Intervention de Giovanni Castellucci

Réunion du 29 janvier 2014 à 11h00
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Giovanni Castellucci, administrateur délégué de la société Autostrade per l'Italia :

Le contrat prévoit une durée d'exploitation d'onze ans et demi, soit une période assez réduite par rapport à la hauteur de l'investissement en capital. Celui-ci est lourd pour Ecomouv', mais également pour les SHT qui devront, au cours de cette période, amortir les équipements embarqués qu'elles ont acquis, sachant que la longévité technique de ce matériel de dernière génération satellitaire pourrait, si nécessaire, aller bien au-delà des onze ans et demi.

S'agissant de la réception du dispositif par l'État, les tests de VABF ont été achevés le 8 novembre, et les certificats nous ont été transmis il y a quelques jours. L'État a donc bien vérifié la qualité, la fiabilité et la conformité du dispositif au cahier des charges.

Pourquoi la mise à disposition est-elle retardée ? Jusqu'à fin octobre, la date de démarrage du dispositif était fixée au 1er janvier ; la VABF a été achevée bien avant, mais le changement du cadre politique a bouleversé le calendrier. Jusqu'à la mi-décembre et son audition à l'Assemblée nationale, le ministre délégué aux transports, M. Cuvillier, prévoyait le prononcé de la mise à disposition avant la fin de l'année. À ce jour, elle fait toujours défaut.

La principale difficulté que nous avons rencontrée tient aux exigences de la Commission européenne en matière d'écotaxes, auxquelles le dispositif adopté en France est le premier à répondre. Il prévoit ainsi, entre autres, la possibilité de faire appel aux prestataires de services que sont les SHT, ce qui implique la coordination de différents systèmes informatiques. Certaines SHT ont choisi, pour leur équipement, de faire appel à Siemens, d'autres à Kapsch. Intégrer, dans le cadre de la facturation, les informations provenant de ces technologies différentes n'est pas une tâche aisée. La directive européenne imposant l'interopérabilité et la possibilité pour les opérateurs d'intervenir sur les marchés constitue ainsi une source majeure de complexité.

Parmi les autres difficultés, mentionnons la rareté des organismes agréés pour l'homologation dans divers domaines. Ainsi, en matière de sécurité des systèmes d'information, nous ne pouvions faire appel qu'à la société d'expertise Oppida, forcément surchargée de demandes ; l'homologation a donc demandé plus de temps que prévu. Plus largement, nous avons dû régler une multitude de détails, certes mineurs, mais complexes, dont l'accumulation a demandé beaucoup d'efforts.

Les exigences de l'État étaient à la fois raisonnables et compatibles avec la directive européenne. Rien n'imposait de traiter l'écotaxe comme une taxe et non comme un péage mais, une fois prise, cette décision a déterminé la nécessité d'un dispositif particulièrement précis.

La rémunération d'Ecomouv' résulte directement de l'appel d'offres correspondant à un cahier des charges précis, que l'État a formulé au terme d'un dialogue compétitif. Selon le Premier ministre, notre offre était de loin la moins-disante – appréciation confirmée par le tribunal administratif dans le cadre d'un recours initié par un concurrent. La rémunération vise essentiellement à couvrir l'amortissement de notre investissement et la rémunération des SHT, qui doivent à leur tour amortir l'investissement en équipements embarqués.

Le ministre délégué aux transports a affirmé en audition que la responsabilité de certains retards échoyait à Ecomouv'. S'il est normal que nos avis divergent, la situation actuelle ne facilite pas le consensus dans la mesure où rien ne nous incite désormais à trouver des solutions pour le démarrage du système. Plusieurs facteurs sont responsables des retards. Ainsi, le guide des procédures – document fondamental qui définit le fonctionnement du dispositif – a été sensiblement modifié onze mois après que le contrat nous a été attribué. Ce changement nous a obligés à refaire beaucoup de choses et à trouver avec l'État des calendriers d'aménagement pour rattraper le décalage. Autre cause du retard : la décision de remplacer l'expérimentation en Alsace par une marche à blanc à l'échelle nationale. Si ce choix était justifié, il a exigé du temps supplémentaire. Aujourd'hui, la situation n'est pas simple, et nous espérons rapidement parvenir à une convergence de points de vue avec l'État.

Quant à savoir s'il faut modifier le contrat entre l'État et la société Ecomouv', nous opérons déjà sous le contrôle de la puissance publique, notamment dans le domaine de l'embauche. Bénéficiant d'un agrément pour gérer le système de collecte de l'écotaxe, nous sommes un agent de l'État et disposons, à ce titre, d'une marge de liberté assez limitée.

