Intervention de Aline Mesples

Réunion du 15 janvier 2014 à 17h15
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Aline Mesples, présidente de l'OTRE :

Présidente de l'OTRE, je suis à la tête d'une entreprise de transport localisée dans les Pyrénées atlantiques. Je suis accompagnée des deux secrétaires généraux de notre organisation, M. Gilles Mathelie-Guinlet et M. Jean-Marc Rivera. J'ai aussi souhaité que notre délégation comprenne des représentants de l'entreprise bretonne Guisnel, qui a participé à la marche à blanc de l'écotaxe avec Ecomouv' : Mme Béatrice Montay, directrice générale de Guisnel distribution SAS, témoignera ainsi de la dimension technique de cette expérience, et M. Yann Guisnel, président directeur général de Guisnel distribution SAS, apportera le témoignage d'un professionnel confronté à ce que devrait être la majoration qui est proposée en même temps que l'écotaxe.

Fondée en 2000, l'OTRE est une fédération patronale représentative de PME à capitaux familiaux, ayant souhaité, dès sa création, s'inscrire dans une dimension européenne, afin de répondre à la réalité du marché du transport routier français de marchandises, compte tenu de la situation de transit de notre pays et de ses conséquences.

Concernant l'écotaxe, l'OTRE a toujours eu une démarche constructive à l'égard des projets de taxation visant au financement des infrastructures routières, à la condition que cette taxation soit à iso-fiscalité pour les entreprises de transport routier de marchandises françaises et qu'elle permette de réduire le différentiel de compétitivité entre les entreprises françaises et européennes. Tout au long des travaux, nous avons alerté les pouvoirs publics sur les déviances des choix qui se formalisaient avec, d'un côté, une taxation dont la collecte serait sous-traitée à une société privée et des prestataires mandatés et, de l'autre, le principe d'une taxe dont le redevable est le transporteur, ce dernier étant autorisé à la répercuter. Les promoteurs de l'idée de répercussion de la taxe ont ainsi laissé croire à la profession qu'elle n'était qu'un simple collecteur et qu'elle pouvait être assurée de la neutralité financière de la mesure. Or, les travaux de la mission Abraham sur le premier modèle de répercussion, de même que les contours de la majoration actuelle, démontrent que cela ne sera pas le cas et que l'on a donc menti aux transporteurs. Dès lors qu'il est apparu que l'« écotaxe Ecomouv' » ne répondait pas au postulat de départ sur lequel les pouvoirs publics et la profession s'étaient engagés, l'OTRE s'y est clairement opposée.

À ce jour, nous avons établi trois types de constat : un premier de portée technique, un second de nature juridique et un troisième d'ordre commercial.

S'agissant tout d'abord du constat technique, les nombreux dysfonctionnements rencontrés dans le traitement administratif des dossiers d'enregistrement sont massivement à l'origine des reports successifs de l'entrée en application de l'écotaxe poids lourds, initialement fixée au 20 juillet 2013. Aucune preuve du bon fonctionnement des équipements embarqués ni du système de facturation n'a été établie à ce jour et il est impossible de savoir si les boîtiers sont certifiés et homologués par un organisme de métrologie, l'État affirmant que ce ne sont pas des instruments de mesure. Pourtant, c'est bien à partir du décompte de kilomètres parcourus enregistrés et relayés par ce boîtier que la taxe est calculée. De plus, on relève une grande opacité quant aux tests menés. Les différentes phases à blanc qui ont été instituées n'ont apporté aucun élément de réponse probant à cette question. Mme Béatrice Montay vous présentera un compte-rendu de la phase à blanc à laquelle a participé l'entreprise Guisnel.

Sur le plan juridique, l'OTRE estime que les deux grands principes d'égalité de traitement devant l'impôt et de non-discrimination n'ont pas été respectés. Qui plus est, compte tenu du refus de l'État et du ministère des finances de nous fournir une copie du contrat de partenariat public-privé entre l'État et Ecomouv', la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a été saisie : celle-ci a rendu un avis favorable à la remise du contrat à l'OTRE sous couvert du respect du secret de certaines dispositions comptables, financières et techniques.

