Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Séance en hémicycle du 30 avril 2014 à 15h00
Modification de la loi no 2007-1545 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à l’initiative du Sénat nous sommes amenés aujourd’hui à examiner une proposition de loi dont l’objet est d’étendre et renforcer les compétences et capacités du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cet examen nous permet de dresser avant l’heure un bilan du mandat de M. Delarue et, forts de ce bilan, d’inscrire dans la loi des avancées significatives qui permettront au contrôleur de remplir pleinement ses missions. Il est cependant nécessaire de rappeler que, lors des débats qui ont présidé à sa création, cette fonction n’apparaissait pas à tous comme une évidence ; certains jugeaient, par exemple, son existence comme redondante de celle du défenseur des droits.

Aujourd’hui, sept ans plus tard, la question n’est plus de juger de la pertinence de cette institution, elle est de savoir comment la renforcer et, par là même, d’accompagner une réflexion profonde et des mesures dont l’objet est notre système pénitentiaire. Depuis 2007, les rapports annuels du contrôleur général fournissent, en raison de leur précision et de leur exhaustivité, de précieuses informations quant à la réalité des conditions de vie en établissements fermés. Cela nous permet de nous assurer que la personne privée de liberté est respectée dans ses droits et sa dignité, quelles que soient la cause et la nature de cette privation. Ces informations nous permettent également de dresser le constat suivant : les conditions d’enfermement déterminent tout projet et toute possibilité de réinsertion du condamné à l’issue de sa peine. En vertu de quoi, tout manquement aux libertés fondamentales, toute dégradation de la dignité humaine conduit, immanquablement, à l’échec d’un tel projet.

C’est encore plus vrai lorsqu’il est question de mineurs et de leurs conditions de détention. À ce titre, les constats relatifs à la situation des centres éducatifs fermés illustrent le rôle et les limites des capacités du contrôleur général.

M. Delarue, dans ses différents rapports annuels, formule un certain nombre de constats et de recommandations sur ces centres, afin qu’ils puissent, c’était leur but avoué, être un outil de reconstruction sociale et personnelle et non une autre variété d’établissement pénitentiaire. Censés assurer un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté à la personnalité des mineurs qui y sont placés, les centres éducatifs fermés doivent ou devraient permettre de corriger un échec avant tout social et éducatif, préparer la future insertion sociale et professionnelle et, le cas échéant, accompagner le jeune en matière de soins. Ils doivent permettre au mineur de réapprendre la vie en société, avec ses contraintes, ses obligations et ses codes.

Pourtant, dans le prolongement des recommandations qui ont fait suite à la visite du centre éducatif fermé d’Hendaye, au mois d’octobre 2013, le contrôleur général a signalé un certain nombre de manquements préjudiciables à ces objectifs. Les disparités de fonctionnement entre établissements sont attestées et, hélas, récurrentes. Citons notamment le manque de normes en matière de pratiques disciplinaires, le peu de participation des acteurs territoriaux au projet d’insertion du mineur, la précarité des personnels éducatifs et leur déficit de formation, dysfonctionnements auxquels s’ajoute l’absence d’obligation pour les directions des centres de présenter un projet éducatif contrôlable et connu de tous. Cela nuit à la pleine efficacité de ce dispositif et cela compromet la crédibilité et l’efficience des intervenants socio-éducatifs auprès du mineur et de sa famille, mais également auprès des acteurs qui devraient être associés à cette démarche de reconstruction sociale.

Ce constat ne devrait pas rester sans effets. Si tel n’était pas le cas, comment exiger l’exemplarité lorsque notre système s’exonère de ses propres règles ? Comment peut-on préparer efficacement à une démarche de réinsertion si les règles deviennent aléatoires ou discrétionnaires ? Le contrôleur général des lieux de privation de liberté nous rapporte des faits et nous devons, parce que nous le pouvons, nous saisir judicieusement de ses recommandations. L’exemplarité avec laquelle M. Delarue a rempli son mandat a légitimé l’existence de l’institution. Cela permet aujourd’hui de proposer des ajustements qui offriront à son successeur la possibilité de poursuivre avec la même conviction et la même rigueur le travail entrepris, tout en voyant étendu le champ de ses compétences.

Cette proposition de loi vise, entre autres, à étendre la compétence du contrôle général à l’ensemble des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière. Cet élargissement était, quoi qu’il en soit, rendu nécessaire par la transposition de la directive retour de 2010, mais, au-delà de cette nécessité, il était indispensable de pouvoir lever toute suspicion d’atteinte ou de manquement aux droits fondamentaux des ressortissants des pays tiers.

Le contrôleur général, comme l’ont souligné les organisations professionnelles, y participe par sa présence et ses avis.

De même, je tiens à rappeler que son rôle n’est pas de juger de la validité des procédures, mais de vérifier les conditions dans lesquelles sont conciliés le respect des droits de la personne et les conditions de privation de liberté. Le fait de pouvoir accéder, non au contenu des procès-verbaux de garde à vue, mais aux éléments qui décrivent le déroulement de la garde à vue, est ainsi essentiel. En 2012, près de 400 000 gardes à vue ont été réalisées ; nous conviendrons tous que c’est un chiffre énorme. Il ne s’agit pas – les organisations syndicales l’ont bien mesuré – de mettre en doute la qualité du travail des forces de l’ordre, mais d’éviter, là encore, toute ambiguïté. Pour cela il faut pouvoir, en toute transparence, vérifier que les droits des personnes gardées à vue sont respectés.

Cette transparence et cette accessibilité sont, en elles-mêmes, la preuve du respect de ces droits. Il apparaît cependant nécessaire de communiquer sur ce point auprès des fonctionnaires de police, afin que le travail du contrôleur général ne soit pas perçu par eux comme une contrainte supplémentaire. Ce souhait a été formé par certaines de leurs organisations : je m’y associe.

Dans le même souci, nous voulons rappeler qu’un contrôle n’est pas issu d’une présomption de dysfonctionnement. C’est pourquoi nous choisissons de ne pas assortir d’une peine de prison le délit d’entrave à l’action du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Bien qu’il soit nécessaire de rappeler de manière dissuasive les conséquences possibles d’une obstruction ou d’une intimidation, les sanctions encourues sont suffisamment lourdes ; il n’est pas besoin de créer une peine supplémentaire.

Pour conclure, je salue à nouveau M. Delarue, pour avoir rendu évidentes les améliorations contenues dans cette proposition de loi : évidentes pour tous les acteurs que nous avons auditionnés ; évidentes aussi, je l’espère, pour nous tous. C’est pourquoi le groupe SRC votera pour ce projet de loi.

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