sucreries du Moule et de Marie-Galante en Guadeloupe, la sucrerie du Galion en Martinique, sans compter que quelques grands groupes industriels – Tereos à La Réunion, COFEPP en Guadeloupe – ont investi dans la filière.

Depuis de nombreuses années, le secteur bénéficie d'un soutien public conséquent, tant au niveau européen que national. Depuis la réforme de l'OCM sucre, les conventions canne 2006-2015 encadrent le soutien apporté à la filière dans chaque DOM.

L'ensemble du secteur – canne, sucre, rhum – est soutenu par le biais du POSEI à hauteur de 75 millions d'euros par an, dont 59 millions au titre de l'aide forfaitaire.

Ces aides sont complétées par des aides nationales annuelles. Celles-ci sont autorisées par la Commission européenne dans la limite d'un plafond de 90 millions d'euros, dont 56 millions pour les planteurs, en complément du prix de la canne, 10 millions pour les industriels du sucre, en complément de l'aide forfaitaire POSEI, et 24 millions consacrés à l'écoulement du sucre DOM en métropole – dont le montant, payé au réel, n'est pas réparti.

Ces aides ont fait l'objet d'une augmentation inversement proportionnelle à la baisse du prix de référence du sucre sur le marché européen, ce qui a favorisé la stabilité économique de la filière et permis aux sociétés sucrières d'engager des investissements importants.

J'ai lu récemment dans la presse que ces aides bénéficiaient plus aux Antilles qu'à La Réunion. De telles polémiques ne devraient pas avoir lieu, d'autant que certains éléments ne peuvent être comparés, en particulier l'efficacité industrielle des usines. Au lieu d'entrer dans les détails des chiffres, concentrons-nous sur l'essentiel, vérifions que les modalités des aides correspondent bien aux surcoûts rencontrés par la filière et que le dispositif de soutien est efficace.

Comment l'État pourrait-il favoriser un territoire au détriment des autres sachant que ce n'est pas lui qui fixe le prix de la canne ? Celui-ci est construit à partir du prix industriel de base, auquel s'ajoutent la valorisation énergie, diverses primes liées aux zones difficiles, une aide à la production, une fraction d'ICHN – les indemnités compensatoires de handicaps naturels –, une aide au transport. Toutes ces aides sont détaillées dans la convention canne de chaque département qui est signée par les planteurs.

Les conventions cannes ont fixé le prix industriel d'achat de la tonne de canne à 34,76 euros en Martinique, pour une richesse de 8 %, à 23,81 euros en Guadeloupe, pour une richesse de 9 %, et à 39,09 euros à La Réunion, pour une richesse de 13,8 %. Ainsi, en Martinique, le total des aides aboutit à un montant de 84,84 euros la tonne de canne ; à La Réunion, la même assiette d'aides s'élève à 85 euros la tonne, hors prime bagasse.

L'écart entre les richesses retenues s'explique par les conditions de production – climat, saisons – qui diffèrent selon les territoires.

Il est donc délicat de vouloir comparer la situation de chaque territoire par rapport aux autres. Je pense que nous devons jouer l'unité et non la dispersion.

Enfin, l'implication du Gouvernement en faveur de la filière s'est manifestée à l'occasion de l'épineuse question de la fiscalité du rhum des DOM, qui, vous le savez parfaitement, comportait des risques de fragilisation durable et irréversible de la filière. Cette question devrait trouver une issue favorable. Encore une fois, les actes parlent pour nous, au-delà de toute interprétation.

Nos Outre-mer abordent la perspective de la fin des quotas sucriers avec des situations de départ très différentes.