Sur le plan commercial, enfin, le fait d'annoncer à de multiples reprises une date précise d'entrée en application de la loi a conduit les chargeurs à geler les négociations commerciales si bien que de nombreuses entreprises de transport n'ont pas pu revaloriser leurs prix depuis 2011. De plus, la loi sur la majoration du prix de transport en compensation de la taxe versée par les transporteurs a incité de nombreux chargeurs à revoir les contrats de transport qu'ils avaient conclus avec leurs transporteurs ou leurs sous-traitants, soit en diminuant directement le prix de transport, soit en rompant ces contrats et en lançant de nouveaux appels d'offre dans le but d'en revoir les conditions tarifaires à la baisse et ainsi de contourner ladite loi. Nous tenons à votre disposition des preuves de ces affirmations et M. Yann Guisnel exprimera tout à l'heure ses réserves à l'égard de la majoration et de ses conséquences sur notre activité.

Dénoncés par l'OTRE, ces trois constats cumulés fondent notre refus de voir l'écotaxe Ecomouv' être instituée ainsi que notre demande d'annulation pure et simple de celle-ci en l'état.

Dès la première audience de la mission est réapparue l'opposition entre le principe de l'utilisateur-payeur et celui du pollueur-payeur, et, en filigrane, la question des moyens de financement des infrastructures. Car que veut-on taxer aujourd'hui ? Le poids lourds en circulation ou bien la marchandise qui circule par la route ? Et comment assurer le financement des infrastructures routières ? Nous souhaiterions par conséquent vous proposer plusieurs pistes de réflexion.

Première solution proposée, la taxation de la circulation des marchandises sur la route selon le principe pollueur-payeur. C'est alors le décideur du mode de transport utilisé pour véhiculer sa marchandise qui doit être taxé : toutes les marchandises circulant sur le territoire national sont taxées, quel que soit le véhicule qui les transporte – poids lourd ou utilitaire –, son tonnage et son immatriculation. Le système est universel et taxe à la source la circulation des marchandises sans avoir d'impact sur les entreprises de transport routier qui ne sont que des prestataires. Ce principe simplifie la chaîne de taxation envisagée actuellement, fondée sur la perception puis la répercussion par le transporteur. Pour ce faire, le principe d'une éco-redevance ou d'une ligne de taxation forfaitaire en bas de facture sur le modèle de la TVA pourrait être envisagé.

À cette idée peut être opposé le fait que les camions étrangers ne seraient alors pas taxés. La réponse envisageable est double : en cas de transport bilatéral, le contrat de transport étant français, le donneur d'ordre français doit faire appliquer la taxe même s'il fait transporter sa marchandise par un étranger ; en cas de transit international, on peut appliquer, selon le même principe que la vignette belge, un droit d'usage routier qui serait majoré du delta de taxation de la circulation de la marchandise sur le territoire national. Le dispositif serait déclaratif, soit via internet, soit grâce à des bornes installées aux frontières. Notez qu'en Allemagne, un projet de taxation, via une vignette, des véhicules utilitaires étrangers de moins de 12 tonnes serait inscrit au programme de la coalition du nouveau gouvernement Merkel. S'agissant par ailleurs du transport pour compte propre, cette taxe s'appliquerait à la marchandise livrée. Dans cette optique, il convient de ne pas oublier que les entreprises de transport routier pour compte d'autrui ou en compte propre continueraient de payer la taxe à l'essieu, respectant ainsi les dispositions de la directive Eurovignette relatives au financement des infrastructures.

Une deuxième solution réside dans la taxation de la circulation des poids lourds, qui correspond au principe de l'utilisateur-payeur posé par la directive Eurovignette II : le camion doit alors payer son utilisation des infrastructures routières. Ce principe était déjà posé dans la directive Eurovignette I qui définissait les taxes nationales affectées à ce financement et à cet entretien. Pour la France, il s'agissait de la taxe à l'essieu et de la vignette automobile. Selon la directive Eurovignette II, cette taxe de financement des infrastructures constitue une redevance, auquel cas – et c'est là une demande de plusieurs députés de la mission – ses recettes devraient être affectées en grande partie à la route et à son entretien. De plus, à la différence des autres États membres de l'Union européenne qui ont mis en place une redevance kilométrique, la France présente la particularité de détenir sur ses infrastructures des autoroutes payantes privées. Sur cet unique réseau autoroutier, le camion participe aussi à hauteur de 40 % du chiffre d'affaires cumulé des autoroutes concédées françaises – soit 8 milliards d'euros annuels. La taxe à l'essieu reste aujourd'hui en vigueur, même si l'État l'a diminuée à son seuil minimal européen. La taxe spéciale sur les véhicules routiers (TSVR) peut donc correspondre à la demande exprimée d'une redevance poids lourds. En assujettissant les poids lourds étrangers à la taxe à l'essieu, les finances de l'État peuvent récupérer très rapidement le même montant de recettes de taxe à l'essieu. Une telle option doit cependant se traduire non pas par un alourdissement de la fiscalité des entreprises françaises – qu'occasionnerait une augmentation de la taxe à l'essieu –, mais bien par l'élargissement de ce prélèvement aux véhicules étrangers utilisant le réseau non concédé.

La troisième piste envisagée concerne le financement des infrastructures – problème pointé par nombre de parlementaires au cours des débats introductifs de la mission parlementaire et de l'audition de M. Cuvillier, au même titre que le coût qu'engendrerait le renoncement au dispositif actuel. Comme cela a été rappelé précédemment, au-delà du simple financement du réseau routier non concédé, le transport routier participe à hauteur de 40 % du chiffre d'affaires global des autoroutes françaises, alors qu'il ne représente que 25 % de la circulation sur ce réseau. Cela représente un montant de plus de 3 milliards d'euros auxquels il convient d'ajouter les recettes fiscales y afférant. Cependant, les premières concessions autoroutières vont prochainement arriver à échéance. Les principales sociétés d'autoroute ont proposé au Gouvernement une rallonge budgétaire – d'un montant total de 3,3 milliards d'euros – contre une extension de trois ans de ces concessions. Au vu des sommes en jeu et des bénéfices que rapporte chaque année la circulation autoroutière, l'OTRE propose que l'État récupère ses contrats de concessions en permettant uniquement à ces sociétés de gérer techniquement les péages, comme elle le fait actuellement pour l'écotaxe avec Ecomouv' – à la différence près que pour les autoroutes, la technologie est déjà en place et fonctionne correctement. Une telle solution permettrait à l'État de retrouver très rapidement une certaine aisance dans le financement des infrastructures.

En conclusion, l'OTRE réaffirme sa demande d'annulation du dispositif actuel d'écotaxe, concédé à la société Ecomouv'. Elle refuse un système qui laisse à croire que les entreprises de transport routier pourront facilement répercuter la charge de la taxe poids lourds sur leurs clients. Il s'agit là d'une fausse bonne solution qui, dès aujourd'hui, est totalement contre-productive pour l'activité des PME françaises. L'OTRE soumet donc à la mission d'information trois pistes de réflexion : l'imposition d'une taxation de la marchandise et de sa circulation routière directement sur le donneur d'ordre de transport, propriétaire de cette marchandise ; celle d'une taxation de la circulation des poids lourds, telle qu'envisagée par la directive Eurovignette, par le biais d'un élargissement de l'assiette de la taxe à l'essieu aux poids lourds étrangers ; enfin, la nationalisation des autoroutes concédées, qui permettrait d'assurer le financement des infrastructures grâce aux recettes de péage. Et les représentants de l'entreprise Guisnel sont là pour vous présenter la marche à blanc avec Ecomouv' et le point de vue d'un chef d'entreprise sur la majoration forfaitaire censée permettre la répercussion de l'écotaxe poids lourds.

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