Intervention de Nicolas Bays

Réunion du 8 avril 2014 à 14h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Bays, rapporteur pour avis :

La commission de la Défense s'est saisie pour avis du projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires, déposé par le Gouvernement le 3 janvier dernier.

Répondant à une demande forte et légitime de la part des armateurs, dont la préoccupation première est la protection des personnes et des biens embarqués, le texte autorise et encadre les activités privées de protection des navires battant pavillon français dans les zones à risques particulièrement aigus.

La menace principale à laquelle sont confrontés les navires reste la piraterie et le brigandage maritimes. Certes, d'après les dernières données du Bureau maritime international, « seuls » 264 actes de piraterie ont été recensés en 2013, soit le plus petit nombre d'incidents enregistrés depuis 2007. Il convient de s'en réjouir, mais il ne faudrait pas en déduire qu'un relâchement de l'effort est possible, alors que 90 % du transport de marchandises au niveau mondial s'opère par la voie maritime, qui constitue à ce titre la colonne vertébrale de l'économie globalisée.

Il importe également de relativiser ces « bonnes » statistiques dans la mesure où, reposant sur un système déclaratif, elles ne fournissent qu'une image imparfaite de la réalité du phénomène.

En outre, si une diminution s'observe sur une période donnée, sur l'ensemble du globe, elle ne doit pas masquer les réalités régionales. La piraterie est fluctuante et mobile. Si l'on enregistre une baisse du nombre d'attaques dans certaines zones – la Corne de l'Afrique par exemple –, le phénomène peut parallèlement s'amplifier dans d'autres régions, comme on le constate actuellement dans le golfe de Guinée. Aujourd'hui, les principales zones dangereuses sont, en plus de celles déjà citées, les zones situées à proximité de passages étroits : Panama, Suez, Bab El Mandeb et, surtout, le détroit de Malacca entre l'Indonésie et la Malaisie.

En tout état de cause, une telle décroissance ne doit pas non plus occulter les tendances de long terme. La piraterie est une activité humaine aussi ancienne que la navigation elle-même et demeure une menace majeure pour la sécurité des équipages, la liberté des mers, le commerce international et la sécurité des approvisionnements.

Les conséquences humaines et économiques de cette activité criminelle sont considérables. En moyenne, entre 300 et 500 marins sont affectés chaque année par des actes de piraterie qui se traduisent par la mort de cinq à 25 membres d'équipage. Les conséquences économiques sont, quant à elles, évaluées entre sept et 12 milliards de dollars par an pour les armateurs.

Les navires français sont principalement menacés dans deux zones : le nord-ouest de l'océan Indien, où le but des attaques est la capture du navire et de l'équipage afin d'obtenir le versement de rançons ; le golfe de Guinée où les attaques, souvent plus violentes, visent avant tout à extorquer les produits ou les biens transportés à bord – hydrocarbures, objets de valeur, etc. – dans le but de les revendre.

La protection des navires français est une mission dont la marine nationale s'acquitte depuis fort longtemps. Au printemps 1794, l'amiral Villaret de Joyeuse avait ainsi engagé ses forces lors des « combats de Prairial » pour permettre l'entrée, à Brest, d'un convoi de blé.

Une telle mission reste plus que jamais d'actualité. Ainsi, la marine française participe activement, depuis décembre 2008, à l'opération « Atalante », menée sous l'égide de l'Union européenne. La présence des marines nationales de plusieurs États dans le golfe d'Aden et au large des côtes somaliennes a ainsi permis une diminution substantielle du nombre d'actes de piraterie dans cette zone, et l'action de ces forces doit être saluée. Je rappelle également que, sur la même zone géographique, la France participe à la force multinationale 151 de l'OTAN.

En outre, depuis 2009 la marine nationale offre, sous certaines conditions, la possibilité aux navires français évoluant dans des zones dangereuses de recourir à des équipes de protection embarquées (EPE), dont la formation est assurée par la force des fusiliers marins et commandos.

Le taux moyen de satisfaction des demandes d'EPE s'élève à environ 70 %, une trentaine de demandes étant formulées chaque année. En effet, les délais de mise en place d'une EPE sont soumis à de fortes contraintes logistiques et diplomatiques ; ils se révèlent donc parfois difficilement compatibles avec les impératifs économiques et commerciaux de l'armateur. Il est par ailleurs utile de préciser que les besoins réels des armateurs sont en réalité sous-estimés dans la mesure où ceux-ci, conscients de la complexité de la procédure et des effectifs limités pouvant être mis à disposition, minimisent leurs demandes.

