Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 30 avril 2014 à 11h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Monsieur le président, l'augmentation du nombre de départs est un élément objectif. Mes contacts avec tous mes homologues au sein de l'Union le confirment, ce phénomène n'est pas limité à la France, mais s'étend à toute l'Europe ; il est d'ampleur comparable, voire supérieure, chez certains de nos voisins. En la matière, j'incline à m'appuyer sur nos services plutôt qu'à me méfier d'eux. Ils ont toute ma confiance. Ils effectuent un travail remarquable, nourri de leurs échanges avec leurs collègues européens et fondé sur une connaissance poussée, voire encyclopédique, du sujet. Grâce aux actions qu'ils ont menées ces derniers mois, nous sommes informés et à même de prendre les mesures adéquates.

Les relations entre la DCRI et la DGSE nous permettent-elles de connaître au mieux ces sujets et d'agir plus efficacement ? Oui. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 l'a dit, celui de 2013 l'a réaffirmé : la capacité d'anticipation et la mission de renseignement, gages de prévention des crises et de sécurité, constituent une préoccupation centrale de notre pays, par-delà les alternances politiques. Nos deux services échangent donc des informations, mais ont également décidé de mutualiser des moyens afin de faire mieux circuler ces informations et de les traiter conjointement.

S'agissant des préconisations du juge Trévidic, je serai pragmatique, monsieur Larrivé. La question qui se pose est la suivante : quel est le meilleur moyen, en droit, d'atteindre l'objectif poursuivi ? J'ai proposé au juge Trévidic que nous nous rencontrions, ce qui se fera prochainement, afin d'en discuter et de comprendre ce qui l'a conduit à évoluer par rapport à ses déclarations antérieures.

Voici ce que l'on peut d'ores et déjà dire à ce sujet. La législation française permet dès à présent de réprimer non seulement la commission, mais également la préparation d'actes de terrorisme, par le délit d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, passible de dix ans d'emprisonnement, qui couvre un très grand nombre d'activités et peut viser une pluralité d'acteurs dès lors qu'il est établi que l'individu concerné par la procédure a agi en lien avec d'autres.

Le juge Trévidic formule deux propositions. D'abord, puisque des actes de terrorisme peuvent être préparés par des individus isolés – c'est la théorie du « loup solitaire » –, serait assimilé à un acte terroriste le fait de préparer seul des actes de violence, dès lors que des éléments concordants témoignent de l'intention et de la capacité de les réaliser. Certains lui objectent que le délit d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste est suffisamment souple pour englober ces comportements et que l'on risque, en surlégiférant, de perdre en respect des libertés publiques sans gagner en efficacité. Sur ce point, je partage la préoccupation de Mme Bechtel. Mais je rencontrerai le juge afin de connaître l'analyse juridique précise qui motive sa proposition et d'en étudier le bien-fondé au regard des dispositions législatives existantes.

S'agissant de sa seconde proposition, je serai plus catégorique : l'interdiction à un Français d'aller combattre à l'étranger sans autorisation ne me paraît pas utile en droit. En effet, la loi du 21 décembre 2012 a introduit dans le code pénal l'article 113-13, qui permet d'appliquer la législation antiterroriste française aux actes commis à l'étranger par un ressortissant français ou par une personne résidant habituellement en France. En outre, les articles 436-1 et 436-3 relatifs au mercenariat répriment le fait de recruter des Français pour participer à des conflits armés à l'étranger, ainsi que la participation à de tels conflits moyennant rétribution ou avantage.

Monsieur Ciotti, monsieur Goujon, comme le comporte ma fonction, je prends connaissance de tout ce qui s'écrit et que la loi m'autorise à lire ! J'apprends ainsi que, selon vous, le plan anti-djihad du Gouvernement se réduirait à la création d'un numéro vert. Ce n'est pas exact. Notre plan inclut des dispositions législatives nouvelles, que je présenterai en conseil des ministres fin juin afin que le Parlement puisse en discuter au cours du second semestre. En effet, il est nécessaire de modifier la loi afin d'améliorer l'efficacité de notre arsenal.

Premièrement, à l'heure actuelle, les interceptions de sécurité et l'ensemble des données qui en résultent ne peuvent être conservées plus de dix jours, ce qui obère l'efficience des enquêtes visant à identifier et démanteler les groupes djihadistes. Nous proposerons de porter cette durée à un mois.

Deuxièmement, les cyberpatrouilleurs ne peuvent aujourd'hui être assurés de l'efficacité de leur intervention lorsqu'ils s'introduisent sous pseudonyme dans les forums de discussion djihadistes. Notre plan comporte une mesure qui leur permettra d'enquêter en ligne sous pseudonyme.

Troisièmement, des dispositions législatives sont nécessaires pour empêcher des personnes majeures de quitter le territoire national en les inscrivant au fichier des personnes recherchées et dans le système d'information Schengen, ce qui déclenche le processus de coopération européenne. Nous les inclurons dans notre plan.

Enfin, la loi permettra l'interconnexion à distance entre nos services, de manière à disposer de la palette d'informations la plus large possible.

Il s'agit bien de mesures nouvelles, qui vont s'articuler aux dispositions que vous avez adoptées en 2012. En outre, nous pourrions être amenés à les compléter d'ici à la présentation de la loi en conseil des ministres. En effet, la négociation européenne dans laquelle nous sommes engagés, et qui justifie mon déplacement à Londres ainsi que la réunion prévue le 8 mai, pourrait déboucher sur des propositions communes aux pays de l'Union et appelant une transcription législative.