La Réunion, avec une production moyenne de 205 000 tonnes de sucre, est le territoire le plus directement concerné. C'est sur la part de la production destinée au raffinage en Europe, qui s'élève à 100 000 tonnes, que peut intervenir une baisse des prix liée à la fin de l'encadrement du marché, car cette production se trouvera en concurrence directe avec la production européenne et internationale et devra s'aligner sur les prix pratiqués sur le marché européen. Or les coûts de production sont largement supérieurs en outre-mer à ce qu'ils sont en Europe continentale. Les professionnels estiment ce surcoût à 350 euros par tonne, dont 100 euros non compensés par les subventions. L'étude en cours permettra naturellement d'objectiver ces données et de déterminer s'il convient d'adapter les aides au secteur.

L'autre part de la production est vendue sous forme de sucres spéciaux, à forte valeur ajoutée. Cette production, plus rémunératrice, doit être encouragée. La Réunion se positionne en leader sur ce marché. Mais, je ne vous le cache pas, j'espère que ce débouché ne sera pas limité par des ouvertures successives du marché européen, notamment dans le cadre d'accords internationaux et bilatéraux. Nous avons engagé une réflexion au niveau interministériel pour étudier la possibilité de demander l'exclusion de ce secteur des accords commerciaux à venir.

Les Antilles sont moins concernées par la suppression des quotas sucriers. En Guadeloupe, la production moyenne avoisine les 52 000 tonnes de sucre, et celui-ci est raffiné à Marseille par l'entreprise Saint-Louis Sucre.

En Martinique, la production moyenne ne dépasse pas les 3 000 tonnes et alimente uniquement le marché local.

Les cinq sucreries des DOM produisent toutes du rhum de sucrerie, ce qui permet de valoriser la mélasse et d'améliorer la situation financière des unités. Ceci est d'autant plus vrai pour la Guadeloupe, où l'usine de Gardel dispose de contingents fiscaux en propre.

J'en viens aux conséquences probables de la fin des quotas.

La fin des quotas peut entraîner une modification de l'équilibre actuel du marché du sucre et une baisse du prix européen. Toutefois cette baisse est difficile à anticiper, en termes de niveau et de progression, du fait d'un nombre important de variables comme l'évolution de la consommation et de la production mondiale de sucre, l'évolution de la production d'isoglucose, la progression des importations en raison des libéralisations accordées dans le cadre des accords commerciaux, la production des pays ACP et des pays les moins avancés (PMA), mais également le niveau des exportations, étroitement lié au différentiel entre prix mondial et prix européen, l'avenir de la filière du raffinage, le niveau de change monétaire.

Pour se préparer à la fin des quotas, la filière doit répondre à trois exigences relativement incontournables : améliorer sa compétitivité, élever son niveau de production et intensifier la compétitivité hors prix en agissant sur la qualité, la sécurité d'approvisionnement, la logistique.

Pour y parvenir, elle peut agir de différentes façons.

Tout d'abord, aider les industriels à améliorer leur compétitivité en calibrant au mieux le dispositif d'aide dans le cadre du POSEI et l'aide nationale – l'étude en cours doit nous permettre d'objectiver les situations, d'évaluer l'efficacité des dispositifs de soutien publics et les éventuels besoins ;

Elle peut par ailleurs soutenir la production de canne, notamment en organisant la défense du foncier par le biais des commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA) et en favorisant l'utilisation optimale des terres agricoles, conformément à une disposition relative à l'indivision contenue dans la loi d'avenir pour l'agriculture ;

Elle peut également miser sur le développement de la filière « sucre spéciaux » et la reconnaissance de la qualité en développant les indications géographiques protégées (IGP), encourager les nouveaux débouchés comme la chimie verte, l'innovation, la recherche, et enfin assurer la recette « rhum » des usines en maintenant le régime fiscal du rhum – sur ce point, nous attendons la décision du Conseil, qui interviendra le 21 février prochain.

De nombreux groupes de travail – comité sectoriel canne, groupe sucre – se réuniront au cours du premier semestre 2014 afin de définir une stratégie d'ensemble pour la filière et arrêter un plan d'adaptation à la fin des quotas.

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