En somme, toute une partie de la flotte française demeure privée d'une protection adaptée alors qu'elle souhaiterait y avoir recours, tandis qu'armateurs et équipages se voient contraints « d'accepter le risque ». On ne saurait évidemment se satisfaire d'un tel état de fait dans la mesure où sont en jeu des vies humaines et, secondairement, la protection des biens. Puisque la marine nationale n'est pas en mesure de répondre à l'ensemble des besoins, l'autorisation de recourir à des gardes privés armés est nécessaire, à condition d'être strictement encadrée.

Tel est l'objet du présent texte, qui vise à compléter l'arsenal juridique et opérationnel français de lutte contre les menaces extérieures susceptibles d'affecter les navires. Cette expression globalisante recouvre bien entendu la piraterie maritime, mais pas uniquement. Les navires français peuvent, par exemple, également être victimes d'opérations violentes menées à des fins non lucratives, telles les actions à visée terroriste.

Le projet de loi poursuit deux objectifs principaux : il doit non seulement garantir la sécurité des navires français confrontés à des menaces d'attaque dans les zones de navigation présentant des risques d'insécurité élevés, mais également permettre de renforcer la compétitivité du pavillon français, en favorisant l'émergence et le développement d'entreprises nationales dans un domaine investi de longue date par de nombreux autres pays, notamment anglo-saxons.

Il est difficile de déterminer les causes qui conduisent un armateur à quitter un registre puisqu'aucun motif n'est exigé pour le dépavillonnement. On peut toutefois relever que 34 navires ont été retirés des registres français en 2012 et que, cette même année, 17 navires précédemment immatriculés sur les registres néerlandais ont dépavillonné au motif que la présence de gardes privés armés était prohibée. Aussi, l'impossibilité juridique de recourir à des équipes privées de protection n'est sans doute pas étrangère au fait que 40 % des navires contrôlés par des entreprises françaises naviguent sous pavillon étranger.

Pour ne s'en tenir qu'à l'Union européenne, je rappelle que l'Allemagne, la Belgique, Chypre, le Danemark, la Grèce, l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg, la Pologne, la Suède et le Royaume-Uni autorisent le recours à de tels services.

Je tiens à l'affirmer avec force : il ne s'agit en aucun cas d'abdiquer un élément de souveraineté au profit du secteur privé. Il ne s'agit pas davantage d'un « ballon d'essai » prélude à une privatisation rampante des missions dévolues à nos forces armées. En effet, la marine n'envisage nullement de réduire son effort et continuera de mettre ses EPE à la disposition des armateurs. L'offre privée ne se substituera donc pas à l'offre publique ; elle viendra utilement la compléter. Il s'agit simplement de répondre à une préoccupation légitime des armateurs et des équipages : assurer une protection effective et efficace des personnes et des biens, alors que la marine nationale ne peut, seule, honorer pleinement une telle mission.

Il importe d'être à la fois pragmatique et vigilant. Le texte apporte une réponse cohérente et équilibrée à ces questions en les entourant de toutes les garanties nécessaires. D'une part, il prévoit que cette nouvelle activité sera strictement circonscrite à un nombre limité de cas spécifiques. D'autre part, il encadre celle-ci de manière particulièrement rigoureuse avec un système complet de certification, d'autorisation et d'agrément ex ante, auquel s'ajoute un régime de contrôles ex post.

Notre commission s'était déjà prononcée sur cette question en février 2012, à la faveur de l'examen du rapport de nos anciens collègues Christian Ménard et Jean-Claude Viollet, relatif aux sociétés militaires privées. Ceux-ci considéraient que « notre pays est désormais prêt à autoriser l'embarquement de personnels privés armés à bord des navires commerciaux traversant des zones dangereuses », et recommandaient en conséquence d'« ouvrir le secteur dans le cadre de la protection contre les actes de piraterie ». Le présent texte traduit cette recommandation, qui avait recueilli un avis favorable de notre commission.

J'en viens maintenant aux principales dispositions du projet de loi.

L'article 1er définit, autorise et encadre « l'activité consistant, à la demande d'un armateur, à protéger, contre les menaces extérieures, des navires battant pavillon français ainsi que l'équipage, les passagers et les biens embarqués à bord de ces navires ». L'alinéa 2 du même article précise que la présence de gardes privés armés ne sera autorisée qu'à bord du navire qu'il s'agit de protéger. Est ainsi prohibée la constitution d'escortes telles qu'elles sont proposées par certaines sociétés anglo-saxonnes qui « recyclent » d'anciens bâtiments de guerre et les font immatriculer sous registre civil.

L'article 18 procède à un triple encadrement de cette activité en précisant qu'elle sera limitée : aux eaux internationales, c'est-à-dire au-delà de la mer territoriale des États – soit 12 milles marins – ; à certaines zones particulièrement dangereuses, définies par décret ; et au bénéfice de certains types de navires seulement, à savoir les bâtiments les plus vulnérables du fait de leur vitesse réduite, de la hauteur de leur franc-bord ou de leur faible manoeuvrabilité. Par exemple, les pétroliers à pleine charge, les câbliers, les navires de pêche ou les bâtiments de recherche sismique représentent des cibles de choix pour les pirates.

