Intervention de Alain Marty

Réunion du 31 octobre 2012 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Marty, Rapporteur pour avis :

Les crédits que j'ai pour mission de vous présenter sont ceux qui contribuent au soutien et à la logistique interarmées. Cet ensemble de crédits ne correspond pas à un seul et même programme budgétaire au sens de la LOLF. Il est en effet constitué de l'intégralité du programme 212 « Soutien de la politique de défense » et de quatre des sept actions du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». L'ensemble de ces dépenses représente 9,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 8,960 milliards en crédits de paiement.

Dans l'ensemble, cette masse de crédits est stable par rapport à 2012 en autorisations d'engagements, mais connaît une baisse de 154 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui représente à peu près 1,7 % de la somme considérée. Ces chiffres disent bien une chose, qui est cohérente avec ce que le ministre a déclaré devant nous : le budget 2013 et un budget d'attente. Dans ses grandes masses, on pourrait y voir une reconduction des équilibres du budget 2012. Bien évidemment, les choix seront opérés l'an prochain, en déclinant sur le plan budgétaire les orientations stratégiques que définira le prochain Livre blanc, ainsi que les objectifs capacitaires et les diverses orientations que fixera la prochaine loi de programmation militaire.

Vous me permettrez d'insister sur quatre points : la poursuite du « projet Balard », les tensions capacitaires qui risquent de découler du sous-financement de certaines infrastructures, le financement du fonctionnement des bases de défense et la gestion du service de santé des armées.

Sur le premier point, je constate que le « projet Balard », qui avait fait l'objet de quelques critiques au sein de notre commission, n'est plus aujourd'hui un élément de polémique. Je tiens à dire que je m'en félicite.

Il s'agit en effet d'un projet important : le regroupement des états-majors et des services centraux sur un seul site parisien, au lieu de quinze sites assez vieillissants pour certains, répond à une véritable demande des armées et des services du ministère, qu'avait bien exprimée devant nous l'amiral Édouard Guillaud. De plus, c'est aussi un projet emblématique de la réforme du ministère, et dans un contexte où les personnels des armées ont dû faire des efforts très conséquents d'adaptation de leur organisation et de leur fonctionnement quotidien, ce projet constitue un grand signal architectural, qui peut avoir une dimension symbolique, on pourrait dire fédératrice, pour l'ensemble de la communauté de Défense.

Je rappelle par ailleurs que le groupement Opale défense, cocontractant avec l'État dans le cadre du partenariat public-privé conclu pour le « projet Balard », n'est pas contrôlé par Bouygues puisque la Caisse des dépôts y détient une minorité de blocage de 34 %.

Le « projet Balard » semble donc être sur de bons rails, et il faut espérer que les obstacles administratifs qui restent – notamment le litige opposant le ministère de la défense à la Ville de Paris – seront bientôt aplanis.

S'agissant des dépenses d'infrastructures, elles représentent une part importante des crédits consacrés au soutien et à la logistique interarmées. Ces dépenses couvrent notamment les investissements nécessaires à l'accueil des nouveaux équipements. Or, comme l'a dit devant nous le secrétaire général pour l'administration (SGA) du ministère, si l'on neutralise l'effet comptable de la procédure d'engagement par « tranches fonctionnelles », on observe une baisse de 160 millions d'euros des crédits consacrés aux infrastructures pour 2013. Cette baisse conduit le ministère à geler plusieurs opérations, pour un total que le SGA estime à 351 millions d'euros pour 2013. Or ce gel fait déjà suite à un gel de différentes opérations en 2012, pour 393 millions d'euros. C'est donc en bonne partie sur les dépenses d'infrastructures que portent les ajustements budgétaires du budget 2013, comme c'était le cas en 2012. On voit bien les dangers de ces reports d'opérations d'infrastructures : si les services nous disent qu'ils n'engendrent pas – pour l'heure – de véritables ruptures dans le maintien en condition opérationnelle des équipements, le risque existe.

Le SGA nous assure que dans l'allocation des moyens restants, la priorité sera donnée, d'une part, aux dépenses concourant à l'amélioration des conditions de vie des unités et à la remise aux normes des installations, et, d'autre part, aux opérations nécessaires à l'accueil de nouveaux équipements. Ainsi, des aménagements sont prévus, par exemple, à Toulon pour l'accueil les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Barracuda, à Phalsbourg pour l'accueil des hélicoptères NH90, à Orléans-Bricy en vue de la livraison des premiers A400M, ou encore à Clermont-Ferrand en vue de l'accueil de nouveaux véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI). Néanmoins, le sous-calibrage des crédits destinés à la construction d'infrastructures peut parfois créer des difficultés : par exemple, les installations de certaines unités qui recevront des VBCI ne sont pas encore adaptées à ces nouveaux matériels, il en va de même pour l'appontage des frégates FREMM.

J'en viens aux crédits de fonctionnement des bases de défense. Un récent rapport du contrôle général des armées évalue les besoins en la matière à 770 millions d'euros par an. Les dotations des années antérieures étant bien inférieures à ce montant, on a pu constater que les bases de défense connaissaient de sérieuses difficultés de financement courant dès le mois de septembre ou d'octobre de chaque exercice, au point que certaines en étaient conduites à chauffer très peu leurs bâtiments, par souci d'économie ! Pour 2013, il est proposé de fixer cette dotation à 703 millions d'euros, et les fonds disponibles s'élèveront à 720 millions d'euros grâce à 17 millions d'euros de ressources non budgétaires. L'appréciation à porter sur ces crédits nous renvoie en quelque sorte à l'éternel problème du verre à moitié vie ou à moitié plein : indéniablement, la progression de cette enveloppe va dans le bon sens, mais elle ne permet toujours pas de satisfaire les besoins tels que le contrôle général des armées les a évalués.