Des dépêches de l'AFP ont relayé l'idée que nous ne pourrions poursuivre ceux qui reviennent du djihad parce qu'ils ont combattu le gouvernement d'Assad auquel nous sommes politiquement opposés. Cet argument n'est absolument pas valide en droit, notamment parce que la qualification pénale d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste englobe les actes visés.

Plusieurs d'entre vous ont parlé de « couper » les sites Internet illégaux. Ce geste est plus complexe qu'il n'y paraît à première vue. Sur ce point également, je suis d'accord avec Mme Bechtel. Nous devons nous assurer de l'efficacité technique de notre intervention, garantir une étanchéité totale, ce qui n'est pas toujours simple dès lors que les lieux d'émission sont lointains. Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a été chargée des questions numériques au gouvernement, le sait bien. En outre, si nous y parvenions, les membres des réseaux djihadistes, réseaux internationaux, pourraient continuer de s'informer ailleurs tout en restant sur notre territoire, alors que nous nous priverions d'un moyen d'y détecter leur présence. Cela dit, le débat sur ce point est légitime et la présentation au Parlement des nouvelles dispositions législatives nous fournira certainement l'occasion de le poursuivre pour le mener à son terme.

Que M. Ciotti se rassure : nous avons bien l'intention d'associer les départements à notre action. Tel est le sens de l'instruction que j'ai adressée aux préfets.

Était-ce une bonne idée de supprimer l'autorisation de sortie du territoire ? À cette question, je répondrai par une autre : son maintien aurait-il empêché les départs ? En aucun cas, puisque les jeunes qui partent dissimulent à leurs parents leurs intentions, de sorte qu'aucune autorisation n'est établie et qu'il nous serait donc difficile de les détecter pour les inscrire au fichier des personnes recherchées et dans le système d'information Schengen. En revanche, les moyens dont nous disposons en matière de renseignement, joints à la mobilisation des familles, permettent de les empêcher de partir dès lors qu'ils sont identifiés – en effet, nous ne sommes pas seulement alertés par les parents, madame Pochon, mais aussi informés par le biais des enquêtes que nous menons.

Il est exact, madame Nieson, que les méthodes d'endoctrinement employées – manipulation, instrumentalisation de la faiblesse d'autrui – s'apparentent à celles des sectes. Il nous faut donc les décrire aux familles et à l'opinion publique, notamment en diffusant sur les réseaux sociaux un discours concurrent. Nous devons également expliquer l'action humanitaire que nous menons en Syrie avec la communauté internationale afin de protéger la population des violences de toutes natures et de toutes origines et de lui offrir des moyens de subsistance.

Monsieur Goujon, notre collaboration avec les autorités turques à la frontière de l'espace Schengen a été considérablement renforcée, et le sera encore en application des mesures nouvelles que je propose, afin d'arrêter à la frontière de l'Union ceux qui seront partis en dépit des dispositions visant à les en empêcher.

Monsieur Fenech, il est en effet essentiel d'agir en milieu pénitentiaire, où peut se diffuser la pensée radicale, ce qui constitue un préalable au basculement. Ces questions seront traitées dans le plan qui vous sera présenté au cours du second semestre ; elles feront l'objet d'une communication conjointe avec la garde des Sceaux, à l'instar, d'ailleurs, de la loi pénale. Sur ce dernier point, sur lequel il n'y a pas lieu de s'attarder aujourd'hui, les arbitrages ont été rendus, après que les ministres se sont parlé, par le président de la République et le Premier ministre de l'époque. Il en est résulté un équilibre qui doit assurer le bon fonctionnement de la chaîne pénale et permettre d'articuler l'action de la police à celle de la justice – ce qui vaut toujours mieux que de les opposer lorsqu'il s'agit de lutter contre la délinquance –, de manière à produire la réponse pénale la plus appropriée.

En ce qui concerne les biens mal acquis, il n'existe pas de pensée radicale pure, indépendante des filières du crime organisé. Tout est lié. Le financement vient des trafics, les filières s'organisent au niveau international ; il faut les démanteler. Les bénéficiaires sont fort marris lorsqu'on gèle et récupère les avoirs qui servaient à financer leur action. Ce gel et cette récupération des biens mal acquis deviennent donc une priorité absolue de la lutte contre le crime. C'est d'ailleurs tout aussi essentiel s'agissant des filières non djihadistes présentes sur nos territoires. Nous oeuvrons beaucoup en ce sens, comme j'ai pu le constater lors de mon déplacement à Marseille vendredi dernier : le gel des avoirs mal acquis s'est considérablement développé. Nous devons poursuivre dans cette voie de manière très offensive.

Nous menons bien entendu une action diplomatique en vue d'éviter que certains États ne confortent les djihadistes et nous disposons en la matière d'éléments de renseignement.

À M. Verchère, qui s'inquiétait des moyens alloués à la DCRI, j'aimerais rappeler que les forces de police et de gendarmerie ont perdu 13 720 emplois entre 2007 et 2012. À la faveur de sa transformation en direction générale de la sécurité intérieure, nous allons en créer 436. Les emplois supprimés dans la police et la gendarmerie sont donc en train d'être recréés – le Premier ministre l'a confirmé hier devant l'Assemblée nationale. Cela nous permettra de lutter efficacement contre le terrorisme. Grâce à la réorganisation de la DCRI, nous serons mieux armés, à l'heure où nous voulons donner la priorité au renseignement et à l'anticipation.

Je vous remercie de votre attention et je suis disposé à revenir devant vous aussi souvent que nécessaire.

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