En ce qui concerne le zonage géographique, il conviendra de faire preuve de souplesse et de réactivité, tant les menaces sont mobiles. Par conséquent, il serait sans doute souhaitable que le futur décret ne définisse pas de manière trop stricte les zones à risque. Il pourrait ainsi être envisagé de prolonger le périmètre des zones dangereuses connues à une étendue couvrant l'équivalent d'un, deux ou trois jours de navigation supplémentaires. Cela permettrait d'assurer la protection des navires pendant encore quelques milles après la sortie de la zone à risques, afin de s'assurer que toute menace est effectivement écartée. Un tel prolongement aurait la vertu de limiter les « effets de bord » inhérents à un zonage trop strict.

Concernant les navires susceptibles d'embarquer des gardes privés, il faudra, là-aussi, que le décret définisse un champ relativement large. Notamment, au-delà des navires « traditionnels » précédemment évoqués, il conviendrait sans doute que les navires relevant de l'activité de grande plaisance soient éligibles au dispositif. La référence à l'activité commerciale menée pourrait permettre de couvrir toutes les catégories de bâtiments pertinentes.

Le titre II comporte les dispositions relatives à l'encadrement de l'activité de protection privée. Les entreprises souhaitant exercer une telle activité devront préalablement obtenir une autorisation administrative délivrée par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), établissement public placé sous tutelle du ministère de l'Intérieur et chargé de l'agrément, du contrôle et du conseil des professions de sécurité privées : surveillance, gardiennage, transport de fonds, protection physique des personnes.

De plus, les dirigeants, gérants et associés de telles entreprises devront recevoir un agrément délivré par le CNAPS. L'article 11 précise que l'obtention d'un tel agrément sera conditionnée au respect d'un certain nombre d'obligations et d'interdictions. Les personnes concernées devront ainsi être de nationalité française ou européenne ; ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire ; ou encore justifier des aptitudes professionnelles adéquates. Le même article permet au représentant de l'État dans le département de retirer l'agrément en cas de nécessité tenant à l'ordre public.

L'article 12 soumet les agents employés par ces sociétés à des dispositions identiques, exception faite de la condition de nationalité : une entreprise française pourra donc employer des agents de toutes nationalités, et pas uniquement des personnels français ou ressortissant de l'Union européenne. Ils devront tous être titulaires d'une carte professionnelle délivrée par le CNAPS.

Au total, l'ensemble de ces dispositions visent à s'assurer que les dirigeants et agents de ces entreprises sont irréprochables, et attestent du degré de professionnalisme, d'honorabilité et de probité nécessaire à l'exercice d'une activité particulièrement sensible.

Le titre III regroupe les articles 18 à 30 et a trait aux modalités concrètes d'exercice de cette activité. Outre l'article 18 relatif au zonage et aux catégories de navires, les principales dispositions concernent la détention et l'usage d'armes par les agents embarqués.

L'usage de la force sera strictement limité et rigoureusement encadré. En application de l'article 21, les agents ne seront susceptibles de faire usage de leurs armes qu'en cas de légitime défense ou de nécessité, en application du régime prévu par les articles 122-5 à 122-7 du code pénal. Le cas échéant, un agent ne sera alors pas tenu pénalement responsable en cas d'usage de son arme, pourvu que celui-ci soit nécessaire et proportionné à la gravité de la menace.

Les entreprises, le chef des agents embarqués et le capitaine du navire devront par ailleurs tenir des registres permettant de retracer en détail l'ensemble des opérations relatives à l'activité de protection. Au reste, dans l'hypothèse où un incident aura entraîné l'usage de la force, le capitaine sera tenu de rédiger un rapport de mer transmis au représentant de l'État en mer compétent.

En complément des vérifications a priori précédemment évoquées, le projet de loi prévoit un système complet de contrôles a posteriori. Tel est l'objet du titre IV du texte. Des contrôles à terre, dans les sièges et locaux des entreprises concernées, pourront être effectués par la police et la gendarmerie nationales, ainsi que par les agents du CNAPS. En mer, à bord des navires, des contrôles inopinés pourront être menés par les personnels de la police, de la gendarmerie, des douanes, des affaires maritimes ou de la marine nationale.

Le titre V détaille les sanctions disciplinaires et pénales susceptibles d'être prononcées en cas de violation des dispositions de la future loi.

Enfin, le titre VI concerne l'application du texte outre-mer.

Telles sont les dispositions de ce projet de loi qui vise, d'une part, à assurer la sécurité de la flotte française et de ses marins partout où cela est nécessaire et, d'autre part, à restaurer et renforcer la compétitivité du pavillon français.

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