Intervention de Dominique Bussereau

Réunion du 18 décembre 2013 à 11h15
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Bussereau, ancien secrétaire d'état chargé des transports :

Votre président et rapporteur a bien résumé la situation. Nous réfléchissions en réalité depuis longtemps à l'écotaxe en France, d'abord à la demande de nos collègues alsaciens, qui ont vu l'autoroute entre Strasbourg et Mulhouse saturée par des camions venus de toute l'Europe à partir de la mise en service, en 2005, de la LKW-Maut – qui s'applique à l'autoroute de l'autre côté du Rhin.

Dans ma propre région, je constate depuis longtemps que, pour rejoindre Paris depuis Bordeaux, les poids lourds venus de la péninsule ibérique ou du Maroc empruntent la RN 10 à la queue leu leu, dans des conditions parfois dangereuses, de préférence à l'autoroute A 10 – qui lui est quasiment parallèle, mais est soumise à péage.

Lorsque les Allemands ont commencé à mettre en oeuvre la LKW-Maut, j'ai donc souhaité rencontrer mon homologue allemand, et je me suis d'emblée intéressé à ce qui se passait de l'autre côté du Rhin. L'entrée en vigueur de la LKW-Maut a pris dix-huit mois : elle a même dû être reportée à cinq reprises. Lorsque nous sommes entrés dans les débats sur le Grenelle de l'environnement, nous avons décidé – notamment à l'instigation de nos collègues alsaciens – de mettre en oeuvre l'écotaxe.

Bien des questions se posaient. Quel réseau routier soumettre à la taxe ? Comment ? Avec quelles dérogations ? Comment l'exploiter ?

En ce qui concerne le réseau taxable, nous avons d'emblée éliminé le réseau autoroutier, déjà soumis à péage, d'autant que l'État perçoit une redevance domaniale sur les péages ; vous savez d'ailleurs que le décret augmentant cette redevance a fait l'objet d'un recours des sociétés d'autoroutes devant le Conseil d'État. Restaient donc les rares parties d'autoroutes gratuites – qui desservent notamment le Massif central et l'Alsace –, les routes nationales et d'autres ouvrages comme les périphériques des grandes villes. Nous avons donc défini un petit réseau taxable de 15 000 kilomètres. Les départements nous ont alertés sur les risques de report du trafic sur la voirie départementale, par exemple la route départementale 137, ancienne RN 137, qui permet d'effectuer le même trajet que l'A 10 et la RN 10 au nord de Bordeaux. Après en avoir parlé avec M. Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), nous avons décidé d'inclure dans le réseau taxable une partie du réseau routier départemental – inférieure, néanmoins, à ce que souhaitaient les départements. Moi-même, qui venais d'être élu président de conseil général alors que je siégeais encore au Gouvernement, je n'ai pas obtenu tout ce que j'aurais voulu de mon administration ! Les services du ministère ont été très prudents, mais près de 5 000 kilomètres de routes départementales ont tout de même été intégrés dans ce réseau taxable.

Le Grenelle de l'environnement a été voté presque à l'unanimité. Ceux qui étaient opposés à l'écotaxe à l'époque le sont toujours ; il faut ici rendre hommage à Marc Le Fur, dont la position est restée constante.

Très vite, en effet, s'est posé le problème des régions dites périphériques. La Bretagne a fait valoir qu'elle n'était pas une terre de transit, n'étant pas concernée par le poids lourd espagnol qui traverse la France à partir de Perpignan ou Hendaye sans mettre un centime dans l'économie française. Nous avons donc accepté une réduction de 50 % au bénéfice de cette région. Cela n'a pas été sans mal, nombre de parlementaires faisant valoir qu'elle était déjà la seule région à posséder un réseau gratuit de routes à quatre voies. Je n'étais moi-même pas partisan d'accepter une telle réduction, mais le Premier ministre a arbitré en ce sens. D'autres régions – l'Aquitaine et la région Midi-Pyrénées – ont alors emboîté le pas à la Bretagne, et obtenu des abattements de 25 % à 30 %.

La profession routière n'était bien sûr pas favorable à l'écotaxe, bien que celle-ci soit entrée en vigueur en Allemagne, en Slovaquie, en République tchèque et en Autriche, et envisagée au Royaume-Uni. Elle a donc négocié – ce qu'elle oublie parfois de rappeler – des contreparties : la quasi-disparition de la taxe à l'essieu, vieille revendication de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) et d'autres organisations professionnelles, et l'ouverture du réseau routier à la circulation des 44 tonnes, à laquelle j'étais personnellement opposé, mais qui était déjà autorisée pour la desserte des hinterlands - des ports maritimes et, plus récemment, fluviaux, avec des dérogations préfectorales, par exemple pour le transport des céréales. La quasi-totalité de notre réseau routier se trouve désormais ouvert aux 44 tonnes. Le monde agricole n'a que peu réagi à l'époque.

Par ailleurs, nous avons décidé que l'écotaxe figurerait en pied de facture du donneur d'ordres. Autrement dit, ce n'est ni le transporteur routier ni le producteur qui paye, mais celui qui expédie sa marchandise à travers la France autrement que par le train. Je reconnais que cela donne lieu à un calcul complexe, mais le principe est là. Lorsque certains viennent nous expliquer aujourd'hui que ce sont eux qui vont payer, c'est donc de la pure escroquerie intellectuelle – et je regrette parfois que le Gouvernement reste sans réponse.

