Intervention de Claudy Lebreton

Réunion du 22 janvier 2014 à 11h30
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France, ADF :

Que les parlementaires bretons se rassurent. Comme je l'ai déjà dit, si le président du conseil général des Côtes d'Armor, par ailleurs président de l'ADF, est interrogé, il pourra s'appuyer sur cet exemple. Je me doutais bien que la question serait abordée…

Avant la fin de vos travaux, M. Yves Krattinger, qui est notre expert, fera un rapport à l'ADF sur l'état des négociations et les propositions que nous serons amenés à porter. Ce rapport vous sera transmis.

Je commencerai par trois observations. Premièrement, nous sommes tous conscients, à l'ADF, de l'extrême hétérogénéité des départements de France. On n'aborde pas de la même façon la question de l'écotaxe quand on est en Lozère, qui est le plus petit département, avec 100 000 habitants, ou dans le département du Nord qui en compte 2,5 millions, ou encore dans les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis ou les Yvelines en Île-de-France, qui sont aussi concernés. Vous pouvez d'ailleurs imaginer ce que sont les débats avec nos 101 présidents de conseils généraux ! Pour autant, comme je l'ai dit tout à l'heure, une très forte majorité s'était prononcée favorablement au principe de l'écotaxe. Il s'agissait d'ailleurs plus de faire payer l'entretien du réseau à ceux qui l'utilisent à des fins économiques que de taxer les pollueurs.

Deuxièmement, lorsque l'on a supprimé la taxe professionnelle, impôt dynamique qui rapportait beaucoup d'argent aux collectivités, soit 30 milliards sur les 60 milliards d'euros de la fiscalité locale, les chefs d'entreprise se sont déclarés satisfaits. Très vite, j'ai mis en garde les représentants des deux grandes fédérations, celle des travaux publics, et celle du bâtiment et du logement, en leur disant qu'ils allaient en payer le prix. Aujourd'hui, ils ont en effet déchanté, d'autant plus que les donneurs d'ordre que nous sommes sont moins allants en raison du contexte économique et social. Si j'évoque cette question c'est parce que j'aurai l'occasion de parler ultérieurement de la deuxième partie de la loi de décentralisation à venir et de l'éventualité d'une réforme de la fiscalité, donc de celle de la fiscalité locale, où il sera possible d'aborder la question des impôts et des taxes.

Troisièmement, dans son principe, le recours à l'écotaxe ne peut relever que de la responsabilité du Gouvernement ou du Parlement. Rien n'empêche, ensuite, d'étudier s'il ne conviendrait pas d'en transférer la gestion – compétence et taxation – aux collectivités territoriales, dans l'esprit de la décentralisation. Mais dans un premier temps, il est déterminant que le Parlement fixe le cap et définisse une stratégie avec le Gouvernement. J'observe que si le principe est que tout véhicule poids lourds doit payer la TPL à partir du moment où il emprunte les routes « éligibles », on n'a pas à se préoccuper de la distance parcourue, ni du fait qu'il roule pour le compte d'un transporteur régional ou d'un transporteur international qui traverse la France. Pour autant, cette façon d'envisager la question n'exclut pas d'éventuelles accommodations. Le Président de la République a en effet émis l'idée de la discussion au Parlement d'un pouvoir réglementaire local d'adaptation. Chiche sur ce dossier, qui peut rejoindre la question de la régionalisation !

Nous avons donc des portes à ouvrir : d'abord, la deuxième partie de la loi de décentralisation ; ensuite, l'éventuelle réforme de la fiscalité locale ; enfin, l'institution, au profit des régions, d'un pouvoir réglementaire local d'adaptation. Mais cela relève de la responsabilité du Gouvernement. Nous donnerons notre point de vue puisque nous participons au dialogue social en tant que partenaires représentant une catégorie de collectivités territoriales. Mais nous ne faisons pas la loi. Chacun son rôle. D'ailleurs, au moment de la décentralisation, les collectivités n'ont jamais revendiqué le pouvoir législatif. Malgré tout, on discute d'un pouvoir réglementaire au niveau régional. Tout en étant à la tête d'un département, j'y ai toujours été favorable. Cela me paraît déterminant.

Pour autant, ne nous leurrons pas. Avec la taxation, c'est toujours le même qui paie, à savoir le citoyen, consommateur et éventuellement contribuable, nonobstant ce qu'en disent les producteurs et les transporteurs. Il y a quelques années, alors que l'on ne parlait pas encore de l'écotaxe, les collectivités ont lancé avec la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) une étude pour connaître la réalité du transport en Bretagne. On s'est alors aperçu que dans 80 % des cas, on transportait un colis d'un poids moyen de 56 kg sur une distance moyenne de 150 km – donc dans les régions de Bretagne, Pays-de-Loire et Basse-Normandie. Comme on l'a dit, la Bretagne n'est pas une région qui se traverse.

