Intervention de Jacques-Christophe Blouzard

Réunion du 9 avril 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Jacques-Christophe Blouzard, cofondateur et président de Wonderbox :

C'est vrai, mais cela ne signifie pas que nous n'avons pas de frais. Je suis le co-fondateur de Wonderbox, une société créée en 2004 qui a réinventé la manière de commercialiser l'offre touristique en vendant des coffrets cadeaux dans la grande distribution et par l'Internet. Nous proposons par ce biais des nuitées en chambre d'hôtes et à l'hôtel. Wonderbox a connu une croissance continue malgré la crise, mais les choses deviennent difficiles. Nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 150 millions d'euros en 2013. Nous employons 250 personnes, et nous avons aidé nos 7 000 partenaires de toutes les régions de France – soit de 15 000 à 20 000 personnes –, à résister à la crise en les fédérant pour leur donner accès au marketing et à la distribution par l'Internet, sur un marché – la France – considérable, et pour les Français et pour les étrangers.

Pour avoir précédemment créé la filiale française du site Lastminute.com, j'ai assisté de très près à l'évolution du secteur. Les agences de voyages qui, il y a quinze ans, étaient le canal de distribution prioritaire, ont toutes disparu à l'étranger, et elles rencontrent des difficultés croissantes en France. L'Internet est en train de tout changer. Pour notre part, nous commercialisons plus de 20 % de notre offre par l'Internet et notre objectif est de réaliser 80 % de nos ventes par ce biais. Il est impératif de s'adapter à cette évolution, qui est aussi une opportunité ; ceux qui ne le feront pas vont au-devant de graves problèmes.

Il est question d'attirer des touristes en France. À cet égard, vivre à l'étranger, comme cela a longtemps été mon cas, fait toucher du doigt que la concurrence est rude. La France n'est pas un village gaulois : nous ne pouvons pas nous contenter d'attendre que les touristes viennent à nous, car la « marque France » est présente sur un marché très compétitif. Cependant, je suis convaincu que le tourisme doit contribuer au redressement du pays. Les autorités chinoises, ayant parfaitement compris l'enjeu que représente le tourisme, ont défini une politique volontariste incitant la population à rester sur place ; la Chine a effectivement tout intérêt à ce qu'un milliard de touristes potentiels voyagent dans le pays. De même, le Gouvernement français devrait s'attacher à dessiner la politique qui permettrait de mieux vendre la France aux Français – lesquels représentent 50 % des touristes dans notre pays – et donnerait une meilleure visibilité à la « marque France » dans un marché international très concurrentiel.

Les freins à la croissance du tourisme international en France sont bien connus : une offre que la faiblesse du marketing rend peu lisible, les lacunes de l'accueil, mais aussi l'impact, mésestimé, des problèmes de sécurité. On sait au Japon, où j'ai vécu deux ans, qu'en France on peut se faire voler une fois son téléphone portable et une autre fois son portefeuille ; cela donne une mauvaise image du pays et, quels que soient ses charmes, les touristes potentiels choisiront une autre destination si elle leur paraît plus sûre.

D'autre part, la coopération entre le secteur public et le secteur privé doit être renforcée. Depuis la création de Wonderbox, il y a dix ans, nous travaillons en très bonne intelligence avec les ministères concernés, où de nombreux fonctionnaires, que je remercie, oeuvrent d'arrache-pied pour permettre la croissance du tourisme en France. En revanche, nous ne sommes jamais parvenus à travailler avec certains comités départementaux ou régionaux du tourisme. Aussi avons-nous développé seuls notre offre et, aujourd'hui, nous travaillons en parallèle. Il est regrettable que l'on ne parvienne pas à mobiliser davantage et à flexibiliser la très belle infrastructure du service public afin de la rendre disponible pour le secteur privé et, surtout, pour rendre l'offre française lisible à l'étranger. C'est un frein très puissant, et il important que la collaboration s'améliore.

L'irruption de nouveaux acteurs – Airbnb et Uber par exemple – sur l'Internet constitue une autre menace. Sachant ce qui prime, ils se sont concentrés sur le marketing de l'offre et ont si bien pris la main que ceux qui ont l'offre ne maîtrisent plus sa distribution. Ce phénomène ne fera que se renforcer, et je regrette le faible nombre d'acteurs français dans ce secteur. Il faut s'interroger sur les raisons de cette situation et recréer le contexte propre à favoriser la création d'entreprises en France pour s'adapter à la nouvelle commercialisation de l'offre des produits touristiques français. Nous avons des atouts : ainsi, le site français Lafourchette.com marche très bien, tout comme Voyages-sncf.com qui, cependant, n'est pas assez actif à l'international. Il faut faire travailler des gens jeunes et sans oeillères, qui s'attaqueront à l'essentiel en définissant comment commercialiser l'offre française au mieux, en en simplifiant l'accès et la lisibilité. L'Internet continuera de casser les modes anciens de distribution ; telle est la réalité, il faut donc s'y adapter. Si nous ne sommes pas capables, très vite, d'offrir une offre touristique géo-localisée sur mobiles, nous prendrons beaucoup de retard, car ce basculement des modes de consommation va se généraliser. La segmentation et la désintermédiation de l'offre touristique ne cessent de progresser ; demain, les clients voudront pouvoir accéder, en tous lieux et à tout instant, à l'intégralité de cette offre par l'Internet, et faire leur shopping par ce biais. Il faut donc créer une « place de marché France » attrayante, recensant toute l'offre, disponible en plusieurs langues, et la rendre visible à toutes les clientèles : Brésiliens, Chinois, Français. Nous aurons alors un atout considérable sur le marché du tourisme.

Je suis convaincu, je le redis, que le redressement de la France passera par le tourisme : que l'on fasse venir des gens et ils dépenseront de l'argent dans tout le tissu régional et entrepreneurial français. C'est une force considérable, mais elle est sous-estimée par les acteurs du secteur et par le Gouvernement.

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