J'en viens à mon quatrième est dernier point : la gestion du service de santé des armées (SSA). J'ai consacré à ce sujet la partie thématique de mon rapport, conformément aux suggestions que nous a faites le bureau de notre Commission en juillet dernier.

Pourquoi le SSA ? Parce que depuis la parution en octobre 2010 d'un rapport de la Cour des comptes bien connu parmi ceux d'entre nous qui étaient déjà membres de la Commission sous la précédente législature, le SSA s'est engagé dans un processus de réforme ambitieux. Il est donc bon de faire le point des adaptations qui ont été entreprises.

Le SSA, rappelons-le, est un service un peu particulier : c'est un outil militaire dont la vocation première est de pourvoir au soutien sanitaire de nos forces. Ses capacités sont organisées en fonction des objectifs opérationnels assignés à nos forces armées. Ce service, ce sont plus de 16 000 agents et 9 hôpitaux d'instruction des armées (HIA), qui comptent 2 657 lits. Il s'agit donc d'un élément important de l'offre de soins, qui accueille bien entendu des militaires, mais aussi des civils – ceux-ci constituent d'ailleurs aujourd'hui la majorité des patients des HIA. Les soins délivrés aux civils sont remboursés par l'assurance maladie, ce qui représente plus de 500 millions d'euros de recettes.

La principale difficulté dans la gestion de ce service réside dans l'articulation entre, d'une part, l'ouverture de ses hôpitaux aux civils – ouverture nécessaire, tant pour optimiser l'utilisation des équipements que pour offrir aux équipes médicales et chirurgicales un volume d'activité suffisant à garantir le maintien de leur niveau de compétence – et, d'autre part, la vocation militaire de cet outil. L'ouverture aux civils n'est souhaitable que dans la limite où elle ne se fait pas au détriment du service rendu aux forces. Plus encore, la comparaison avec la gestion du secteur hospitalier civil a elle aussi ses limites, or la Cour des comptes a appliqué aux hôpitaux militaires la même grille d'analyse qu'aux hôpitaux civils. Elle n'a pas pris en considération certaines missions purement militaires de ses hôpitaux. À titre d'exemple, ceux-ci ont une mission de formation, non seulement pour les personnels de santé militaires, mais aussi pour les internes civils qui y accomplissent des stages. De même, les hôpitaux militaires constituent un vivier de professionnels qui ont vocation à être projetés en opérations extérieures ; or quand un médecin, un chirurgien, un infirmier anesthésiste ou un infirmier de bloc opératoire est envoyé en opération, c'est tout un bloc opératoire qui n'a plus d'activité, privant l'hôpital de recettes dont il aurait pu bénéficier en traitant une patientèle civile. C'est d'ailleurs pourquoi certains chefs d'établissements, qui souscrivent avec la direction centrale du service des objectifs ambitieux de production de soins, auraient parfois tendance à préférer que leurs praticiens ne soient pas envoyés en opérations extérieures…

Le SSA a pris en compte les remarques de la Cour, et s'est lancé, comme je le disais à l'instant, dans un programme de réforme qui est encore en cours. Il a développé des partenariats nombreux avec les hôpitaux civils, afin de mutualiser des équipements et des personnels, comme j'ai pu le constater lors de mes déplacements au Val-de-Grâce ou à l'hôpital Legouest à Metz.

Ces efforts appellent trois commentaires de ma part :

D'abord, il faut assumer le « coût de possession » d'un outil de soutien sanitaire des forces. On ne peut pas appliquer aux hôpitaux militaires les méthodes de gestion hospitalière de droit commun. Il faut tenir compte des missions régaliennes du SSA, qui ont nécessairement un coût.

Ensuite, il faut aller plus loin dans la déconcentration de la gestion hospitalière. C'est aujourd'hui une direction centrale qui assure la gestion des neuf hôpitaux. À titre d'exemple, un hôpital militaire ne peut pas embaucher une personne en contrat à durée déterminée, pour remplacer un militaire envoyé en opération extérieure, sans l'autorisation de la direction centrale. Cette procédure engendre des délais : il peut arriver que la réponse de la direction centrale soit donnée après le retour du militaire en question ! Il faut plus de souplesse. Les chefs d'établissements demandent des marges de manoeuvre dans la gestion de leurs hôpitaux.

Enfin, je crois qu'il faut faire un choix clair entre deux options. La première, c'est le modèle britannique : il consiste à intégrer la médecine militaire au système de santé civil : ainsi, les médecins militaires britanniques travaillent au sein des hôpitaux civils, et les militaires blessés sont pris en charge au sein de ces mêmes hôpitaux. Ce modèle semble convenir, voire plaire, à la Cour des comptes. Je note cependant que les Britanniques ne sont plus à même aujourd'hui de constituer seuls une chaîne de soutien sanitaire complète : ils doivent s'en remettre pour cela à la coopération avec leurs alliés, notamment américains.

La seconde option, c'est celle qui est conforme à nos traditions : disposer d'un outil militaire de soutien sanitaire autonome, propre à fournir à nos troupes un soutien sanitaire au plus près possible des combats. Cela suppose d'assumer le coût de possession de cet outil.

La meilleure option est pour moi la seconde. Elle permet d'offrir à nos militaires un soutien sanitaire fiable et complet. Bien évidemment, cela n'empêche pas le SSA de se réformer, de réduire son coût par une meilleure utilisation de ses équipements et par une plus grande ouverture au système de santé civil.

Au terme de mes réflexions, et en signe de soutien au service de santé des armées, j'émets un avis favorable aux crédits du projet de loi de finance concernant le soutien et la logistique interarmées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion