Intervention de Daphna Poznanski-Benhamou

Réunion du 31 octobre 2012 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaphna Poznanski-Benhamou, Rapporteure pour avis :

Les crédits de la mission « Anciens Combattants, mémoire et liens avec la Nation » sont répartis en trois programmes : le programme 167 « Liens entre la Nation et son armée », qui promeut l'esprit de défense et de citoyenneté au sein de la population et qui inclut sa dimension mémorielle ; le programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant », qui témoigne de la reconnaissance de la Nation à l'égard des anciens combattants et des victimes de guerre ; le programme 158, « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale ».

La maquette budgétaire a beaucoup évolué au cours de ces dernières années puisque les politiques culturelles et muséographiques ainsi que les actions de communication sont rattachées depuis 2009 au programme 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense ». Je le regrette car cela nous prive d'une mission où seraient regroupées toutes les actions dédiées à la mémoire combattante et au lien armée nation.

Le programme 167 finance tout d'abord l'organisation de la nouvelle Journée défense et citoyenneté (JDC) par la direction du service national (DSN) du ministère de la défense, à laquelle plus de 750 000 jeunes participent chaque année. Ses crédits pour 2013 s'élèvent à 102 millions d'euros en crédits de paiement, soit une baisse de 3,7 % par rapport à 2012. Cette baisse s'explique par l'importante réforme de l'organisation de la DSN entreprise depuis 2009, qui se traduit par la création de cinq établissements du service national et le transfert de la fonction archives au service historique de la défense. Au total, ce sont 849 emplois qui seront supprimés d'ici 2014, dont 37 l'année prochaine. La JDC s'est recentrée sur sa mission fondamentale de sensibilisation des jeunes aux nouveaux enjeux de la défense et de la sécurité nationale, tout en intégrant un module d'information sur le nouveau service civique. Je souhaiterais qu'en plus des tests de détection de l'illettrisme existants, il soit procédé à des tests de « numératie », c'est-à-dire que l'on puisse vérifier la capacité de compter. Je déplore que ces tests soient toujours à l'étude au ministère de l'Éducation nationale et qu'ils ne doivent pas voir le jour avant 2014. Il serait judicieux de faire vérifier si de tels tests ont été validés par d'autres pays de l'Union européenne, et dans l'affirmative, de s'en inspirer afin de combler notre retard. Par ailleurs, il apparaît que la pré-sensibilisation à la JDC qui devrait être effectuée en classes de troisième est première est peu effectuée. Je souhaite qu'elle devienne réellement effective et il me semble que l'enseignement d'une morale laïque promise par le ministre de l'Éducation nationale soit un cadre approprié pour le faire.

Les crédits consacrés à la politique de mémoire augmentent de manière assez spectaculaire l'année prochaine : ils passent de 12 à 17 millions d'euros en crédits de paiements.

Cette augmentation permet de préparer une année 2014 exceptionnelle sur le plan commémoratif puisque le 70e anniversaire du débarquement sera commémoré aux côtés du centenaire de la Grande Guerre. Un groupement d'intérêt public (GIP) a été créé au printemps dernier pour préparer le cycle de commémoration de la Grande Guerre à partir de 2014. Son conseil d'administration est présidé par le général Elrick Irsatorza – ancien chef d'état-major de l'armée de terre – et il regroupe 7 ministères, des établissements publics et plusieurs associations. Je souhaite que ce GIP puisse continuer à travailler sereinement et que les financements attendus lui soient versés selon le calendrier initial (2 millions d'euros sont prévus cette année par le programme 167).

Le projet de loi de finances pour 2013 prévoit qu'1 million d'euros soit consacré à l'érection d'un monument national d'hommage aux morts en opérations extérieures (OPEX). Je soutiens totalement cette initiative. Néanmoins, je suis étonnée par le coût de ce monument et la longueur de la procédure – le monument ne devrait être inauguré qu'en 2014, alors que le ministère y travaille depuis déjà un an…

J'ai été par ailleurs très étonnée d'apprendre que le Gouvernement avait versé 3 millions d'euros à la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie. Créée par loi du 23 février 2005, son activité s'est réduite en 2012 à l'organisation de deux colloques et elle a été particulièrement discrète durant cette année du cinquantenaire de l'indépendance. Je souhaite que le ministre délégué dissolve cette fondation, dont les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances, et récupère ces 3 millions d'euros pour abonder les crédits sociaux de l'ONAC.

Les crédits du programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » représentent l'essentiel des crédits de cette mission : ils s'établissent à 2,8 milliards d'euros pour 2013. Ils suivent une trajectoire annuelle de baisse, (– 2,7 % cette année) conformément à la nouvelle programmation triennale des finances publiques. Comme cette baisse suit de près celle du nombre de bénéficiaires – 15 000 pensions militaires d'invalidité et 60 000 retraites du combattant en moins chaque année – les prestations versées ne baissent pas et, pour certaines d'entre elles, ont augmenté ces dernières années.

Malgré cette diminution des effectifs, les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 pour la retraite du combattant sont en hausse de 19,3 millions d'euros (+ 2,4 %) pour prendre en compte le coût, estimé à 54 millions d'euros, de l'extension en année pleine de l'augmentation de 4 points de l'indice de retraite entrée en vigueur au 1erjuillet 2012. Les crédits consacrés à la retraite du combattant s'élèveront par conséquent à 822 millions d'euros en 2013. Avec un indice de 48 points, le montant de la retraite du combattant s'élève à 665,76 euros ; cette retraite était servie, au 31 décembre 2011, à plus d'1,2 million de personnes.

Aucune mesure nouvelle n'est prise cette année pour la revaloriser ou en étendre le bénéfice car la priorité est de tenir les engagements du précédent Gouvernement sur le financement en année pleine des 48 points, financement qui n'avait pas été budgété.

Pour répondre aux difficultés financières que pouvaient rencontrer les veuves d'anciens combattants, l'Office national des anciens combattants (ONAC) a créé en 2007 l'aide différentielle aux conjoints survivants. Celle-ci doit leur permettre d'atteindre un niveau minimum de ressources. Ce minimum était fixé à 550 euros lors de son entrée en vigueur en 2007 et a été porté à 900 euros depuis le 1er avril 2012. Cette aide bénéficie aujourd'hui à un peu plus de 5 000 personnes, pour un montant moyen de 104 euros. L'objectif est de rapprocher son montant du plafond du seuil de pauvreté, soit 964 euros. Je souhaite que son bénéfice puisse être étendu, à l'avenir, aux veuves des conjoints survivants résidant hors de France, aujourd'hui exclues de ce dispositif.

Je sais que nombre d'entre vous souhaite voir le bénéfice de cette aide étendue aux anciens combattants les plus démunis. La difficulté tient à son financement : 5 000 anciens combattants pourraient bénéficier d'une telle prestation, selon l'étude remise l'année dernière par le Gouvernement au Parlement, voire plus de 70 000 si on prend en compte les combattants de nos anciennes colonies. Le financement d'une telle mesure est très compliqué cette année. C'est pourquoi je préfère que l'effort soit concentré, pour le moment, sur les veuves. Je précise que l'ONAC verse déjà chaque année plus de 5 millions d'euros d'aide sociale aux anciens combattants en France et 1 million à l'étranger.

Je me suis intéressée à l'Institution nationale des Invalides (INI) et bon nombre de mes questions sont demeurées sans réponse. J'ai le sentiment que l'INI, malgré un savoir-faire de qualité dans des domaines pointus comme la chirurgie orthopédique ou celle des escarres, n'a pas totalement achevé sa mue et trouvé sa place dans la nouvelle organisation de l'offre de soins. La gestation du contrat d'objectifs et de moyens a été difficile, du fait des divergences d'appréciation entre le ministère chargé des Anciens combattants et le ministère de la Santé, qui le financent à parts égales. J'attends avec impatience les résultats de l'audit que doit mener cette année la Cour des Comptes sur cette vénérable institution. Si la maison des pensionnaires accomplit une mission qu'elle seule peut remplir, le centre médico-chirurgical a encore des progrès à faire en termes d'optimisation de son fonctionnement et de mutualisation avec l'hôpital de Percy.