L'investissement en portiques constitue une question importante. Chargés de détecter si l'équipement embarqué marche bien, les portiques ne peuvent pas être remplacés par un système satellitaire plus sophistiqué : celui-ci ne saurait déceler un matériel embarqué caché ou défectueux. En revanche, on peut leur substituer des contrôles manuels, surtout dans un périmètre limité. Cependant, les portiques représentent une façon intelligente et efficace d'automatiser et de massifier les contrôles du comportement des transporteurs. Sans être unique, cette solution nous a semblé la plus efficace, étant entendu que nous n'en sommes pas les auteurs puisqu'elle figurait dans le cahier des charges imposé par l'État. Nous n'avons fait que répondre à la demande en réalisant des portiques bien conçus et – détail non dépourvu d'importance – utilisant une technologie française.

Nous avons déjà organisé une marche à blanc, qui s'est déroulée avec succès. En septembre 2013, lorsqu'il a annoncé la date de mise en service au 1er janvier 2014, l'État devait avoir connaissance de ses résultats ; en tout état de cause, il ne pouvait pas les ignorer au moment de prononcer la VABF. Tout ce qu'on a entendu ne correspond donc pas à la vérité, et nous sommes prêts à vous fournir toutes les précisions nécessaires.

Nous n'avons eu aucune possibilité d'influencer la définition du réseau taxable. Tout comme la localisation des portiques et des systèmes de contrôle déplaçables, elle faisait partie de l'appel d'offres initial. Par la suite, l'État y a apporté de petites modifications, mais de sa propre initiative et à la marge seulement.

Du fait de la suspension de facto de la mise en service du dispositif, Ecomouv' se trouve aujourd'hui hors du contrat de financement. Cette situation et le manque de visibilité qui l'accompagne inquiètent les banques qui ont financé le projet. Nous espérons, en travaillant avec l'État, pouvoir rassurer les créanciers, mais il faut le faire très rapidement afin de ne pas laisser le temps décider pour nous. Il y a une semaine, nous avons enfin été convoqués par le ministère des transports qui, après avoir consulté les autres organes de l'État, nous a énoncé ses souhaits et objectifs. Lors d'une deuxième réunion, nous avons expliqué nos contraintes, relatives essentiellement aux attentes des créanciers et aux systèmes de financement. Nous nous sommes donc expliqués sur nos impératifs réciproques et espérons désormais parvenir rapidement à une solution commune. L'État souhaite en particulier ne pas payer de loyers tant que dure la suspension – contrainte particulièrement lourde si l'on en ignore la durée. La discussion est d'autant plus complexe qu'elle implique plusieurs intervenants, tant du côté de l'État que de celui des créanciers, sans oublier les SHT qui ont beaucoup investi dans l'achat de matériel et qui ne savent pas quand elles pourront le rentabiliser.

En matière sociale, le ministre nous a demandé de faire preuve de responsabilité et de ne pas activer les clauses de chômage partiel jusqu'à ce qu'on se mette d'accord sur la façon de gérer la période de suspension. Afin de ne pas ajouter de la crise à la crise, nous nous en sommes tenus à cette demande du Gouvernement en gardant tous nos employés de Metz. Jusqu'à récemment, ils étaient très occupés à traiter les 180 000 fichiers enregistrés. Depuis quelques semaines, il y a nettement moins d'activité, mais nous espérons pouvoir les éclairer rapidement sur leurs perspectives.

Pour étendre le réseau, il suffirait d'ajouter des portiques ou des points de contrôle. Si l'on décidait de s'en passer, le coût marginal de l'extension serait assez faible, et le coût moyen beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. Mais si l'on veut garder un niveau de contrôle élevé, les portiques représentent un système plus efficace que les vérifications manuelles. Il est évidemment possible d'opter pour une surveillance plus lâche, mais cela relève d'une décision politique.

En matière de compatibilité internationale, rappelons que la France est le premier pays à mettre en place un système conforme aux standards européens. Cela nous a, dès le début, incités à concevoir un dispositif susceptible d'être étendu à d'autres pays. Le système allemand, en fin de vie, ne correspond pas aux exigences européennes et ne sera pas compatible avec le nôtre. Toutefois, dans deux ans environ, sa refonte fera l'objet d'un appel d'offres et nous espérons pouvoir jouer nos cartes avec nos partenaires pour mettre en place un système totalement interopérable. En revanche, à condition d'utiliser les équipements embarqués fournis par Ecomouv', le dispositif français est d'ores et déjà compatible avec ses homologues espagnol, italien et autrichien. Les équipements fournis par Kapsch et Siemens ne sont, pour leur part, interopérables qu'avec l'Autriche.

Monsieur Le Fur, les véhicules français et étrangers subiront bien les mêmes contraintes. La VABF a eu lieu ; vérifié par l'État et par la CNIL, le système est homologué et donc prêt à la mise en service.