Pourquoi avons-nous fait le choix d'un partenariat public-privé (PPP) ? Il fallait trouver un opérateur capable de gérer un système fondé sur des appareils embarqués dans les poids lourds, qui transmet directement l'information au satellite et qui se devait d'être compatible avec les autres systèmes européens ; les fameux portiques qui ont donné lieu à tant de débats ne servant qu'à contrôler la présence des appareils embarqués. L'opérateur en question devait être compétent en matière de gestion des réseaux, de gestion satellitaire et de gestion des systèmes, car – à moins d'accepter de former des agents sur une longue période – nous ne disposions pas de ces capacités dans l'administration française. Jean-Louis Borloo et moi-même avons donc pris la décision de recourir à un PPP, en désignant l'administration des douanes – qui a l'habitude de la gestion économique de la fraude et avait besoin de diversifier ses missions – comme administration de contrôle.

La décision de recourir à un PPP a été prise en 2009. Jean-Louis Borloo et moi-même avons quitté le Gouvernement le 13 novembre 2010, au moment où la commission chargée de donner un avis sur le choix du candidat entamait ses travaux. Le choix qui a été fait est celui d'un PPP sur une très courte période, à savoir treize ans, ce qui concourt à expliquer un coût annuel de perception qui peut paraître exorbitant par rapport au produit perçu – soit de l'ordre de 1,2 milliard d'euros. Les investissements à réaliser s'élevaient à 800 millions d'euros, et les frais mensuels entre 15 et 20 millions, sachant qu'il fallait rémunérer 250 collaborateurs directs ou indirects, que le réseau taxable était réduit, et le taux kilométrique restait bien inférieur à celui en vigueur en Allemagne. Avec un réseau taxable et un taux kilométrique plus importants, nous n'aurions pas une telle dichotomie entre le coût de la collecte de l'écotaxe et son produit. En Allemagne, le coût de la collecte s'élève à environ 510 millions par an, pour un produit qui atteindra 4,5 milliards. L'ensemble des autoroutes allemandes est en effet soumis à la LKW-Maut, si bien que le rapport entre le coût de gestion et le produit de la taxe est sans commune mesure avec ce qui était prévu en France.

Après avoir quitté le Gouvernement, nous avons continué à suivre le dossier, mais à travers la presse. C'est donc l'offre d'Ecomouv' qui a été choisie le 14 janvier 2011 ; nous avons suivi le contentieux devant le tribunal administratif de Pontoise, puis au Conseil d'État.

Je comprends les difficultés auxquelles s'est heurté le Gouvernement. Nous savons tous à quelles extrémités peuvent conduire les crises bretonnes, de l'incendie du Parlement de Bretagne à Rennes à la mise à sac d'une sous-préfecture et au grand mouvement agricole breton, qui a d'ailleurs conduit son meneur à créer la compagnie Brittany Ferries, belle réussite économique de la région. Néanmoins, il faut en sortir, et si possible par le haut. Pour ma part, je souhaite le retour de l'écotaxe. Peut-être faut-il revoir les tarifs, le réseau taxable, la part des départements, le tonnage minimum des poids lourds concernés – aujourd'hui fixé à 3,5 tonnes. Trois grands chantiers de lignes à grande vitesse (LGV) sont en cours – Tours-Bordeaux, Le Mans-Rennes et la fin du TGV Est –, auxquels s'ajoute la ligne à grande vitesse Montpellier-Nîmes, et les discussions sur les prochains contrats de plan État-région (CPER) sont plutôt de bon augure pour ce qui concerne le volet mobilité. Il faudra bien financer tout cela, et reprendre des chantiers comme celui de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse. Le ministre des transports annonce que nous le ferons sans recourir à un PPP ou à une concession. C'est un choix politique. Il est respectable, mais il pose la question du financement. Bref, il faut de l'argent pour nos infrastructures : le jour où nous sortirons de la crise, leur compétitivité sera déterminante pour le pays, qu'il s'agisse du haut débit, du très haut débit ou des canaux. La qualité de nos infrastructures figure d'ailleurs au nombre des points forts de notre pays constamment cités par les investisseurs étrangers. Les Allemands ont laissé se détériorer leur réseau autoroutier et leur réseau ferroviaire ; ils sont très en retard en matière de grande vitesse. Nous devons donc préserver nos atouts, et c'est pourquoi nous avons besoin de l'écotaxe, qui n'est pas un impôt, mais une une redevance, puisqu'elle est la contrepartie d'un service.

Dans l'intérêt général, il me semble donc souhaitable que nous aboutissions – de la manière la plus consensuelle possible – à une écotaxe rénovée, sans perdre trop de temps et en veillant à assurer l'information de nos concitoyens, qui ont entendu les rumeurs les plus contradictoires sur le sujet. Nous avions calculé qu'il en coûterait, avec l'écotaxe, 1 centime de plus sur un kilo de tomates de Bretagne, et entre 0,4 % et 1 % de plus sur un produit acheté dans un commerce ou en grande surface.

J'ajoute, et peut-être aurais-je dû commencer par là, que l'écotaxe a aussi des objectifs environnementaux : nous souhaitions encourager le report modal en finançant le fret ferroviaire, les canaux et les autoroutes de la mer, des objectif, me semble-t-il, partagés sur tous les bancs de notre assemblée.

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