Les crédits dédiés aux victimes des essais nucléaires, 10 millions d'euros, sont reconduits pour 2013. Le Comité d'indemnisation s'est réuni trente fois entre la date de sa première réunion, le 20 septembre 2010, et le 6 septembre 2012. Durant cette période, 772 dossiers ont été reçus et seules 7 indemnisations ont été accordées pour un montant total de 290 000 euros.

Compte tenu du faible succès du dispositif, le Gouvernement a assoupli les critères d'attribution de l'indemnisation par le décret du 30 avril 2012. Celui-ci étend, d'une part, le périmètre géographique des zones de l'atoll de Hao et de celles de l'île de Tahiti, dans lesquelles le demandeur doit avoir résidé ou séjourné pour pouvoir bénéficier du régime d'indemnisation, et élargit d'autre part la liste des dix-huit maladies radio-induites au cancer du sein chez l'homme, ainsi qu'à trois nouvelles pathologies (lymphomes, myélomes et myélodysplasies). De nouveaux dossiers, correspondant à ces critères assouplis, devraient être déposés dans les mois qui viennent.

J'en viens maintenant au programme 158, qui indemnise les victimes de la Seconde Guerre mondiale : orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites (décret du 13 juillet 2000) ; orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie ; victimes de spoliations intervenues du fait de législations antisémites (décret du 10 septembre 1999).

Le programme dispose pour 2013 de 110 millions d'euros de crédits de paiement.

Les orphelins couverts par les décrets de 2000 et 2004 peuvent bénéficier d'un capital de 27 000 euros ou d'une rente mensuelle de 500 euros. 36 millions sont inscrits en 2013 pour les orphelins de parents victimes de persécutions antisémites, pour près de 6 000 personnes percevant une rente. 53 millions sont inscrits pour les orphelins de parents victimes d'actes de barbarie, ce qui correspond au versement de 8 000 rentes.

Les victimes de spoliations sont indemnisées par les services du Premier ministre, après instruction de leur dossier par la Commission d'indemnisation des victimes de spoliation (CIVS). Depuis le début de ses travaux et jusqu'au 31 juillet 2012, la Commission a reçu plus de 23 000 requêtes. Après le pic atteint en 2002, leur nombre ne cesse de baisser : 104 en moyenne chaque mois en 2004, 84 en 2007, 46 en 2011 et 37 sur les 6 premiers mois de l'année 2012. Au 31 juillet 2012, plus de 477 millions d'euros ont été alloués à 44 033 bénéficiaires sur les crédits de ce programme.

Après douze années de travaux, la CIVS a en grande partie rempli sa mission. Sauf exception, pratiquement plus aucun dossier ne concerne directement une personne spoliée à l'âge adulte et très peu concernent désormais des enfants victimes de la Shoah ou des survivants de la Shoah. Beaucoup de demandes nouvelles concernent des requérants qui n'ont pas connu les personnes spoliées et qui n'ont avec elles qu'une parenté lointaine.

Par ailleurs, l'ensemble des États européens qui avaient ouvert une procédure similaire, ont d'ores et déjà clôturé définitivement les opérations d'indemnisation (Autriche, Hongrie, Belgique, Bulgarie).

C'est pourquoi j'estime qu'il est temps de fixer une date de forclusion à ce dispositif, le 31 décembre 2014. La fixation d'une date de forclusion n'emporterait pas la fin immédiate du dispositif pour ne pas priver les bénéficiaires potentiels de la possibilité de faire valoir leurs droits. Compte tenu de la dispersion géographique des bénéficiaires, le délai suffisamment long prévu permettrait le dépôt d'ultimes requêtes et l'instruction des requêtes en cours. L'annonce du dispositif de forclusion devrait s'accompagner d'une campagne d'information sur le plan national et international. S'il n'est pas possible de déposer un amendement aujourd'hui – la loi de finances ne peut porter que sur les crédits de l'année à venir – j'en déposerai un le moment venu.

En résumé, je dirai que ce projet de budget préserve l'essentiel et que les droits du monde combattant sont maintenus. Je me réjouis que, dans un contexte particulièrement difficile, ce budget n'ait pas été une « variable d'ajustement » et qu'un effort important soit consacré à la mémoire et à la solidarité.

En conclusion, Madame la Présidente, mes chers collègues, je vous demande de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » pour l'année 2013.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion