Intervention de Dominique Bussereau

Réunion du 18 décembre 2013 à 11h15
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Bussereau, ancien secrétaire d'état chargé des transports :

L'idée d'une régionalisation partielle de l'écotaxe peut être effectivement envisagée, Monsieur Savary, mais elle peut poser problème pour les instances de Bruxelles, ainsi que vis-à-vis des transporteurs étrangers. Nous visons un public de 1 million de camions, dont 800 000 Français et 200 000 étrangers. Il peut être compliqué d'expliquer au chauffeur de poids lourd espagnol qui transite par notre pays que le tarif va varier suivant les régions qu'il est amené à traverser. Cela poserait aussi des problèmes techniques et des problèmes de perception, alors que le dispositif est déjà très compliqué à mettre en oeuvre, puisque tout le réseau n'est pas taxable. Sur le principe, je trouve l'idée astucieuse et intéressante. La réalisation technique paraît plus complexe, mais cela mérite en tout cas d'être regardé de plus près.

J'en viens aux questions de M. Duron. Je pense qu'il faut réceptionner le dispositif Ecomouv'. Cela permettrait d'abord de le tester à blanc, comme l'ont souhaité un certain nombre d'entre vous, donc d'éviter les difficultés auxquelles l'Allemagne a été confrontée – qui ont coûté leur tête à plusieurs ministres. Les cinq reports dont j'ai parlé étaient en effet dus à des problèmes techniques, et non d'ordre politique comme en France. Un contentieux est d'ailleurs toujours en cours entre les autorités allemandes et Toll Collect ; il porte sur près de 3,3 milliards d'euros.

Réceptionner le dispositif serait par ailleurs une manière de correction vis-à-vis des salariés de la société.

Les transporteurs routiers ont bien obtenu des compensations à l'instauration de l'écotaxe, avec l'ouverture de la quasi-totalité du réseau aux 44 tonnes et la quasi-disparition de la taxe à l'essieu. D'autres compensations peuvent être envisagées avec les trois principales organisations du secteur routier. J'observe simplement que la FNTR – qui reste la principale d'entre elles, même si elle a perdu de sa puissance – ne tient pas un discours responsable dans cette affaire. C'est finalement l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), donc la plus petite, qui est la plus active.

Le pavillon français a perdu beaucoup de parts de marché à l'international, ce qui explique la présence perpétuelle de ces 200 000 camions étrangers sur nos routes, qui assurent parfois des transports à l'intérieur même de notre pays. Bien que la route ait pris le pas sur le fer en matière de transports, les entreprises françaises de transport routier restent très fragiles. C'est une difficulté majeure pour notre système.

La discussion avec les Bretons interviendra nécessairement dans un contexte délicat. Personnellement, je ne suis pas partisan d'exempter la Bretagne de l'écotaxe. Elle bénéficie déjà d'un atout avec ce réseau gratuit que lui envient de nombreuses régions, quand bien même il n'est pas autoroutier. Le plan de 1969 appartient au passé, Monsieur Ferrand : la Bretagne a fait la preuve de son dynamisme économique, même si elle souffre aujourd'hui. Le Gouvernement doit certes aller plus loin sur ce point dans le dialogue avec les Bretons, mais une exemption complète poserait problème vis-à-vis de Bruxelles et ne serait pas comprise par les Français, quelles que puissent être l'admiration et la compassion qu'ils vouent à votre région.

L'affectation d'une partie de la taxe au renouvellement des véhicules peut faire partie de la discussion avec la profession routière, Monsieur Breton. Toutefois, il était déjà prévu que l'écotaxe s'applique de manière différenciée selon le poids et la taille des véhicules, mais aussi selon le degré des leurs émissions polluantes – le poids lourd le moins polluant paye moins que le plus polluant. Je rappelle également qu'il existe déjà une écotaxe – qui porte ce nom – sur certains ouvrages comme le pont de l'île de Ré. Une partie de son produit est affectée au département de la Charente-Maritime pour l'entretien de l'ouvrage, et l'autre au développement durable, à savoir le développement du transport public dans l'île et la protection des espaces naturels. La loi permettrait d'étendre cette écotaxe à d'autres ouvrages ou sites fragiles.

M. Caullet a évoqué la délicate question de la cohérence du réseau taxable. Dès lors que l'on a choisi d'exclure le réseau autoroutier à péage, ce dont rien n'interdit d'ailleurs de rediscuter, ce réseau est en effet constitué de différents tronçons. Lorsqu'il était ministre de l'équipement et du logement sous le général de Gaulle, Albin Chalandon fut un temps surnommé « Monsieur Tronçon » : faute de moyens, l'État était conduit à n'aménager que des tronçons d'autoroute. Quoi qu'il en soit, rien n'interdit aujourd'hui de rouvrir le dialogue avec les départements. L'audition du président Lebreton pourrait s'avérer utile à cet égard ; rappelons que l'État n'a pas inclus dans le réseau taxable autant de routes que les départements l'auraient souhaité.

Le report modal n'est certes pas aussi aisé dans le Morvan qu'ailleurs, cher collègue. Vous me permettrez néanmoins de rappeler, comme l'a fait le rapport Duron, que la construction de lignes à grande vitesse n'a pas seulement pour but de réduire les temps de parcours, mais aussi de dégager des sillons pour le fret et les TER sur les lignes classiques. Je le dis notamment pour nos amis bretons, car c'est le cas pour la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes. Je rappelle aussi que l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) avait la possibilité d'affecter une partie de l'écotaxe aux transports urbains.

L'écotaxe est bien le premier élément d'une fiscalité écologique, Monsieur Benoit. Il est certain qu'un dispositif plus simple aurait été préférable. Toute la question est de savoir lequel. Hormis quelques manifestations très marginales, ce choix n'avait fait l'objet d'aucun débat à l'époque. Tout comme en Allemagne, il a été très bien accepté par l'opinion publique. Réexpliquer les tenants et aboutissants du dispositif à nos compatriotes sera à coup sûr une difficulté si nous choisissons de le remettre en oeuvre. Faut-il rappeler que les portiques qui ont cristallisé toute la colère ont pour seul objet d'identifier les fraudeurs, et au premier chef les fraudeurs étrangers, en vérifiant la présence à bord du boîtier électronique, qui communique directement avec le satellite ?

Vous souhaitez disposer d'éléments de comparaison avec nos partenaires européens. Il serait intéressant que votre mission d'information les reçoive, comme certains d'entre vous l'ont suggéré. L'Allemagne a choisi de taxer sur la totalité de son réseau autoroutier, ce qui a le mérite de la cohérence. En Autriche, le réseau est tout petit ; je ne parle pas de la Slovaquie ou de la Slovénie. Ces pays ont d'ailleurs adopté un système différent : le réseau autoroutier est si petit que les portiques permettent d'assurer à la fois le contrôle et la perception de la taxe.

Je ne suis guère favorable à de nouvelles exonérations. Le produit de l'écotaxe – 1,2 milliard – est déjà relativement faible au regard des 8 milliards que coûte la construction de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, par exemple. En outre, il faut en déduire la rémunération d'Ecomouv'. On risque donc d'arriver à un dispositif qui coûte plus cher en gestion qu'il ne rapporte.

Nous avons fait le choix d'un PPP parce qu'il s'agissait de métiers techniques très pointus, monsieur Carvalho. Du reste, ce sont des entreprises françaises – notamment Cofiroute, membre du consortium Toll Collect, pour l'Allemagne – qui gèrent les systèmes des autres pays européens. Nos entreprises ont donc une grande expertise. Plusieurs entreprises françaises détiennent d'ailleurs une participation dans le capital d'Ecomouv', aux côtés d'Autostrade per l'Italia, et son vice-président, M. Michel Cornil, est un cadre détaché de la SNCF, spécialiste du transport urbain, qui a fait sa carrière chez Transdev.

Je précise que le décret du 30 mars 2009 avait pris soin d'encadrer rigoureusement la composition de la commission chargée de donner un avis sur le choix de l'entreprise : présidée par un membre du Conseil d'État, elle était composée du directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, du directeur général des douanes et droits indirects, du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, du directeur du budget, et enfin du président de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat. Le ministère des transports n'a donc pas décidé seul ; en outre, tout cela s'est fait sous le contrôle de Matignon. Bref, nous étions loin d'une commission d'initiés.

J'ai bien compris le propos de M. Ferrand sur la complexité de la crise bretonne. Néanmoins, on peut faire du report modal en Bretagne, comme l'illustre l'exemple de Brittany Ferries – nous avons bien là des autoroutes de la mer. Les Bretons doivent comprendre que beaucoup de Français s'interrogent sur les raisons de la gratuité du réseau routier en Bretagne. Certes, la Bretagne était en difficulté au moment du plan routier breton. L'État a donc massivement investi. Rien dans l'histoire de France n'autorise pour autant la Bretagne à estimer que le réseau devrait être gratuit en Bretagne et payant ailleurs, quelle que soit l'affection que nous portons à ses habitants.

J'ajoute que c'est le donneur d'ordres qui paye la taxe. Il ne s'agit pas nécessairement du producteur : cela peut être la plateforme de distribution d'une chaîne d'hypermarchés qui renvoie la marchandise vers ses magasins. Cela étant, peut-être faut-il mieux organiser la répartition entre distributeur et donneur d'ordres dans la facture finale.