Ce n'est pas à nous, mais à la SNCF, qu'il faut demander la raison de sa participation au consortium. Du point de vue d'Ecomouv', si certains services fournis par la SNCF, tels que la logistique aux points de distribution, peuvent également être assurés par d'autres prestataires, sa présence parmi nos partenaires s'est en revanche révélée indispensable dans le cadre de la marche à blanc. En effet, les adhésions à l'expérimentation s'effectuant sur la base du volontariat, la participation immédiate de sa filiale Geodis nous a permis de tester le système de façon rapide et efficace.

Les données collectées par Ecomouv' appartiennent à l'État et aux SHT ; nous ne pouvons ni les échanger avec nos partenaires – la SNCF n'y aura donc jamais accès –, ni les exploiter économiquement. Quant aux SHT – Axxès, Eurotoll, Total, DKV, Ressa et Telepass –, ces données leur permettront d'améliorer la qualité de leurs services, tout en favorisant leur intégration en matière d'intermodalité.

M. Lambert s'est inquiété de la possibilité qui nous est laissée de revendre nos participations. Nous sommes des industriels, le système de péage est notre coeur de métier. À la fin des années quatre-vingt, nous avons été les premiers au monde à développer un système de péage électronique, en Italie. Nos 8,5 millions de clients italiens représentent la moitié de l'ensemble des clients des systèmes de péage électronique en Europe. En 2004, nous avons été les premiers à mettre en place un système d'écotaxe, qui fonctionne très bien, en Autriche. Nous sommes donc là pour rester. Le contrat nous permet de vendre 30 % des parts immédiatement – ce que nous avons fait – et plus par la suite, à condition toutefois de garder le contrôle de la société. Sauf dérogation de l'État, nous sommes donc obligés de conserver un niveau de participation de 50,1 %, étant entendu que, si le projet est mené à bien, nous souhaitons rester partie prenante.

Après la suspension, le plus compliqué dans la reprise du contrat pourrait tenir à la validité des données enregistrées. Si la reprise a lieu pas trop tard dans l'année, leur fraîcheur pourra être conservée, voire prolongée à travers des décisions de la part de l'État. Par contre, une trop longue attente imposera aux entreprises de refaire le travail d'enregistrement, qui exige beaucoup plus de précisions pour une taxe que pour un péage. L'établissement de la taxe dépend, en effet, principalement de la qualité et de la fraîcheur des données d'enregistrement.

Où se situe le point de non-retour ? Je ne saurais le dire, mais les nombreux intervenants – cinq pour l'État, dont la Caisse des dépôts et consignations au titre du financement, huit banques et les SHT – ont besoin d'une réponse assez rapide pour maintenir l'efficience du système. En travaillant bien, il n'est pas impossible de tenir jusqu'à la fin de l'année, dans des conditions de clarté et de prise en charge des coûts de maintien du système. Je rappelle que nous avons été arrêtés à deux mois du démarrage, en pleine montée en puissance des réseaux de distribution. Aujourd'hui, en tout cas, les conditions ne sont pas réunies pour tenir trop longtemps.

On ne peut pas dire que le coût du système soit plus élevé en France que dans les autres pays. En Allemagne, non seulement les SHT n'étaient pas intégrées dans le système, mais la technologie n'avait pas besoin d'être aussi sophistiquée. Le coût dépend des nombres de kilomètres et de camions à contrôler, et, à parité de réseau et de nombre de camions, le coût en France est inférieur de moitié. Seulement, les recettes françaises sont plus faibles qu'en Allemagne parce que le réseau taxé est moins fréquenté par les poids lourds. Le choix du réseau est donc à l'origine du renchérissement du coût, dû à la faiblesse des recettes. Sur un réseau de première importance, le coût aurait été réduit de moitié par rapport à l'Allemagne. Il ne résulte d'ailleurs pas d'une négociation mais d'une réponse à un appel d'offres, compétition vraie dans laquelle notre proposition est ressortie comme la moins chère.

Quel serait le coût pour la collectivité en cas d'interruption du projet ? La clause de résiliation du contrat prévoit que soient dédommagés ou payés l'investissement réalisé et les coûts supportés à la date – dépenses opérationnelles, coût du capital pour les banques et les actionnaires, coûts de rupture de contrats. Il n'y a rien sur le manque à gagner. Cette clause existait déjà dans le contrat et n'a pas été négociée.

Des modifications peuvent, bien sûr, être apportées au système, mais très difficilement sur les éléments structurants, c'est-à-dire tout ce qui touche à la base de données, aux classifications ou à la tarification. La non-tarification des premiers cinquante kilomètres, par exemple, est assez compliquée à faire, surtout pour ce qui concerne les redevables non abonnés qui acquittent en temps réel, contrairement aux abonnés qui travaillent en post-facturation. Avec la facturation en fin de mois, les ajustements peuvent être calculés, mais pour les 20 ou 30 % de facturation en temps réel restants, le système de prépaiement ne le permet pas.

D'autres modifications ne posent pas de problème. Par exemple, il serait très facile de limiter la classe de tonnage aux 12 tonnes.

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