Lorsque s'est posée la question de la Bretagne, j'avais aussi mon point de vue d'élu politique local, mais je n'aurais pas pu le défendre si j'avais demandé l'avis de l'ADF. En effet, de nombreux présidents de conseil général m'ont dit que je retardais d'un an le versement d'hypothétiques recettes dont ils avaient bien besoin pour entretenir leurs routes départementales. Beaucoup de départements de l'Est, du Nord, du Sud-Est, du Sud-Ouest, voire de la région parisienne, étaient dans l'attente. Ils espéraient voir augmenter le nombre de kilomètres éligibles et récupérer certaines recettes par l'intermédiaire de l'AFITF, qui finance toutes les infrastructures de transport. Mais attention : pour nous, l'écotaxe est destinée aux infrastructures routières, et nous ne voudrions pas qu'elle soit reportée sur d'autres infrastructures. C'est d'autant plus important que la part destinée aux départements - 138 millions – est déjà bien modeste.

J'en viens aux propos de M. Savary sur la régionalisation de l'écotaxe. L'espace territorial régional est-il le plus pertinent pour aborder cette question ? J'ai en partie répondu avec l'exemple de l'étude faite par la FNTR : effectivement, c'est le niveau régional ou interrégional qui est pertinent. Vous avez d'ailleurs pu observer que certains conseils généraux – je pense à la Vendée et au Maine-et-Loire – n'ont même pas voulu discuter avec le préfet de l'application de l'écotaxe sur leur territoire. Maintenant, cette question peut-elle relever de la décentralisation et de la fiscalité à venir ? Je ne peux pas m'exprimer au nom de l'ADF, car nous n'avons pas suffisamment avancé sur le dossier.

Ensuite, j'ai dit qu'en fin de compte c'était le consommateur qui payait. Cela nous amène à regarder du côté de la grande distribution, secteur d'activité éligible au CICE. Mais la question relève de la taxation des entreprises, et donc de la fiscalité globale.

Monsieur Thévenoud, nous vous donnerons toutes les informations dont nous disposons, à l'ADF, sur la proposition que nous avions faite, et qui consistait à rendre éligibles à l'écotaxe 9 000 km de routes départementales. Quels critères avions-nous retenu ? Le critère du trafic, qui est revenu souvent, est assez simple, mais il n'est pas suffisant. On a en effet constaté dans certains endroits des reports de trafic sur des routes départementales qui étaient d'anciennes routes nationales, à côté de grands sillons autoroutiers.

S'agissant de la gestion de la taxation, j'avoue ne pas comprendre. J'ai monté un cluster sur les systèmes de transport intelligents et je me demande pourquoi on n'a pas trouvé un système plus pertinent et plus efficace que ces portiques. En outre, c'est un tel symbole que ce n'était pas très astucieux. Je ne critique personne, mais nous aurions pu aller sur un autre registre.

Dans le dossier breton, le contexte économique et social du moment a été déterminant. À une époque où la France avait un taux de croissance de 4 % et des rentrées fiscales, la mise en place d'une telle taxe n'aurait pas posé de problème. Et le buzz qui a été fait autour de la fiscalité n'a pas arrangé les choses. Dans les sondages qui viennent de sortir pour les prochaines élections municipales, un Français sur deux répond qu'il se prononcera en fonction de la position des équipes en matière de fiscalité. On a oublié de faire de la pédagogie sur la raison d'être de l'impôt par rapport au service public. Aujourd'hui, dès que vous parlez de fiscalité, tout le monde voit rouge.

Monsieur Le Fur, je ne regrette rien en tant que breton. Je précise que je n'ai jamais plaidé pour la suppression de l'écotaxe ; j'ai toujours souhaité sa suspension. Je pensais que nous pourrions aboutir à un terrain d'entente, d'autant qu'en Bretagne – droite et gauche confondues – nous avions trouvé avec les acteurs économiques des accommodements majeurs, et que les gouvernements – le précédent comme l'actuel – nous avaient prêté un regard bienveillant. On pourra peut-être aborder la question par le biais d'une forme de régionalisation. Se pose alors la question du transfert de compétences à ceux qui portent le patrimoine. Mais comment doter les départements des moyens d'entretenir leur réseau routier ? Aujourd'hui, le foncier bâti ne représente en moyenne que 17 % des recettes des départements – sur un total de 71 milliards d'euros. C'est très peu, même si les départements perçoivent par ailleurs les droits de mutation qui ont été en débat ces dernières semaines. J'observe d'ailleurs qu'à l'initiative, en 1982, les DMTO étaient destinés à l'entretien des collèges ! Les choses évoluent avec le temps, mais la question du financement des infrastructures routières reste pendante. Or, dans de nombreux territoires, le transport routier reste le premier mode de transport – pour 85 %. M. Tardy, qui a été président de la FNTR, m'a dit qu'il faudrait doubler les infrastructures ferroviaires pour permettre un véritable transport de marchandises. Or on ne peut pas dire que la SNCF ait fait preuve d'un grand enthousiasme pour développer ce mode alternatif. En Bretagne, nous avons la chance d'avoir la mer, mais ce n'est pas le cas de tous les territoires de France.

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