J'ai bien pris note de la remarque de M. Lurton sur les spécificités bretonnes. Je crois lui avoir répondu sur le choix d'Ecomouv'. Quatre ou cinq consortiums avaient répondu à l'appel d'offres. Je n'étais plus au Gouvernement lorsque la commission a fait son choix. Je me souviens néanmoins qu'elle devait se prononcer en fonction d'un critère de rapidité, non seulement dans la délivrance des prestations, mais aussi dans l'appel d'offres et le dialogue compétitif.

J'en viens aux recettes d'Ecomouv'. Pour accroître les recettes et réduire le coût de la collecte, il faut étendre le réseau routier taxable au-delà des 15 000 kilomètres.

Je reconnais que nous avons sans doute un peu sous-estimé les difficultés en dépit de l'exemple allemand, Monsieur Bies. Mais il faut bien voir que le processus a été très lent. Sur le plan technique, le dispositif était compliqué à mettre en oeuvre. Si nous ne l'avons pas fait avant l'élection présidentielle, c'est qu'il n'était pas prêt. Le décret du 6 mai 2012 était incompréhensible, et M. Cuvillier a eu raison de demander à son administration d'y revenir. Il est vrai que la tâche était particulièrement complexe. Treize arrêtés ou textes ont d'ailleurs été pris sur le sujet depuis le changement de gouvernement, et il n'est pas dit que nous ne puissions pas encore progresser. Encore une fois, tout cela est très compliqué. Un camion espagnol qui traverse la France pour rallier Anvers depuis Bayonne emprunte à la fois de l'autoroute à péage, de la route nationale et de la route départementale.

Il est possible d'aller plus vite si certaines régions acceptent de tester le dispositif. Nous avions prévu qu'il entrerait en vigueur six mois plus tôt en Alsace. M. Cuvillier a préféré que la date soit la même pour toutes les régions ; ce devait initialement être le 1er juillet, puis le 1er octobre, et enfin le 1er janvier 2014, avant la suspension de l'écotaxe par le Gouvernement. Si le processus redémarre, rien n'empêche de procéder d'abord à une expérimentation. C'est une bonne méthode, à laquelle nous n'avons pas suffisamment recours en France, et qui pourrait être mise en oeuvre dans les régions de transit qui sont d'accord pour le faire, comme la Lorraine ou l'Alsace.

Nous avons fait le choix d'un taux kilométrique plus faible qu'en Allemagne, car nous avons déjà un réseau autoroutier payant, Monsieur Straumann. Si l'écotaxe s'appliquait à une partie du réseau autoroutier, ce qui suppose une discussion entre l'État et les sociétés d'autoroutes, nous pourrions mieux aligner le système français et le système allemand, et ainsi gérer la spécificité des itinéraires de détournement des camions allemands par la rive alsacienne du Rhin.

La suspension de l'écotaxe prive en effet les départements d'une ressource sur laquelle ils comptaient, Monsieur Thévenoud. Il manque 2,5 millions d'euros à la Saône-et-Loire, 2 millions à la Charente-Maritime. Le Gouvernement pourrait utilement rouvrir le dialogue avec les conseils généraux, dont les revendications n'ont pas été pleinement entendues.

Nous n'avons pas envisagé à l'origine d'inclure les autoroutes à péage dans le réseau taxable. Mais peut-être est-ce une erreur. Il doit être possible de discuter avec les sociétés autoroutières pour voir comment combiner péage et écotaxe. Techniquement, ce n'est pas inenvisageable.

Nous n'avions pas envisagé d'autres alternatives que le PPP, monsieur Faure, non par idéologie libérale, mais parce que nous ne savions pas faire autrement, y compris au regard de l'expérience des autres pays européens. Même si nous avions recruté des fonctionnaires supplémentaires, il aurait fallu les former. Nous avons préféré nous adresser à ceux qui savaient faire. Bref, c'était un choix de fonctionnement – qui n'interdit pas d'envisager autre chose aujourd'hui.

Je n'ai pas de conseils à donner au Gouvernement pour l'avenir. Il faut trouver un accord avec Ecomouv' pour que la société puisse reprendre son travail dans un cadre rénové, que les travaux de votre mission d'information contribueront à tracer. Je suis conscient de la difficulté de la tâche, d'autant que l'on a raconté tout et son contraire à nos compatriotes. L'autre jour, un reportage diffusé sur LCI expliquait que le dispositif excluait les camions étrangers ! J'ai téléphoné au directeur de la chaîne ; il m'a répondu qu'elle ne le savait pas ! En réalité, nous aurions au contraire souhaité taxer les seuls camions étrangers, mais les règles européennes ne le permettent pas. Sur les transits longs, il y aura cependant, hélas – compte tenu des difficultés du pavillon routier français –, bien plus de camions étrangers que de camions français taxés.

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