Intervention de Fanélie Carrey-Conte

Réunion du 9 avril 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFanélie Carrey-Conte, rapporteure :

Pour cette reprise de nos travaux, nous examinons ce matin ce qui, je crois, est un beau texte : le projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire, adopté en première lecture en novembre dernier au Sénat.

Ce projet de loi était particulièrement attendu par les acteurs du secteur, puisqu'il était débattu depuis plusieurs années. Il faut souligner qu'il s'inscrit dans un contexte international important. Ces dernières années, en effet, des lois sur l'économie sociale et solidaire (ESS) et son développement ont notamment été adoptées en Espagne, au Portugal, au Québec, et dans plusieurs pays d'Amérique latine.

À noter également que plusieurs parlementaires de notre commission sont particulièrement investis sur les questions relatives à l'ESS. Je pense à Christophe Cavard, rapporteur pour avis de ce texte à la commission des lois, et à Francis Vercamer, qui a rédigé un rapport sur le sujet il y a quelques années.

L'économie sociale et solidaire est un mode d'entreprendre qui, selon moi, est au coeur de cet autre modèle de développement que nous appelons de nos voeux : elle est un modèle dans lequel le projet – et non le profit – est l'objectif premier de l'entreprise, où la personne prime sur le capital, où la démocratisation de la sphère économique a une grande importance. C'est un mode d'entreprendre qui a le souci du durable, dans sa gestion comme dans son rapport au territoire.

Au-delà de ces valeurs, l'économie sociale et solidaire a aussi un poids économique primordial : 10 % des salariés français travaillent dans ce secteur qui continue de recruter malgré la crise, les emplois créés étant souvent, en outre, non délocalisables.

Avant d'en venir à la présentation détaillée de quelques dispositions du texte, je voudrais évoquer deux enjeux auxquels répond, selon moi, ce projet de loi.

Le premier est la redéfinition d'une politique publique de l'ESS. En effet, ces dernières années, aucune politique cohérente et globale n'avait été conçue et menée en direction de cette économie, non plus qu'une stratégie de développement. Avec ce texte, nous posons les bases de ce que doit être demain cette stratégie et cette politique publique.

Le second enjeu est de faire franchir à l'ESS une nouvelle étape, de lui permettre de ne pas demeurer marginale, de ne pas être cantonnée à un supplément d'âme au modèle capitaliste dominant.

Le projet de loi comporte 53 articles : il traite de la question de la reconnaissance du secteur et de son organisation ; il rassemble plusieurs leviers pour son développement ; il comporte, enfin, des dispositions spécifiques aux différentes « familles » de l'ESS.

Si ce texte a été renvoyé au fond à la commission des affaires économiques, qui a désigné Yves Blein rapporteur, il faut noter que ce projet de loi a suscité un engouement majeur au sein des autres commissions de l'Assemblée, puisqu'elles s'en sont toutes saisies, à l'exception de la commission de la défense. La commission des affaires sociales s'est principalement saisie des premiers articles qui définissent le périmètre de l'ESS, sur ceux traitant des marchés publics, sur les dispositions relatives à la transmission d'entreprise, sur les questions liées au droit du travail, et sur la coassurance.

Il s'agit d'un périmètre assez technique, et c'est pourquoi le débat dans l'hémicycle complétera utilement cette séance de commission, en permettant d'aller au bout des nombreux débats et des nombreuses dispositions présentées dans ce texte important.

Concernant les premiers articles consacrés à la définition du champ de l'économie sociale et solidaire et à la structuration des politiques qui y concourent, le choix retenu est celui d'une vision inclusive : en plus des acteurs statutaires – associations, coopératives, mutuelles, fondations –, il est donné la possibilité aux sociétés commerciales ne relevant pas d'un statut historique de l'économie sociale de faire publiquement état de leur qualité d'entreprise de l'ESS, sous réserve de certaines conditions relatives au but qu'elles poursuivent, à leur gouvernance, à l'utilisation qu'elles font des bénéfices pour le développement des activités, à la mise en réserve, à l'encadrement de la répartition des bénéfices, à la poursuite d'un objectif d'utilité sociale.

La nouvelle définition de l'ESS et la valorisation de ce mode d'entreprendre doit en permettre le changement d'échelle, tout en garantissant la cohérence et la fiabilité du nouvel ensemble.

À cet égard, il importe, selon moi, de bien montrer que, même si toutes les entreprises qui feront état de leur qualité d'entreprise de l'ESS seront considérées de manière identique, nous n'assimilons pas complètement les organisations dites « statutaires » et les sociétés commerciales, que les statuts demeurent porteurs de sens, que le choix de l'entreprenariat collectif – dont la spécificité doit demeurer – est différent de celui de l'entrepreneuriat individuel.

Il importe également de nous assurer que les sociétés commerciales qui vont entrer dans le périmètre de l'ESS en respectent bien les principes, en particulier les règles autour de l'encadrement de la distribution des bénéfices. Cette question fera l'objet d'amendements que je présenterai dans un instant.

L'article 7 propose une révision de l'agrément « entreprise solidaire », qui permet aux entreprises éligibles de bénéficier des fonds solidaires gérés par des sociétés spécialisées dans l'épargne salariale.

Concernant les marchés publics, la commission va devoir donner son avis sur deux articles.

L'article 9A, issu d'un amendement de la commission des affaires sociales du Sénat, vise à transposer l'article 20 de la directive 201424UE sur la passation des marchés publics. L'objectif est d'élargir le champ des marchés réservés, notamment aux travailleurs défavorisés, en plus des travailleurs en situation de handicap.

L'article 9 prévoit l'adoption par les acheteurs publics d'un schéma de promotion des achats publics socialement responsables. Ces schémas devront déterminer des objectifs annuels à atteindre en matière de marchés, intégrant des clauses sociales. Nous reviendrons tout à l'heure sur la dimension qualitative de ces clauses.

Concernant la transmission d'entreprises, je serai brève. Ce sujet a en effet fait couler beaucoup d'encre et provoqué beaucoup de débats lors du passage au Sénat, ce que je déplore car la focalisation autour de ces dispositions a, pour partie, éclipsé le débat autour du reste du texte.

Ces dispositions sont les suivantes :

L'article 11A, introduit au Sénat, institue un dispositif d'information des salariés sur la reprise d'entreprise dans toutes les sociétés de moins de 250 salariés.

L'article 11 instaure, en cas de cession d'un fonds de commerce, une notification obligatoire aux salariés afin de leur permettre de présenter une offre de reprise. En effet, aujourd'hui, de nombreuses entreprises cessent leur activité faute de repreneurs. Grâce à cette disposition, dans toutes les entreprises de moins de 250 salariés, le chef d'entreprise aura l'obligation d'informer préalablement ses salariés de son intention de céder. Dans ce contexte, les salariés auront l'opportunité, s'ils le souhaitent, de proposer une offre de reprise, individuelle ou collective, pour préserver la viabilité de l'entreprise et assurer la pérennité de l'activité et de l'emploi. Ce nouveau droit ne remet pas en cause la liberté de l'entrepreneur de vendre au prix qu'il souhaite et à qui il souhaite en cas de meilleure offre tierce.

L'article 12 prévoit la même disposition en cas de cession de parts sociales, actions ou valeurs mobilières, donnant accès à la majorité du capital.

Concernant les questions liées au droit du travail, les articles sur lesquels nous sommes saisis concernent principalement les coopératives d'activités et d'emploi (CAE).

Les articles 32 et 33 sont ainsi consacrés aux CAE, structures innovantes au service du développement collectif des activités entrepreneuriales. Ces structures souffrent aujourd'hui de l'absence de régime juridique de leurs salariés qui sont également entrepreneurs et associés de la coopérative, ce qui risque d'entraver l'essor de ce nouveau mode d'exercice d'une activité professionnelle et des créations d'emplois dont il est porteur. Ces articles ont donc pour objectif de reconnaître légalement les CAE, de sécuriser le statut des entrepreneurs salariés en leur sein et d'encadrer les règles d'utilisation de ce nouveau régime juridique.

Enfin, et j'ai conscience de ne pas avoir été exhaustive, l'article 49 prévoit l'ajout, dans le cahier des charges des éco-organismes, des conditions dans lesquelles est favorisé le recours aux entreprises d'insertion faisant partie de l'ESS, et la territorialisation des emplois induits par la gestion des déchets. Je rappelle que les éco-organismes sont des structures à but non lucratif auxquels les producteurs soumis à la responsabilité élargie des producteurs transfèrent leurs obligations de collecte, de tri et de recyclage.

En conclusion, ce texte est fondateur pour l'économie sociale et solidaire : il donne à ce secteur les moyens, les leviers de son développement. Je vous propose de l'affiner, d'améliorer encore les articles dont nous sommes saisis, en adoptant les amendements que je vais défendre. Je vous invite donc à émettre un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi, dans l'attente de son passage en commission saisie au fond la semaine prochaine, et du débat en séance à compter du 28 avril.

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