Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 31 octobre 2012 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo, Rapporteur pour avis :

Madame la Présidente, mes chers collègues, je voudrais vous présenter dans un premier temps les grandes lignes du budget pour 2013 consacré aux forces terrestres et vous faire part de plusieurs points qui ont attiré mon attention lors de mes travaux, mes entretiens et déplacements sur le terrain.

J'évoquerai, ensuite, l'action des forces terrestres sur le territoire national dans le cadre des missions intérieures ou MISSINT, thème auquel j'ai consacré la deuxième partie de mon rapport.

Le budget consacré à la défense en 2013 est un budget de transition dans l'attente des conclusions du prochain Livre blanc et de la nouvelle loi de programmation militaire. Le format de nos armées évoluera à l'aune des conclusions de ces deux exercices, néanmoins je souhaite indiquer, dès à présent, que nos forces terrestres atteignent aujourd'hui un niveau « tout juste suffisant ».

Le projet de loi de finances pour 2013 assurera à l'armée de terre les capacités d'action lui permettant de répondre au contrat opérationnel fixé par le Livre blanc de 2008. L'armée de terre sera encore en mesure de déployer des forces de souveraineté et de présence en plusieurs points du globe, de participer à la protection de la population sur le territoire national au travers des missions intérieures et de contribuer à la stabilité et à la paix dans le monde via les opérations extérieures.

Conformément aux dispositions du Livre blanc de 2008 et à la LPM 2009-2014, le « coeur projetable » de l'armée de terre devrait se situer en 2015 à 70 000 hommes, c'est-à-dire moins que le nombre de places dans le Stade de France, pour une population de plus de 63 millions d'habitants. Descendre en dessous de ce seuil, pour réaliser des économies, est toujours possible. Cependant il me semble que notre outil de défense ne sera alors plus à même de remplir convenablement toutes les missions que nous lui assignons aujourd'hui. Les forces terrestres disposent à présent d'une capacité opérationnelle ramassée et rationalisée. Concernant le format de l'armée de terre, la commission chargée de préparer le Livre blanc devra apporter une réponse à chacune de ces deux questions fondamentales :

– Quelle défense voulons-nous pour notre pays ?

– Quel rang la France souhaite-elle tenir dans le concert des nations ?

Notre effort en matière de défense, notamment au profit des forces terrestres dans les années à venir, conditionnera les réponses à ces deux interrogations.

En 2013, les autorisations d'engagement (AE), hors titre 2, consacrées à l'armée de terre au sein du programme 178 « Préparation et emploi des forces » seront en augmentation de l'ordre de 9 % environ. En revanche les crédits de paiement (CP), hors titre 2, seront pour leur part en diminution de l'ordre de 3,4 % environ. L'augmentation importante des AE correspond notamment à un effort permettant de prendre en compte l'entretien programmé des matériels (EPM) des équipements de nouvelle génération et la remise aux normes des matériels rentrant d'Afghanistan, pour qu'ils puissent être utilisés sur le territoire national.

Néanmoins cette hausse constatée dans le projet de loi de finances pour 2013 ne doit pas masquer les difficultés rencontrées par l'armée de terre dont le poids budgétaire n'a cessé de décroître ces dernières années au sein du programme 146 « Équipement des forces ». L'armée de terre représente, en effet, depuis une dizaine d'années, environ 20 % des crédits d'équipement de nos forces armées. Or il avait été indiqué en 2008 dans le Livre blanc, puis dans la LPM, que les équipements des forces terrestres seraient une priorité. Hélas ceci ne s'est pas traduit dans les faits.

Ces dernières années l'armée de terre a été la première concernée par la contrainte budgétaire exercée sur le ministère de la défense. Jusqu'à présent ce sont, en effet, les crédits des forces terrestres qui ont le plus été touchés pour réaliser des économies. En 2013 l'armée de terre contribuera à nouveau aux efforts d'économie puisque 76 % des économies globales d'équipements de la mission « Défense » concerneront des équipements de l'armée de terre. Nous sommes aujourd'hui dans un contexte contraint, et le budget de la défense pour 2013 est un budget d'attente, mais il nous faudra veiller dans les années à venir à ce que les forces terrestres bénéficient de toute notre attention. Le lancement de la première étape du programme SCORPION, acronyme signifiant « synergie de contact renforcée par la polyvalence et l'infovalorisation », est par exemple reporté d'un an. Ce décalage est certes limité dans le temps, mais il me semble nécessaire, qu'à l'avenir ce programme essentiel pour la régénération des équipements de l'armée de terre ne soit plus décalé. Comme indiqué par Jean-Jacques Bridey précédemment et comme constaté lors de notre déplacement à Carpiagne en septembre dernier, certains véhicules de l'armée de terre, dont les véhicules de l'avant blindé (VAB) et les chars de reconnaissance AMX10-RC, conçus du temps de la guerre froide, auront entre 40 et 50 ans en 2020.

Concernant les effectifs de l'armée de terre, ils connaîtront une accentuation de leur déflation en 2013. Dans le contexte actuel celle-ci ira finalement au-delà de l'objectif initialement fixé par la LPM avec environ 3 713 postes en moins en 2013 – contre 2 888 initialement prévus – soit une diminution de 3,5 % par rapport à 2012. Pour mémoire l'armée de terre jouit d'un rapport coût efficacité incontestable, que ce soit sur le territoire national ou en opération extérieure, puisqu'elle ne représente que 29 % de la masse salariale du ministère de la défense pour 45 % des effectifs.

Je voudrais également évoquer devant vous un point que j'ai tenu à évoquer lors de tous mes entretiens : l'état d'esprit des hommes et des femmes de l'armée de terre qui ont su s'adapter ces dernières années à de nombreuses réformes et ont connu une importante réduction du format de leur armée - forte de 229 régiments en 1989, elle n'en comptera plus que 80 en 2016. Concernant le moral de nos soldats, deux éléments en particulier ont attiré mon attention. Tout d'abord la question de la diminution du nombre d'avancement au sein du ministère de la défense. Cette diminution devrait surtout concerner les officiers supérieurs. J'ai d'ailleurs relu le rapport de la Cour des comptes qui indique que nous avons un trop fort taux d'encadrement par rapport au nombre de militaires. Un autre point a contribué ces derniers mois à miner le moral de nos soldats : les dysfonctionnements à répétition du nouveau système de paiement des soldes des personnels de l'armée de terre, le système Louvois. Ces erreurs sont difficiles à vivre pour nos militaires et je me félicite que le ministre de la défense se soit personnellement impliqué, ces dernières semaines, dans la résolution de ce grave problème.

Je souhaiterais également attirer votre attention sur la réserve opérationnelle de l'armée de terre, qui est un complément indispensable au bon fonctionnement de nos forces terrestres. Les réservistes sont des militaires à part entière qui exercent leur métier à temps partiel. Ils sont payés et préparés de la même manière que leurs camarades d'active. L'armée de terre compte actuellement 15 950 réservistes. La cible pour 2015 est de 22 000 réservistes, néanmoins plusieurs obstacles empêchent cette montée en puissance. Il serait peut-être bon que la commission travaille sur ce sujet dans les mois à venir. Tout d'abord le budget alloué à la réserve de l'armée de terre est faible, de l'ordre de 37,8 millions d'euros ce qui ne permet de financer que 20,5 jours d'activités par an en moyenne. Par ailleurs un réserviste est attaché à son territoire, où il exerce une activité civile, par conséquent la dissolution ou le transfert d'unité a mécaniquement fait baisser les effectifs des réservistes depuis 2009. En Basse-Normandie, région dans laquelle j'ai mes attaches, il est par exemple difficile de trouver des réservistes, car il n'y a plus de régiments. Enfin la réserve en France, par rapport à d'autres pays, manque de souplesse et de réactivité. Les relations entre le monde de l'entreprise et les armées ne sont pas toujours aisées. Je pense qu'il serait nécessaire de faire évoluer le cadre légal pour favoriser l'activité des réservistes. Ce qui permettrait par ailleurs de renforcer le lien armée nation.

En 2013 l'armée de terre devra faire face à un défi de taille : le retour sur le territoire national de nos soldats avec le retrait d'Afghanistan. Au 1er janvier prochain, ils ne seront plus que 1 400 sur ce théâtre et auront en charge l'aéroport de Kaboul, l'hôpital de KAIA et la formation des soldats de l'armée nationale afghane jusqu'en 2014. Plus généralement, en 2013 les effectifs déployés en OPEX diminueront de façon importante. Ils étaient environ 10 000 hommes début 2009. Ils ne seront plus que 4 000 à la fin du mois de décembre et 3 000 à la mi-2013.

Le retrait d'Afghanistan va mécaniquement conduire à une importante réduction des journées d'activité opérationnelle, point sur lequel j'ai été extrêmement attentif. En 2013 nous atteindrons un seuil d'alerte avec seulement 105 journées de préparation et d'activité opérationnelles, quand la précédente LPM en prévoyait 150. Une baisse plus importante avait été un temps évoquée, et le ministre de la défense s'y est légitimement opposé. Je tiens à saluer cette décision. Les journées de préparation et d'activité opérationnelles sont essentielles pour le bon entraînement de nos troupes et pour le moral de nos soldats. Pour mémoire, l'indemnité de service en campagne (ISC) est la seule prime que touchent nos militaires du rang quand ils ne sont pas en OPEX. Le rythme d'activité des forces terrestres doit rester significatif pour que notre armée de terre puisse demeurer attractive et pour qu'elle puisse rester une armée de premier plan mobilisable à tout moment.

Avec le retrait d'Afghanistan, le territoire national va très prochainement devenir le premier théâtre d'opération de nos armées. Mais tout dépend bien évidemment des conjonctures internationales. C'est pour cette raison que j'ai choisi de consacrer la deuxième partie de mon rapport aux missions intérieures.

Le territoire national, l'armée de terre le connaît bien puisque de façon quotidienne ou récurrente, elle participe à des missions intérieures, apportant ainsi son savoir-faire et ses capacités au service de la population française, en soutien des forces de sécurité intérieure. Les missions intérieures sont des missions opérationnelles menées par les forces terrestres sur le territoire national sous la responsabilité de l'autorité civile et sous commandement militaire. Il est nécessaire de faire une distinction claire entre les coûts de fonctionnement normal et les surcoûts générés par une opération, que ce soit d'ailleurs une MISSINT ou une OPEX. Le budget opérationnel de programme « OPEX MISSINT » prend uniquement en charge les surcoûts. Le reste incombant au BOP « Terre ». Ainsi les différentes contributions financées sur les crédits de l'armée de terre, ont mobilisé en 2011 plus de 17 000 personnels pour un montant de plus de 4,3 millions d'euros au titre des dépenses de fonctionnement.

Dans le cadre des missions intérieures, les forces terrestres peuvent être mobilisées pour des missions d'aide et de secours aux populations. Dans ce cadre, les militaires de l'armée de terre aident les populations à faire face aux conséquences des sinistres de toutes natures, comme à la suite de la tempête Xynthia ou des inondations de Draguignan en 2010. J'ai pu constater sur le terrain, la plus-value apportée par nos forces terrestres auprès des forces de sécurité intérieure, notamment, dans le cadre du plan Héphaïstos de lutte contre les feux de forêt.

L'armée de terre peut également intervenir pour renforcer la sécurité générale sur notre territoire. Dans ce cadre-là des militaires de l'armée de terre sont chaque jour mobilisés au profit du plan Vigipirate, dispositif de prévention et de lutte contre les actions terroristes. Dispositif très apprécié par nos concitoyens.

L'armée de terre se trouve également aux côtés de la gendarmerie nationale, dans un milieu particulièrement hostile – la forêt guyanaise – où elle mobilise environ 285 hommes par jour pour lutter contre l'orpaillage illégal, dans le cadre de l'opération Harpie.

En conclusion, le budget 2013, qui est un budget de transition, dans un contexte contraint, qui fait suite aux décisions prises à la suite du Livre blanc de 2008 et dans le cadre de la précédente LPM, devrait permettre à l'armée de terre de disposer des ressources nécessaires pour mener à bien ses différentes missions en opérations extérieures et en missions intérieures. Néanmoins il nous faudra, dans les années à venir renforcer notre effort de défense – en conformité avec les nouveaux contrats opérationnels définis par le prochain Livre blanc – en se concentrant, à mon avis, sur la régénération des équipements de l'armée de terre (programme SCORPION), sur la disponibilité de nos matériels, et sur un haut niveau de préparation et d'activité pour nos soldats.

Mes chers collègues, je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 178 et 146 consacrés aux forces terrestres.

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